Le Spationef Coincé (43)

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Adolphe nous arrête alors que nous ne sommes plus qu’à quelques mètres de tous ces hommes politiques. D’un geste péremptoire, il nous fait signe de nous cacher pendant qu’il va se placer un peu plus loin pour surveiller les alentours. Surpris, je veux lui demander pourquoi mais il m’intime du regard de ne plus bouger. Jojo ne rechigne pas une seconde, profite même de l’occasion pour faire toutes les photos qu’il peut, trop content de saisir de grands hommes, au moins réputés tels, à leur insu. Un vrai paparazzi, en somme. Toujours dans la lune, il se concentre uniquement sur les angles à choisir, veille à ne pas faire de cliché à contre-jour, marmonne des trucs incompréhensibles quand il n’obtient pas ce qu’il cherche. D’abord un peu inquiet, je finis par me dire qu’il ne me posera pas de soucis tant qu’il agira de la sorte...
Gesticulant en silence, Adolphe tente d'accrocher mon attention. Il m’indique des yeux et des mains que je rate quelque chose d’important.
Et c’est vrai qu’il n’a pas tort, l’ami Adolphe.

Sans qu’ils le sachent, nous sommes les témoins intempestifs d’une réunion extraordinaire entre tous les plus grands chefs d’états du monde ! Ces cons-là discutent en plein air, à quelques centaines de mètres des combats. Retenez quand même que, depuis la terrible défaite de Jean le Bon, obscur petit roi de France, plus aucun chef, qu’il soit de guerre ou d’état, ne prend plus le risque de montrer ses fesses sur un champ de bataille. Le coût exorbitant des rançons, à l’évidence. Quoique…de nos jours, je ne suis pas sûr qu’une demande de rançon serait formulée. Plutôt un sac en plastique pour y mettre quelques têtes…

Bref, voilà nos arrogants costumes-cravates-sur-mesure en train de tailler la bavette sur le perron dévasté de l’ONU !
Ils sont tous là, palabrant comme d’habitude. Je les retrouve comme ils ont toujours été : pédants mais faussement modestes, prétentieux mais discrètement humble au cas où une caméra saisirait quelques images inappropriées… Les carnes, même en pleine débâcle, ils en sont encore à faire attention à leur image ! Ma colère persiste…mais Adolphe, finaud, anticipe mes gestes et se précipite pour me retenir.

-    Fais pas l’imbécile ! A ta place, je me placerais là-bas. Tu vois, près des blocs de béton ? Ne fais pas de bruit et écoute ce qu’ils racontent. A mon avis, ça doit valoir de l’or…

Décontenancé par ce conseil, je le regarde sans savoir quoi répondre puis, après une grimace dégoûtée, je me dis qu’il n’a peut-être pas tort.
Alors, je m’approche à pas de loup. Après m’être assuré d’une place sûre, sous la protection de mon ami planqué à quelques mètres, je tente d’oublier le monde autour de moi pour me concentrer sur les voix des politiques.
Et là…comment dire ? Comment garder son calme en de telles circonstances ? Comment ne pas leur sauter dessus pour leur distribuer double rasade de beignes de cow-boys ?
Ils sont là, réunis en cercle, devisant sans l’aide d’interprètes. Ils caquettent. Non…pas exactement. Ils ergotent.

Oui, voilà : ils ergotent.
Pendant que les combats font rage, les principaux dirigeants du monde en sont toujours à négocier le bout de gras. Se trouvent là Américain, Russe, Chinois, Britannique, Allemand, Français, pour les plus importants mais, aussi, une flopée d’autres moins connus. Ils sont bien une cinquantaine, peut-être un peu plus.

Loin du luxe indécent de leurs palais habituels, ils ont la mine défaite, l’air inquiet, le costume tâché de poussière et la cravate de guingois. Privés de leurs interprètes, ils tentent de dialoguer malgré la barrière des langues. En fait, ils démontrent d’abord la médiocrité de leurs compétences linguistiques. Le plus ennuyé de tous est visiblement John Hamburger, président américain de son état, qui peine à se faire comprendre.
L’homme le plus puissant du monde ne sait parler que sa propre langue. C’est vrai qu’il n’a jamais eu à faire l’effort d’apprendre d’autres langues puisque toutes les autres nations ont toujours pris soin d’user la leur à lui cirer les pompes… Mais tout se paie un jour ou l’autre dans la vie, même les détails les plus insignifiants.

Heureusement pour lui (dommage pour la planète) il n’est pas le seul dans ce cas. En effet, nombreux sont les autres potentats qui barbotent dans les conséquences de leur souverain mépris des autres.
Frau Choucroute, ministre allemande à la grosse bedaine gonflée au houblon, s’en sort un peu mieux cependant, et discute avec Vladimir Vodka, président russe.
Finalement, tous finissent par trouver une méthode : un premier parle, un second paraît comprendre, puis, usant du maigre vocabulaire à sa disposition, traduit à un autre qui se charge à son tour de transmettre le message. Et ainsi de suite.
Ce monde parle, donc. Mais chaque phrase exige un temps infini pour faire le tour du cénacle. Voici ce que cela donne, du premier au dernier maillon de la chaîne de commandement...

-    I wish we worked together to save us, before we all go home ! fait John Hamburger avec conviction.

Le premier effet de cette vibrante déclaration est un silence pesant. Normal, puisqu’il faut que ces quelques mots montent à l’assaut des rares neurones actifs dans les cerveaux venteux des autres chefs d’états. Quand, après un laps de temps plus ou moins long la lumière émerge enfin des ténèbres, un des présidents prend la parole pour traduire celle qu’il vient d’entendre. Il traduit une première fois, à son usage personnel, d’ailleurs, avant de proposer ce qu’il a compris, à la cantonade.
En l’occurrence :

-    Ail et sandwich aux oignons, avec sauce forte et huile de gomme !

C’est pas gagné, hein… ?


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