Le Spationef Coincé (44)

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Malgré tout, parce qu’il faut bien concéder que certains membres de cette honorable assistance sont mieux pourvus que d’autres par l’intelligence qui illumine leur regard, quelques uns comprennent mieux et plus vite. Et ils en déduisent d'abord que l’ajout massif de gestes, signes et onomatopées universelles leur permettront de mieux échanger.

Ainsi, voilà qu'ils gesticulent, gigotent, trépignent, dansent sur place. Ça fait un curieux balai, pardon, ballet où chacun tente de devenir la danseuse étoile.
Le plus fort à ce petit jeu semble être l’Anglais, premier ministre qui répond au doux patronyme de Pete Plough O’Ksyonquiou. L’air un peu coincé, comme tout anglais qui se respecte, il ajoute à ses mots une multitude de petits gestes rapides et brusques, comme s’il avait peur de se faire comprendre trop facilement ! Ceux qu’il a hypnotisés répondent par de petits cris, glapissements plaintifs, jappements réprobateurs, voire quelques médius levés bien droit en signe de protestation. Le ton monte et cela ne paraît pas vouloir d'arranger.
Mais tout cela n'est que le reflet d'une situation assez simple, finalement. La démarche de tous ceux-là n’était pas encore très claire au départ mais, à présent, c’est limpide comme un communiqué de presse : une nouvelle guerre des Chefs est sur le point d’éclater !
Tous ces dignes représentants de l’ignominie politique mondiale s’échinent à convaincre leurs homologues qu’ils sont les mieux placés pour reprendre l’initiative et sauver le monde.
Une manie chez ces tordus : persuader le monde qu’ils sont indispensables à la bonne rotation de notre malheureuse planète ! Et les voilà, à hausser encore le ton pour se faire entendre dans la cohue indescriptible qu’ils provoquent !

-    Je vous assure, chers collègues, que je dispose de tous les moyens requis pour nous débarrasser de cette vermine venue d’on ne sait où ! clame Hamburger, pendant que ses GI’s continuent de se faire laminer à quelque centaines de mètres de là.

-    Et moi, je vous assure, by Jove, que seul un émissaire de la Couronne pourra fédérer les efforts de toutes les nations pour vaincre ! rétorque l’Anglais qui suffoque de rage de ne pas être déjà sélectionné.

-    Ach, chers amis, cheu voudrais fou dire que cheu suis à la tête d’une puissance économique sans pareille und qui nous permettra, si fou êtes derrière mein troupes, de réduire tous ces étrangers à néant, jawohl ! s’interpose la chancelière allemande.

-    Nom d’un M16 ! vocifère presque l’américain, on vous a foutu une pâtée sans bavure il y a quelques années, alors venez pas me tanner avec vos troupes !

-    Che ne fou permets pas deu meu dire que mein soldaten ne sont pas à la hauteur ! Méfiez-vous, mein pétite président, che vous aurais préfénu, es ist nicht ? se rebiffe l'imbibée au houblon.

Mais John Hamburger n’a cure des menaces de la teutonne ! Il s’avance sur elle, la dominant déjà de pas loin de deux têtes et, les yeux plein de Führer, pardon, de fureur, lui postillonne dans les narines que, de toute façon, les combats se déroulent sur le Territoire américain et qu’elle serait incapable d’y envoyer un seul soldat avant des années !

C’est à cet instant que le Premier Secrétaire du Parti Communiste Chinois, Shaw Bolderizaucurry, prétend intervenir pour calmer un peu les tensions entre ces deux-là :

-    Honorables Président et Chancelière, si vous permettez au misérable insecte oriental que je suis de vous interrompre un court instant pendant la course du soleil dans la Voûte Céleste, j’ose croire que nous pourrions aboutir à un accord salutaire pour l’humanité entière et…

-    Oh, toi le Jaune : ta gueule ! s’exclament alors les deux intéressés avec un synchronisme parfait !

Soudain ulcéré au plus haut point, on le serait à moins, le « Jaune » , devenu verdâtre, serre les poings très fort et trépigne sur place, enfonçant son menton sur son torse pour tenter de contenir la tempête qui arrive.
Mortifié de se faire rembarrer devant les présidents présents, l’honneur bafoué et foulé au pied par un bouffeur de viande passée au chlore et une pisseuse de bière, il veut faire rendre gorge à ses offenseurs.

-    Bande de misérables ! Confucius, du haut de sa montagne de Sagesse, voudrait que je vous pardonne cet affront, pourtant…

Il ne finit pas sa phrase mais, d’un bond inattendu, se jette sur l’américain, pieds en avant pour un direct sur le maxillaire de celui-ci, pendant que, de ses petits bras vengeurs, il tente d’incruster ses doigts crochus derrière les verres de contact de l’allemande !
Heureusement pour eux, le président italien Julio Pasta-Pizzaïolo, encore alerte malgré sa soixante d’années bien sonnée, se hisse d’un bond fulgurant à hauteur du Secrétaire chinois et lui vote un coup de tête en pleine lucarne ! Passionné de football, bien entendu, il ne voulait probablement pas rater l’occasion de rappeler à l’Empire du Milieu que le jeu de tête italien n’a pas de concurrent solide au monde, ce qui devrait lui valoir, en toute logique, de présider à la sauvegarde du monde…

Les autres présidents, les petits, les insignifiants, d’abord perturbés par la violence des débats, ne tardent pas à se joindre à la mascarade et choisissent leur camp…
Au terme de quelques minutes seulement, deux factions s’opposent et, dans les secondes qui suivent, se lancent dans la bataille. Impossible de dire si c’est le monde capitaliste qui maitrise la partie ou si, au contraire, c’est le bloc rouge qui prend le dessus ! C’est une bataille de rue, semblable à celle qu’on peut malheureusement voir après certains matches sportifs en Europe ou en Amérique du Sud !

Les coups pleuvent de partout, chacun distribue et reçoit quantités de poings rageurs dans le nez, les yeux, les gencives ! Certains, plus vicieux que d’autres tentent d’arracher des oreilles, sûrement pour en faire des pendentifs ou des souvenirs de voyages, pendant que d’autres, encore, se glissent dans la mêlée et en profitent pour explorer quelques poches, histoire de ne pas revenir les mains vides d’un Sommet Mondial qui marquera l’Histoire !
Bref, tous les hommes politiques du monde se battent comme des chiffonniers, oublieux de la bienséance qui les caractérise habituellement !

Voyant tout cela, Superman qui survole toujours New-York en évitant les nuages pour ne pas mouiller son costume en soie, repère l’algarade et décide de secourir la planète… Il est temps, estime-t-il avec raison, de séparer tous ces assoiffés de Pouvoir et de les ramener à plus de décence. Malheureusement, il rate un peu son atterrissage et tombe au beau milieu de l’empoignade, ce qui lui vaut quelques coups mal placés.  Immédiatement submergé par la foule enragée, il peine à se relever, alors, d’un geste brave, Wonder-Woman arrive à la rescousse, seins en avant et diadème bien accroché sur son front lisse. Elle fait siffler son fouet, rappelant quelques jeux douteux à certains présidents présents. Elle se démène sans compter mais la fureur des humains continue de tout ravager sur le perron dévasté de l’ONU !
Voyant cela, revoilà le géant hirsute, armé de son énorme marteau étincelant et qui arrive à toutes jambes pour secourir la malheureuse Super-Héroïne.

-    Par la barde d’Odin, faites place ! hurle-t-il d’une voix caverneuse à faire peur. Apprenez que je suis Thor-Tillas, le bras armé du Walhalla ! Arrêtez de vous battre et agenouillez-vous, bande de mécréants ! Et tripotez pas ma copine, sinon ça va chier !

Mais rien n’y fait ! Les hommes sont maintenant de rudes combattants et les coups de marteau du Viking restent sans effet. La cause semble désespérée quand Superman, assisté in extremis par Batman qui, décidément, ne rate pas une occasion de se montrer à ses côtés, émerge de la montagne de corps qui le maltraitent. Encore quelques instants de lutte et il s’impose enfin.
Il sermonne alors, sans douceur, les voyous en costume.

-    Honte à vous, lamentables prétentieux ! Ne voyez-vous pas que les ennemis progressent pendant que vous vous battez pour d’illusoires gloires ? Je vous demande de vous arrêter ! fait-il d’une voix un peu bêlante…

Surpris, américain, allemande et tous les autres s’arrêtent, penauds comme des garnements qu’on viendrait de séparer à grand coups de matraque. Ils se rajustent tous comme ils le peuvent, certains retrouvent même un peigne pour se refaire une petite façade, vite fait, bien fait… Le silence se fait, après qu’un président, on se saura peut-être jamais lequel, ait fait taire le malheureux russe Vladimir Vodka d’un ultime coup de tatane dans les roupettes… Le Japonais qui en aurait profité pour venger l'honneur des Îles Kouriles ?

Superman, fier de son intervention va pour se lancer dans un de ces discours dont il a le secret quand, venu de nulle part, les cheveux en bataille et le costume passablement abîmé, le Président de la République Française, un certain François Moudubout, candidat à sa propre succession malgré un premier mandat particulièrement raté, s’avance et prend la parole…




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