Le Spationef Coincé (47)

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Ils sont nombreux, ces ministres. Si je reconnais quelques têtes par-ci, par-là, la grande majorité m’est inconnue. D’autres ont des visages souvent vus à la télé et autres médias mais je serais incapable de mettre un nom dessus. Pas bien grave, me dis-je. Au point où nous en sommes !
Ils jurent un peu  dans le décor parce que leurs costumes sont impeccables. S’ils prétendent participer à la lutte, il semble évident qu’ils n’ont pas utilisé les mêmes arguments que leurs supérieurs…
Intrigué de les voir à la suite des envahisseurs, je pense un instant m’approcher mais Adolphe qui à déjà pressenti mon intention m’en dissuade d’un geste sans équivoque. Je me résigne sans trop savoir pourquoi mais il se trompe rarement quand il est question de prédateurs aux dents longues. Autant voir sans être vu, donc !

D’autant que c’est cocasse de voir des ministres avec des banderoles. On dirait des syndicalistes ! Ou des chevaliers de temps modernes avec, inscrit sur leurs bannières, des messages qui n’ont rien de courtois. Non, pas de dragon lanceur de flammes, pas de trucs écrits en latin, rien de tout ça.

Il y a de la protestation dans l’air et, pour une fois, elle ne vient pas des tréfonds de la Société. Nan !

« Les Présidents ont failli ; avec les Ministres, le changement c’est maintenant ! »

« Stop aux promesses de Paix ! Avec nous, ça ira mieux ! »

Je ne peux pas tout lire mais heureusement que je suis assis… Même le plus creux des communistes aurait trouvé mieux !

Cependant, il est évident que j’assiste en direct à une crise ministérielle majeure ; sous mes yeux ébahis je peux voir de près des chacals s’organiser pour piquer les restes du repas des lions. Ils veulent prendre les places, les chers zoziaux… Une campagne dans la campagne, en quelque sorte. Ce qui n’est pas du goût du président français qui voit poindre une meute supplémentaire de concurrents. Quand celui-ci reconnaît son propre premier ministre, il manque en avaler sa cravate, d’ailleurs. Alors qu’il pensait avoir marqué assez de points pour se démarquer de ses rivaux, voilà qu’il est trahi par ses propres troupes !

Son ministre, un petit gringalet à l’air sévère et aux oreilles bien décollées, sûrement pour ne rien manquer de ce qu’on peut dire à son égard, se poste rapidement en tête du cortège. On dirait un matamore, les reins cambrés et le regard provoquant. Il a le teint rouge, comme un apoplectique sur le point de péter une durit. Dans ses yeux, une assurance sans borne. Sur ses lèvres, un petit sourire suffisant et un brin sarcastique qu’il dédie à son propre président, à n’en pas douter.
Il attend quelques instants pour que les remous provoqués par l’arrivée de cette nouvelle unité du désordre mondial se calment enfin. Je ne connais pas son nom, mais j’aperçois un livre qui dépasse de la poche de son veston. En fait, il s’agit peut-être d’un ministre de la culture, ou un truc de ce genre parce que je peux lire le titre à force de gesticulations difficiles : Manuel de Valse. Un ancien danseur étoile perdu dans les égouts de la politique ? Toujours est-il qu’il a la taille mannequin. Ça change de tous ces aimables présidents bien gras, élevés au foie gras et aux vins fins.

Un conciliabule s’engage directement entre les présidents et leurs ministres. Que se disent-ils ? Je l’ignore parce qu’ils prennent le soin de placer la main devant leur bouche, vieille habitude anti-paparazzi… Avec les derniers arrivés, j’assiste à un véritable jeu de stratèges. Les ministres gardent la tête sous le menton des présidents, un œil fermé pendant que l’autre reste soupçonneux, la bouche renversée en signe de manque de conviction quand les réponses des présidents leur paraissent insuffisantes. 

C’est finalement rigolo et, il faut bien l’admettre, c’est là qu’on peut voir le grand art des présidents. Ils sont plus doués que les autres pour chanter les vertus oratoires des rêves qu’ils sont seuls à pouvoir créer en direct, quelles que soient les circonstances. Ainsi, Moudubout parvient à calmer la grogne montante des ministres, contre toute attente. Qui aurait pu prédire qu’il garderait son poste, comme pour un second mandat ou quelque chose de ce genre, alors que tous les autres semblaient près de lui couper la tête ? Les présidents restent en poste, donc. Et François Moudubout remporte la médaille d’or. En effet, les autres préfèrent qu'il essuie les plâtres en cas de problème, bien conscients que les ministres ne succomberaient pas une seconde fois au chant des sirènes…

Alors, François Moudubout, le torse gonflé de fierté, se prenant enfin pour le Maître du Monde, fait un pas en direction des extra-terrestres qui commençaient à s’ennuyer ferme. Main tendue en signe de conciliation, le terrien va pour commencer une petite allocution dont il a le secret pour tenter d’endormir tout le monde mais il se fige soudain quand il constate que les intrus de l’espace se sont redressés d’un bond.

-    Messieurs les Extra-terrestres, tente quand même Moudubout, je voudrais saisir l’occasion qui m’est donnée en ce jour historique pour lancer avec vous un pont vers l’avenir.

-    Mouais… ? répond Obi Wan, un pied appuyé sur un bloc de béton.

-    Absolument ! Vous n’êtes pas sans savoir que l’ambition des êtres supérieurs, dont vous êtes, dont mes confrères sont aussi, moi aussi, même si la plupart cancanent à ce sujet, l’ambition des êtres supérieurs, disais-je, consiste à toujours ouvrir l’esprit des autres à des vues nouvelles, des perspectives inattendues, des…

-    Ouais, bon…ça va ! On la connaît ta chanson, pépère, soupire Agent d’un ton désabusé. Tu veux quoi, en fait ?

Interloqué, le président se tait. D’habitude, dans ce genre de conversation, il est de bon ton de parler avec des fleurs, de faire des ronds de jambe, des patati-patata souriants et creux. Malheureusement, Moudubout a oublié qu’il fait face à des mercenaires, des soldats, des bandits. Non pas qu’il ne soit pas coutumier du genre, lui-même mériterait quelques gratifications pour actes répréhensibles perpétrés à l’encontre de son pays mais, simplement, il lui faudrait changer de ton. Et, pour une fois, le voilà en manque d’imagination. Il ne sait pas quoi dire, ce pauvre petit président ambitieux sans vrai plan pour l’avenir dont il parle sans conscience ! Voici un premier faux-pas qui risque de lui coûter cher. Et pas seulement à lui puisqu’en politique, la bêtise d’un seul ternie l’image de tous les autres… Et j’ai tellement raison de penser cela que les faits me donnent raison tout de suite !

Obi et Agent se consultent un instant du regard, font une grimace en soupirant puis, d’un signe, ordonnent le feu !
L’affaire est vite réglée…
Les mercenaires de l’espace, déjà en place et qui cernent donc l’auguste assemblée de terriens, redressent le museau de leurs armes en direction de leurs victimes puis…pressent la gâchette.
Les armes crachent des flots bleus qui se concentrent en une gigantesque bulle translucide au-dessus des hommes politiques. Fascinés, aucun ne pense à s’enfuir. Sans doute pensent-ils à un feu d’artifice d’un genre nouveau, tiré en leur honneur ?

Moi-même, je reste pétrifié face au spectacle et, si Adolphe ne s’était rué sur moi pour me forcer à partir à toutes jambes, je pense que je ferais aujourd’hui partie de l’énorme bloc de verre dans lequel sont enfermés tous les principaux hommes politiques du monde…

Les hommes de l’espace ont gagné la partie.
Pendant que nous courons tous les trois, j’ai attrapé Jojo par le col en bondissant hors de ma cachette, je pense avec effroi que nous allons bientôt tous mourir dans une catastrophe cosmique. Mon plan n’a finalement pas fonctionné. Même coupés de leur base, de leurs moyens de communication, ils nous sont infiniment supérieurs et cela suffit pour neutraliser des armées entières.

Pendant que nous courrons sans but précis, Adolphe me souffle, l’œil inquiet :

-    Tu sais…, fait-il en haletant, je crois…que nous allons passer…un sale quart d’heure !

Je suis incapable de lui répondre. Je me contente donc, entre deux grognements poussifs, de lui confirmer son sentiment par un regard éloquent. Un peu plus loin, il me fait signe de rentrer dans un sous-terrain. Nous n’avons plus qu’à nous terrer. Au moins pourrais-je reprendre mon souffle et me préparer à la fin.



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