Le Spationef Coincé (48)

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Plonger dans ce souterrain me fait l’effet d’une descente aux enfers. En plus de l’horrible sensation d’être poursuivi par des hordes de monstres sanguinaires, la cuisante défaite que je viens de constater me désespère. Adolphe reprend son souffle pendant que Jojo peste de l’obscurité qui l’empêche de jouer les Robert Capa. Au moins ne sera-t-il pas loin de prendre le cliché de sa vie quand il sera à la dernière seconde de celle-ci… Les présidents se sont montrés tels qu’à leurs habitudes : nuls. Les ministres ont fait preuve de leurs ambitions : démesurées. Le résultat habituel n’a donc pas manqué de se produire : une catastrophe. Une de plus. Malheureusement, il est fort possible que celle-ci soit la dernière à inscrire à leur palmarès. L’avenir immédiat de la Terre est entre les mains de quelques étrangers et je ne sais plus comment les arrêter.

Je réalise seulement maintenant la vanité de mon projet. Mon arrogance est à l’image de l’incapacité des hommes politiques. Agenouillé sur le béton peint de ce parking, je me fais l’effet d’un conjuré priant pour l’absolution de ses fautes. Sans m’en rendre compte, voilà que je soliloque à voix haute, sans me soucier de mes deux amis qui peuvent profiter en direct de mes commentaires accablés.

Ai-je fauté parce que je prétendais sauver seul le monde d’un danger encore jamais affronté ? Je persiste à croire que non. Ma seule faute est de n’avoir pas fait confiance au genre humain en général. Mon mépris, dissimulé sous quelques couches de sarcasmes sans importance, est ma vraie faute. Mon aveuglement m’a poussé à croire que j’étais « l’élu » ou un truc de ce genre. C’est vrai que Kenobi avait lui-même employé le terme pour tenter de faire de moi son ultime complice. A cette heure, je ne sais toujours pas pourquoi il prétendait cela.

Adolphe, en bon chien de chasse, continue de chercher un moyen pour nous sortir du guêpier. Il fouille, ouvre toutes les portes qu’il trouve, fracture celles qui résistent, revient vers moi l’air affairé puis, quelques instants plus tard, recommence son manège. Que fait-il ? Je n’en ai pas la moindre idée et puis j’avoue qu’à présent je m’en moque totalement. Je baisse les bras.
L’épreuve s’est avérée trop difficile pour un sombre inconnu comme moi. Il m’aurait fallu l’intelligence d’un génie, la force de conviction d’un conquérant et le dynamisme d’un grand stratège pour réussir. Je ne suis rien… Rien qu’un bon gros américain moyen, très moyen, grassouillet au point de ne plus savoir courir dix mètres sans suer comme un goret et souffler comme une forge.

-    Pourtant, si ce que tu dis est vrai, m’interpelle Adolphe depuis le fond du parking, ce Jedi de mes fesses ne t’as pas coincé pour rien. Il doit forcément avoir une bonne raison, tu ne crois pas ?

-    Mais de quoi tu parles ? dis-je sans lever les yeux.

-    Je ne sais pas trop de quoi, exactement, mais si tu réfléchis à tout le temps qu’il aurait perdu, sans parler de l’énergie que ça lui a coûté, pour te trouver, te faire tomber dans un trou sans te tuer, te libérer, te laisser passer chez ses ennemis…ça fait beaucoup d’efforts pour un mec qui ne vaudrait pas un clou, non ?

-    Que veux-tu dire ?

-    Ce que je viens de te dire, rien de plus. A toi de réfléchir, c’est toi la tête pensante, après tout !

-    Et toi ? Que fais-tu ?

-    Je m’occupe ! J’aime pas rester trop longtemps à la même place, c’est le meilleur moyen de se faire attraper, ronchonne-t-il.

-    C’est pourtant toi qui nous as amenés ici !

-    Juste le temps de trouver un moyen de refaire surface. Surface…si tu vois ce que je veux dire, ok ?

-    Euh…non, j’vois pas…

-    Bah, tu m’as l’air un peu abattu. Alors, je te laisse le temps de te refaire un moral d’acier. Et ensuite, tu nous emmèneras vers la victoire !

Pauvre Adolphe. Il ne comprend pas que nous l’avons dans le dos, cette fois-ci. Nous ne venons pas seulement de perdre une bataille. C’est la guerre tout entière que nous avons perdue, en une seule manche. La stratégie du vieux débile de l’espace a fonctionné.
Il savait qu’il neutraliserait tous nos moyens en une fois en supprimant tous les pouvoirs politiques du monde en une fois. J’ai en tête l’image hallucinante de cette gigantesque sphère transparente qui emprisonne tous ceux-là…
Je ne sais pas si c’est la meilleure chose qu'il nous soit arrivée depuis des millénaires d’esclavage plus ou moins confortable ou si c’est la première scène d’un dernier acte qui nous ouvrira ensuite les portes du Néant.
Et Adolphe persiste à croire qu’il existe une personne dans ce monde, capable de mettre un terme à cette machine qui s’est mise en route de façon si soudaine, si inattendue.

Pour mieux tuer ses ennemis, il convient de les abattre pendant leur sommeil… Homère nous l’avait pourtant bien écrit en parlant d’Ulysse et de ses compagnons planqués dans le ventre d’un cheval de bois. Comme toujours, nous n’avons rien retenu de ces histoires, sauf les perspectives commerciales qu’elles pourraient offrir aux producteurs de films à gros budgets. 
Pendant que nos physiciens et nos astronomes scrutaient le ciel à la recherche de civilisations extra-terrestres, personne n’avait imaginé qu’elles avaient déjà mis leurs sales pattes sur notre planète. Quelle ironie…
Ne jamais être là où on se saurait attendu. Autre principe de base d’une stratégie bien pensée…
Alors que nos décideurs s’acharnaient à nous contraindre aux aléas de toutes leurs pathologies, faisant de nous leurs ennemis permanents, ils ont oublié que nous sommes tous sur un seul et même vaisseau. Il aurait été préférable que les hommes s’unissent pour lutter tous ensemble contre des ennemis extérieurs plutôt que de se renifler le derrière en pensant à porter le premier coup de couteau en se disant que, de toute façon, « c’était lui ou moi »
C'est vrai qu'ils n'ont pas eu le temps d'y penser. Tout est arrivé bien trop vite. On se prépare toujours à la guerre. Seulement, on ne se prépare jamais à la bonne...

J’en suis là de ma délectation morose et avec la ferme intention de ne plus faire un geste quand Adolphe me crie d’un étage inférieur :

-    Alors ? Tu vas te décider à bouger, oui ou coprolithe ?

-    La ferme ! T’as donc rien pigé ? C’est mort, c’est cuit, râpé, fondu, foutu, torpillé, coulé ! Ils vont tout faire péter, que veux-tu que j’y fasse ? Je ne sais pas quoi faire, bordel ! T’as une idée, toi le plus démerdard que je connaisse ? Non ? Alors, ferme-la !

Et prie… ajouté-je à voix basse.

Je me sens assommé par les évènements. Tout est allé trop vite. Le pire reste cette incroyable sensation d’irréel. Il y a quelques heures, quelques jours, je ne sais plus, tout allait bien. J’allais au boulot, j’en serais revenu tranquillement sans prévoir autre chose qu’une pizza pour ma soirée. Et puis tout à basculé, ce qui n’est pas qu’une expression puisque j’ai fait une chute dans un gouffre en pleine ville !
Et puis la fin du monde se dessine, à traits légers et confus pour commencer. Puis le dessin s’opacifie un peu, les formes se précisent, les contours s’affirment. Encore un peu et les lignes de fuites deviennent claires, évidentes. Mais quand arrivent les premières couleurs…alors, c’est l’épouvante qui débute, qui se faufile entre mes vertèbres, qui me fait frissonner d’effroi sans que je comprenne bien ce qui arrive.
Non, c’est impossible que la Terre s’embrase comme ça, simplement pour foutre le feu à un pétard interstellaire qui manquerait d’une étincelle pour reprendre son chemin. Non, ça ne se peut pas !
Je fais un cauchemar éveillé, ou je suis tombé dans le délire. J’ai fondu les plombs sans seulement m’en rendre compte. Adolphe est toujours perdu quelque part en Amazonie, Jojo est en train de ruiner le malheureux patron qui a eu la désastreuse idée de l’embaucher et moi… Moi…

Moi, je dois être sur un lit d’hôpital, connecté à une flopée de tubes transparents qui m’alimentent en produits stupéfiants. Ils ont du se tromper dans les doses à m’injecter. Je suis en plein trip. Un putain de bad trip… Comment pourrais-je revenir de l’ONU, moi qui n’ai pas seulement voté un jour ? Et comment aurais-je pu prendre l’apparence d’un vieil homme pour aller pérorer sur une tribune internationale ? Foutaises que tout cela !

-    Pourtant, vous êtes bien là, tous les trois, dans ce ridicule petit parking souterrain, me susurre une voix intérieure.

Terrorisé par cette voix que je reconnais instantanément, je fais un bond puis, complètement affolé, je regarde en tous sens pour chercher une sortie mais je ne vois rien.
Je ne suis d’ailleurs plus en état de voir quoi que ce soit, tant j’ai peur. Je ne vois donc pas Adolphe emprisonné dans une sorte de filin métallique, pas plus que je ne distingue Jojo qui se tord de douleur par terre, la face écrasée par le pied d’un des soldats du Jedi…
Comme un zèbre poursuivi par un lion dans les herbes africaines, je tente de me sauver mais je n’ai pas le temps de faire trois pas. Un bref sifflement à mes oreilles et je sombre dans l’obscurité, vaincu par je ne sais quel nouveau prodige technologique.

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