Le Spationef Coincé (50)

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Je fixe cette porte qui s’ouvre. Le temps passe…mais pas vite ! Ou celui qui la pousse n’est pas assez costaud pour le faire. Un sadique qui prendrait plaisir à me faire peur ? Ou encore un… Mais ? Non… Comment est-ce possible ? Ma stupeur est totale, aussi démesurée que le sourire d’Adolphe qui rayonne de joie en découvrant enfin un visage connu. Le mien !

-    Ah, te voilà ! Ils t’ont bien caché, les affreux ! rigole-t-il en voyant mes liens.

-    Mais, que fais-tu ici ? articulé-je, sidéré.

-    Ce que je fais là ? Je cherche à manger, je crève de faim !

-    Où somme-nous ?

-    Je sais pas trop, dans une boîte de nuit un peu bizarre, je pense. Je n’en suis pas très sûr mais je crois que c’est une ancienne station de métro. Une usine souterraine, peut-être ? répond-il en me libérant à l’aide de son fameux couteau.

-    Et depuis quand ?

-    Je ne sais pas. Je me suis réveillé il y a quelques heures et, depuis, je déambule dans les couloirs. C’est gigantesque, ici. Ça fourmille de mecs déguisés comme pour un Mardi-Gras, même s’ils gardent tous des mines sérieuses. Il m’a semblé reconnaître un type, vraiment pas clair celui-là, qui déambulait dans les couloirs en disant « Téléphone, maison. Téléphone maison. » J’ai essayé de lui parler mais il s’est barré en vélo et je l’ai perdu de vue à cause d’un gros spot qui m’a aveuglé une seconde. Enfin, je te dis toutes ces choses mais je pense que nous devons vite nous faire la paire. J’ai repéré une salle, genre énorme garage où tout un tas de mecs bricolent une machine qui émet des rayons bleus pas très catholiques. Je ne sais pas ce que c’est mais je suis sûr que si ce truc explose, on risque de s’en prendre plein les gencives. Genre feux d’artifices amateurs mal contrôlés, tu vois le genre ?

-    Et Jojo ? Tu sais où il est ?

-    Il m’a envoyé un message pour me dire qu'il avait dormi dans un endroit pareil mais qu'il est finalement reparti à pied. Et puis qu’il cherchait un labo pour développer ses photos. Il a, semble-t-il, enfin réalisé la photo de ses rêves, m’a même dit qu’on serait content de lui, t’imagines ? Selon ce que je sais, il est encore sur les bords de l'Hudson. Mais toi, raconte-moi ! Pourquoi tu es attaché à ce lit ? Tu fais des cauchemars carabinés ou tu as des jeux un peu spéciaux ?

-    Adolphe, que vas-tu t’imaginer ? m’indigné-je. Je ne sais pas pourquoi je suis ici. Par contre, je crois savoir où nous sommes !

Je n’en ai pas encore la preuve, mais je suis sûr de moi : nous sommes à San Francisco. Dans ses entrailles, plus exactement. Obi Wan a trouvé le moyen de nous ramener dans son antre !
Adolphe me regarde, stupéfait des explications que je lui donne. Il me prend pour un attardé, un mystique pour commencer puis finit par me croire. Mais je constate qu’il ne s’attarde pas sur mes dires pour aller droit à l’essentiel :

-    Donc, tu sais où est la sortie ?

A moi d’être stupéfait. Pas de temps à perdre en explications superflues avec lui !

-    La sortie ? Euh…avec un peu de chance et de concentration, oui, je pense pourvoir la retrouver. Mais on a une petite chose à faire avant de partir… fais-je d’une voix mystérieuse.

-    Manger un brin ? Ce serait pas de refus parce que je commence à la sauter grave, à vrai dire, se réjouit-il.

-    Plus tard ! Non, tu dois m’emmener au garage dont tu parles. J’ai un petit cadeau à faire aux mécanos…

-    Et après, on prend le temps d’un petit déj’ ou on devra encore attendre ? rétorque-t-il un peu déçu.

-    Adolphe…tout va bien ? fais-je, surpris de son comportement inhabituel.

-    Oui, oui, tout baigne, t’inquiète, mais j’ai les crocs. Faut comprendre : deux jours sans becqueter, ça te creuse un homme, tu sais. Heureusement que j’ai trouvé un lascar qui m’a offert quelques verres, pouffe Adolphe en clignant de l’œil. Quand je l’ai quitté, il cherchait toujours son dentier !

-    Un grand maigre, cheveux noirs et l’air un peu barré ?

-    Un peu ? Je dirais carrément à l’ouest, oui !

-    Tu ne l’as pas reconnu ?

-    J’aurais dû ?

-    Pas grave… Bon, tu vas m’aider à me relever parce que je crois que j’ai une jambe qui a déclaré forfait pour le moment… Le temps que le sang retrouve la trace de mes veines, je pense.

-    Pas de problème, mon ami ! Tiens, appuie-toi sur mon épaule. Allez… c’est bon, tu tiens debout ? fait-il en m’aidant de son mieux.

C’est vrai que j’ai du mal à marcher. J’ai dû passer quelques heures sur ce lit et mes liens m’ont coupé le sang. Une myriade de petits clous fourmillent dans mes cuisses et mon équilibre tarde à revenir. Le pauvre Adolphe ploie sous mon poids mais, tel le roseau, il résiste ! Il nous faut nous y reprendre à deux fois pour passer le seuil de la porte… Nous ne passons pas à deux en même temps !
En hommes pratiques et civils et, à force de politesses faites quant à savoir qui passera le premier, nous finissons par dépasser l’obstacle. Tout ça pour nous retrouver dans les coursives sombres de l’antre des débiles de l'Espace.
Encore une petite prouesse de leur part : nous sommes revenus au point de départ sans que nous sachions comment.

-    C’est pas mal comme décors, hein ? me demande Adolphe d’un air ravi.

-    Mouais, il n’y a que l’escalier principal qu’ils ont raté… ronchonné-je, me souvenant de ma chute au début de mes tribulations.

-    En attendant, je trouve ça sympa même si ça manque un peu de gonzesses. C’est vrai, quoi ? Une boîte sans sirènes, c’est comme un aquarium sans poisson rouge, tu crois pas ?

-    Mon pauvre Adolphe…je ne sais pas ce qu’ils t’ont fait boire mais je pense que celui avec lequel tu as vidé quelques godets ne se trouvait encore pas là par hasard… soupiré-je.

 

Alors que nous avançons dans des couloirs qui ne me rappellent rien, je persiste à penser que mon ami n’a pas croisé cet inconnu par hasard, qu’il a bu une boisson destinée à en faire un outil au service des extra-terrestres, peut-être en vue de me soutirer une information. Laquelle ? Je l’ignore pour le moment mais je sais d’instinct que je dois rester méfiant. Et, plus que tout, je pense qu’il ne m’a pas retrouvé par hasard. Qui peut bien se cacher derrière toute cette mascarade ? Voilà bien des questions !

Mon ami titube… Étrange, lui qui d’ordinaire arriverait presque à soulever des montagnes. Je suis inquiet à son sujet, sans savoir réellement pourquoi. Adolphe n’est pas tel que je le connais. Il est…autre. Je ne sais pas expliquer ce que je ressens mais il est clair, au moins à mes yeux, qu’il n’est pas dans son assiette, et pas seulement parce qu'il a faim. D’ailleurs, maintenant que je ne sens plus les effets de ma récente captivité, c’est presque à moi de le soutenir.

Il marmonne des petits mots incompréhensibles. A croire qu’il est ivre. J’ai peur de devoir me débrouiller seul pour retrouver le garage géant. C’est un vrai dédale ; tous les couloirs se ressemblent et je ne trouve aucun indice pour m’orienter. Même le réfectoire infernal échappe à mes recherches. Adolphe, lui, marche avec toujours plus de difficulté. Son souffle est maintenant saccadé, il est couvert de sueur et son regard devient flou, hagard. Que lui est-il arrivé, bon sang ? Nous nous arrêtons dans une petite pièce vide. Je l’installe doucement par terre, prends son pouls pendant que je tente de comprendre ce qu’il a. En vain, bien sûr. D’abord, je ne suis pas médecin, ensuite il est incapable de répondre à mes questions angoissées. J’ai mauvaise conscience à le faire, mais je dois me résoudre à le laisser seul ici. Il serait dangereux de continuer avec lui. Mais que lui arrivera-t-il sans moi ?

-    Eh bien…on pourrait peut-être le surveiller un peu, si tu veux ?

Quand retentit cette voix inattendue, je manque mourir de stupeur. Comment ai-je pu ne pas entendre le souffle catarrheux de cette vieille boîte de conserve ? Dark Vador !
Il est là, le port altier et l’uniforme impeccable, penché juste au-dessus de mon épaule. Maintenant que j’ai réalisé sa présence, je n’entends plus que les bruits infects de sa pompe respiratoire. Il est tellement près de moi que j’entends les moindres cliquetis de sa quincaillerie ! A mon avis, d’ailleurs, je pense qu’une petite révision serait la bienvenue : il a les rouages qui grincent, les mécanismes qui coincent, les roulements qui grippent et les boulons qui branlent dans le manche ! Finalement, une fois passée l’impression de la silhouette et de l’uniforme, le Prince des Ténèbres ne résiste pas à une inspection un peu attentive… Même les héros subissent les effets du temps. Moi qui les croyais éternels, inoxydables, inaltérables… Dommage.

-    Tiens, donne-lui un peu de ça… fait une autre voix, derrière le sombréro, pardon, le Sombre Héros.

C’est Marcel, le mécano céleste, qui me confie d’une main timide un petit flacon ! Le cher Marcel, quelle bonne surprise !



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