Le Spationef Coincé (51)

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Marcel, le mécano qui se foutait de moi et de mes fusibles !  C'est bien lui, les bras encombrés de quelques outils qui ne me disent rien de précis. Il capte mon regard curieux.

-    Ça ? fait-il d'un air enjoué. Eh bien, disons que si tu devais faire une vidange de ton moteur de voiture, tu en aurais besoin pour dévisser quelques boulons et trucs du genre. Des outils de première nécessité, en quelques sorte, tu comprends ?

Je ne réponds rien. Parce que je réfléchis. Si ces deux-là nous ont trouvés, ça signifie sûrement que les autres savent déjà que nous sommes dans le vaisseau. Obi Wan me les a peut-être expédiés en éclaireurs, en messagers, en émissaires, en négociateurs. Bref, ces zozos ne sont pas là pour rien. Autant en avoir le cœur net tout de suite.

-    Dites-donc, les copains... Seriez pas en mission, pour ainsi dire ?
-    Absolument, mon jeune ami, rétorque Dark sans sourciller. On est chargés de te ramener à notre QG. Et si on pouvait le faire sans que ça vire au mélodrame, on pourrait t'épargner quelques désagréments, tu comprends ?
-    J'ai le choix ?
-    Bah...pas trop, en fait, répond Marcel d'un air un peu gêné.

Je les observe un instant, pesant le pour et le contre. De toute manière, je n'ai aucune chance de leur échapper.

-    Vous pouvez faire quelque chose pour mon ami Adolphe ?
-    Si tu viens avec nous sans faire de salade, tu peux compter sur nous. D'autres viendront pour prendre soin de lui, je te le promets.
-    Bon...alors, allons-y, fais-je, fataliste.

Ils m'encadrent comme deux flics feraient avec un suspect. Dark me pousse en direction d'un couloir qui vient de s'ouvrir près de nous. Un dernier regard en direction d'Adolphe : je suis seul, maintenant.
Nous déambulons dans des coursives qui se ressemblent toutes. Comment font-ils pour s'y retrouver, je l'ignore. Pourtant, il ne nous faut pas longtemps pour arriver dans une grande salle chichement éclairée. Au centre de cette pièce, un fauteuil, genre condamné à mort par électrocution...
A l'évidence, il est pour moi. Alors, un peu bravache, je vais crânement y prendre place et j'attends qu'un type vienne m'y entraver les mains et les chevilles.

-    Ne craignez rien, mon cher monsieur, fait une voix que je ne connais que trop.

-    Encore vous, Obi Wan ? fais-je sans me retourner. Décidément, il est écrit que je ne pourrais jamais me débarrasser de vous !

-    Au contraire, mon ami. Au contraire ! A vrai dire, si vous ne nous aviez pas fait perdre autant de temps, il y a belle lurette que vous auriez tout oublié, même votre chute ici...

-    Pourquoi avoir déclenché tout ce bazar, alors ?

-    Tu as un peu échappé à notre contrôle. Nous ne pensions pas que les Agents pourraient s'emparer de toi aussi facilement. Ces diables en costumes ont été plutôt efficaces ! Et puis, c'est eux qui avaient les billes...

-    Pourquoi tout ce cirque à l'ONU ?

-    Cela ne devait pas se passer comme ça. Une fois encore, les Agents sont venus semer la zizanie pour nous empêcher de lancer notre ultime opération !

-    Mais vous étiez sur le point de déclencher une nouvelle guerre, bande de sauvages !

-    Quelle importance ? Et puis, ces guerres sont le seul moyen de vous faire progresser assez vite pour découvrir de nouvelles technologies ! Ne rêvez-vous pas de coloniser de nouveaux mondes, vous aussi ?

-    C'est dans l'esprit de quelques tordus, c'est vrai mais pas la peine de massacrer une planète pour ça ! m'emporté-je encore un peu plus.

-    Nous devions seulement convaincre quelques récalcitrants parmi vos hommes politiques...

-    Parce qu'ils connaissaient votre présence sur Terre ?

-    Bien sûr ! Des pipelets comme eux sont toujours au courant de tout. Ces petits fouille-merde ont tellement peur de ne pas tout contrôler qu'ils ne peuvent vivre sans perdre leur temps à collecter toutes les informations du monde. Et puis, j'ai veillé en personne à ne rien leur sceller de notre présence en échange de leur complicité. C'est tellement simple de les corrompre qu'on pourrait leur faire  vendre leur mère en échange d'un petit privilège de plus, tu sais...

-    Qu'aviez-vous à gagner à les rendre encore plus pourris ?

-    La promesse qu'ils nous ouvriraient les mines dont nous avions besoin pour réparer notre appareil, tout simplement.

-    Pourquoi êtes-vous encore là ? m'étonné-je sans plus rien comprendre.

-    Bah, ils sont corruptibles, c'est vrai, mais ils sont d'une stupidité qui frise la pathologie... C'est Marcel qui, un matin qu'il discutait mécanique avec Solo qui a trouvé la meilleure définition les concernant : "Bons à rien, mais prêts à tout !".  Bref, à cause de leur infinie médiocrité, nous nous sommes retrouvés coincés ici malgré nous, ça c'est vrai. Ce qui explique que nous sommes parfois obligés de vous massacrer en masse pour les obliger à se sortir les doigts du fion et faire leur boulot sans plus penser à leur compte en banque !

-    Mais c'est vous, les débiles ! Pourquoi demander à des incapables de faire des choses que seuls les scientifiques peuvent faire ?

-    Peuh ! Vos "scientifiques" et autres "chercheurs" ne sont que de doux rêveurs, dans le meilleur des cas mais, trop souvent, ce sont de grosses gonfles qui se prendraient vite pour les Maîtres de l'Univers ! Parce qu'ils savent compter un peu plus loin que 2+2, ils estiment que le reste de l'Humanité relève à peine de l'homme des cavernes ! Non, vraiment, chez les hommes, il n'y a vraiment pas grand-chose à sauver...

-    Et les femmes ?

-    Même chose. Et puis leur obsession permanente d'un ventre plat les empêche de penser à autre chose de plus constructif, malgré de belles capacités, il faut bien l'admettre. On a essayé avec certaines qu'on a propulsées au Pouvoir dans l'espoir de les voir changer la donne mais elles se sont empressées de faire pire que leurs homologues masculins...

-    En plus vous n'êtes que de stupides machos ! fais-je, ironique tout plein.

-    Pas plus que ça mais...

-    Bon, arrêtons de perdre plus de temps, le coupé-je, énervé d'entendre tant d'inepties, je fais quoi dans votre plan, finalement ?

Mon intervention provoque un remous autour de moi. Quelques soupirs contents de silhouettes glissées dans la pénombre m'apprennent que je ne suis pas seul avec le vieux forban. Après quelques gesticulations inutiles depuis mon fauteuil, je constate que tout l'équipage est présent, masqué dans l'ombre. Même les Agents sont là, visiblement ulcérés de tout ce temps perdu en palabres futiles. Ma question retient l'attention de tout le monde mais le Jedi ne répond pas. Faut dire qu'il farfouille dans les pans de sa tunique de laine, à la recherche d'une chose qu'il tarde à trouver. Finalement, sûrement parce qu'il se coince la langue entre les dents pour s'aider, il extraie enfin de ses poches la petite bille de verre, semblable à celle que j'avais écrasée alors que Christine Lagourde tentait de me vampiriser dans l'ONU...
Stupéfait, je lorgne avec curiosité pendant qu'il m'observe avec un sourire malin. Comment a-t-il fait pour me la prendre ? Je l'avais encore dans la main il n'y a pas deux minutes !

-    Je vois que tu reconnais cette petite chose... commence-t-il d'un ton patelin.

-    Est-ce parce que vous projetez encore de m'envoyer sur une de vos missions minables ? Maintenant que vous avez ruiné toute la Grosse Pomme, vous voulez peut-être présenter vos excuses ?

-    Des excuses, pourquoi donc ? N'êtes-vous pas satisfait de voir tous gros malades mentaux enfermés dans cette jolie bulle imputrescible ?

-    On sait ce qu'on perd, mais on ne sait jamais ce qu'on prend... rétorqué-je, dubitatif. Vous savez, Obi, quand je considère vos manières avec celles des miens, je ne vois pas grande différence. On change de maîtres mais c'est souvent pour trouver pire encore.

-    Soyez rassuré, une fois de plus : nous allons bientôt partir parce que, maintenant, mon plan est presque terminé...

-    Votre plan ! Foutaise encore ? Depuis que je vous ai rencontré, vous en êtes à votre énième version ! Vous êtes une vraie boîte à idées foireuses, mon pote !

-    Que tu crois, mon ami... répond le Jedi, me tutoyant soudain, le ton un peu plus impatient. Il me fallait réunir tout le monde, c'est-à-dire tous les ingrédients requis pour nous permettre de repartir chez nous. Quand je dis tout le monde, c'est notre équipage ; les groupe complet des Agents qui disposaient sans le savoir de l'ingrédient indispensable, mais aussi tous ceux et toutes celles qui avaient échoué sur Terre avant nous pour ne laisser aucune trace de notre passage. 

-    Aucune trace ? Mais vous délirez, mon pauvre monsieur ! Chacun de vos actes a déjà laissé de profondes cicatrices dans notre monde. Dois-je vous rappeler que les grandes catastrophes terrestres sont presque toutes de votre responsabilité, à vous mais aussi à tous les autres ? Vous avez décidé de choses épouvantables pour vos besoins particuliers, sans jamais tenir compte des souffrances que vous avez imposées à mes semblables !

-    Bon, maintenant, ça suffit tes remontrances d'humanoïde sous-développé, mon petit gaillard, c'est compris ? m'interrompt le Jedi en frappant du poing sur sa table. J'en ai marre de tes commentaires à la con ! Vous ne savez rien fabriquer sans manquer un peu plus tous les jours de ruiner vos chances de survie avec vos produits chimiques de merde et tu aurais la prétention de me faire un cours de morale ? Non, mais regarde ton monde, mon ami. Tu sais, cette fameuse "petite planète bleue, sans pareille dans l'Univers, fragile et admirable, peuplée d'espèces inouïes, à commencer par des bipèdes doués de la pensée, etc..." ! Regarde ce que vous en faites ! Pour que vous puissiez vous poser le cul sur vos canapés fait de la peau d'animaux que vous massacrez à tours de bras, vous ruinez tous les équilibres écologiques qui ont pris des milliards d'années ! Tout ça pour péter de joie en regardant une bande de connards taper dans un ballon rond ! Et tu voudrais me faire croire que je ne peux pas faire ce que je veux de ta planète de merde ? Tu veux un bon conseil, petit primate prétentieux ? Ferme-là et ne m'interromps plus !

Bon, je me dis que là, il est mieux que je la ferme comme il me le conseille ! Ses yeux flambent de colère, ses mains tremblent pareil et je ne serais pas plus surpris s'il lui venait l'idée de me fendre en deux d'un seul coup de son sabre-laser. Vaincu par la menace de son regard, je baisse les yeux et fais profil bas. En plus, il n'a pas tort : nous sommes, nous les humains, de gros prétentieux qui massacrons le monde pour pérenniser notre petit confort de citadins incultes...
Et puis je sens que la foule invisible autour de moi pense comme le Jedi, alors, puisque je suis le seul incriminé au nom de tous les miens, j'avoue que je ne me sens pas l'âme guerrière au point de les défier maintenant. Bref, je suis vaincu par les arguments et par la masse.
Le vieux chef cosmique prend encore quelques minutes pour retrouver son calme puis, d'un ton qui se veut plus amical, reprend son petit discours :

-    Je te disais donc, humain de merde, que mon plan arrive enfin à son terme. Parce que tu n'es qu'un poireau perdu dans un champ de poireaux, je vais devoir perdre quelques instants pour t'expliquer enfin pourquoi tu fais partie de mon plan. Je vais y aller doucement, parce que je pense, finalement, que tu es encore plus stupide que tes pareils, quoique je fus longtemps persuadé du contraire.

-    Mais...

-    Ferme-là ! clament d'une seule voix tous les autres autour de moi.

-    Oui, tais-toi enfin, et écoute ! grommelle Obi Wan, que je finisse. Comprends que tout mon petit monde est pressé de vous quitter, de vous oublier, de vous laisser à votre sort. Qu'il se moque de vous et de vos prétentions de sous-développés pour retourner vers les étoiles, seul endroit où vous ne serez jamais les bienvenus !

Il me lance un regard rempli de haine, de celle qui triture les entrailles et font gonfler les veines aux tempes. Impressionné par tant de véhémence, je décide de la fermer, une bonne fois pour toute, comme demandé...

-    En des temps immémoriaux, des gens de ton espèce ont tenté de comprendre pourquoi certains parmi eux étaient appelés à de grands destins pendant que la multitude des autres devait accepter de survivre de leur mieux. Une sorte de sélection naturelle, en quelque sorte, vois-tu ? Les premiers n'arrivaient pas à comprendre la raison de la présence de tous ces inutiles, ces imparfaits que vous êtes dans votre immense majorité. Certains, plein de compassion, ont tout fait pour dispenser un peu de leur savoir aux plus ignorants mais ils durent vite faire marche arrière. S'il était en effet possible d'éduquer les moins capables, les résultats obtenus n'avaient produit que des monstres dépourvus des qualités essentielles pour bien exploiter un quelconque savoir. A commencer par la Sagesse. C'est une vertu que bien peu d'hommes possèdent sur cette planète et, à mon grand regret, l'expérience finale démontre que tu ne méritais pas d'apprendre auprès de nous. Certes, les mouvements que nous t'avons imposés étaient sinueux, tarabiscotés à souhait mais le Savoir ne s'apprend pas sans détour, vois-tu... Aussi, avions-nous tous décidé de te laisser te débrouiller pour gagner ton droit au progrès. Comme la plupart d'entre nous le redoutaient, tu t'es avéré aussi animal et primitif que tous ceux qui sont aujourd'hui enfermés dans cette gangue translucide dont nous espérons qu'elle fera réfléchir quelques-uns des promis à diriger ce monde. Il est vrai que nous serons toujours sans compassion pour vous mais accordez-vous la moindre importance aux animaux que vous immolez tous les jours ? Certes, non. Parce que vous vous sentez les maîtres de ce monde, vous avez oublié votre statut d'animal peu adapté à la vie dans des environnements hostiles. Vous vous pensez prédateurs absolus mais, en fait, vous n'êtes que de petits animaux à peine savants et vous jouez tous les jours dans un cirque que vous avez fabriqué à la mesure de vos faibles capacités. Pour revenir à ces temps anciens que j'ai évoqués au début de mon discours, mon pauvre petit terrien, rappelle-toi ces légendes qui parlaient d'un roi juste et courageux. Je dois préciser lequel, puisque ces rois émaillent vos romans depuis des millénaires mais vous n'êtes jamais foutus d'en tirer le moindre enseignement ! Celui dont je te parle s'appelait Arthur. C'était un roi celte, un rude personnage qui vivait bien avant votre ère. La plupart de vos historiens se perdent encore en questions quant à savoir s'il a vraiment vécu ou non mais, peu importe en fait. Issu du peuple, ce type fut choisi par un de nos premiers arrivés sur Terre. A l'époque, vous ne saviez rien de bien précis. Vous pensiez même qu'il fallait vous entretuer pour faire revenir le soleil tous les matins ! Profitant de la crédulité de ces sauvages à peine civilisés, notre  représentant a tenté de vous inculquer quelques principes sages et faciles. Ce ne fut pas bien difficile de planter une épée dans une roche, de propager une rumeur affirmant que seul un être Élu par des Dieux saurait l'en extraire et qu'il dirigerait le monde vers un Paradis terrestre, trouvaille facile encore pour obliger les masses à faire quelques efforts pour se bonifier. Organiser une rencontre pour tous les prétendants à cette loterie extraordinaire ne fut pas plus difficile, même s'il fallait bien s'attendre à voir débouler tous les prétentieux habituels, les prédateurs déjà en place et s'amuser un peu avec leur fierté et leur arrogance. Bien entendu, le jeu était truqué et les résultats connus à l'avance par notre prédécesseur. L'important n'était pas là : le jeu était une tentative pour vous rendre moins stupides, plus ouverts. La comédie dura quelques temps, pendant lesquels tout le monde tenta sa chance. Il fallait laisser passer tous les fiers, tous les plus hargneux, tous ces adultes qui avaient mal grandi, qui se comportaient encore en enfants mal élevés dans les cours d'école. Les adultes... des sales mômes, rien de plus, soupire le Jedi avant de reprendre : il fallut bien se résoudre à finir ce petit jeu. La leçon serait apprise, espérait le maître. Quand Arthur, dernier des derniers se présenta face à l'épée, personne ne pensait qu'il pourrait gagner. Tous les autres avant lui, les grands, les riches et les forts n'y étaient pas arrivés, alors lui ? Aucune chance ! Ce ne fut pas par sagesse que ceux-là laissèrent sa chance au plus insignifiant mais simplement par dépit. Quand ils virent jaillir l'épée, tenue à bout de bras par cet adolescent un peu trop faible pour bien la porter, ils n'en crurent par leurs yeux et la plupart prétendirent lui sauter dessus pour s'en saisir et abuser, une fois encore, de leur force pour s'arroger des droits qui ne leur revenaient pas. Bien entendu, là aussi, le concepteur de ce petit stratagème avait pensé à tout et il lui suffit d'actionner quelques petits trucs pour réaliser les prodiges qui eurent vite raison des prétentions des mesquins et des voleurs. Arthur avait retiré l'épée du rocher ! Lui, et personne d'autre...

Arthur... Je ne dis rien mais cette histoire m'interpelle profondément. Cependant, je ne veux rien laisser paraître.

-    Elle est bien belle, votre histoire, monsieur le Jedi mais je ne vois toujours pas en quoi elle me concerne. Pour ma part, même s'il y avait une épée en face de moi, plantée dans un bloc de béton, je vous assure que je ne me déplacerais pas pour tenter de m'en emparer. Le Pouvoir est chose mauvaise, je suis d'accord avec vous. Il me semble même que vous l'avez oublié, vous aussi !

-    Non, petit humain, n'en crois rien. Je sais les limites à ne pas dépasser pour tracer le chemin qui mène là où la majorité veut aller, et pas seulement choisir les voies qui me conviendraient à moi, uniquement !

L'assemblée autour de nous s'est resserrée, je retrouve les mêmes têtes, les mêmes gens qu'au premier jour dans ce vaisseau. Ils sont hypnotisés par la voie du vieillard qui débite sa litanie comme un vieil homme le ferait peut-être en racontant devant un feu de bois la prise et la destruction d'un empire perdu. Dans tous les regards brillait une petite flamme dorée qui irradiait leur visage, les rendant presque humains.

-    La Sagesse ne dura que le temps d'un règne. Dès la mort d'Arthur, la nature des hommes reprit le dessus et le chaos recommença de plus belle. La leçon n'avait servi à rien, conclu Obi Wan avec dépit, presqu'avec rancœur. Les hommes se déchirèrent les vestiges de son héritage et les plus forts s'arrogèrent encore des privilèges qui ne devaient pas en être.

-    Ok...tout ça pour dire quoi ? fais-je avec ironie.

-    Tout ça, comme tu dis, pour tenter de te faire comprendre que le jeu de mon prédécesseur s'avéra quand même utile...jusqu'à maintenant. Aujourd'hui, cette petite histoire vient d'ouvrir ton esprit pour recevoir une information que tu aurais eu du mal à accepter en d'autres circonstances...

-    Hé, hé...je brûle de savoir ! me moqué-je sans m'en cacher. Vos histoires d'enfants devraient me préparer au grand scoop ? Vous déraillez totalement !

-    Pauvre niais que tu es ! me rétorque-t-il avec condescendance. Sais-tu quelle morale nous devons retenir, toi et moi, de cette comptine ?

-    Non et, sincèrement, je m'en bats l’œil et le flanc droit !

-    Alors, écoute ceci : il est à retenir que seul Arthur pouvait retirer l'épée de la roche. Lui et personne d'autre ! Sans lui, le royaume celte ne pouvait voir le jour, la légende n'aurait pas pu s'inscrire dans vos pensées primitives, la Sagesse n'aurait jamais eu la moindre chance d'éclore dans les esprits des plus parfaits d'entre vous ! Le hasard fit que cela ne fut qu'une expérience, il y a plusieurs millénaires de ça mais, aujourd'hui, le miracle se reproduit sans que personne ne l'ait décrété !

-    Oui...ok... Et alors ?

-    Et alors ? Eh bien, disons pour faire simple ; tu ES Arthur ! fait Obi en se tapant sur les genoux de dépit à cause de mon incompréhension totale. Tu es Arthur, tu comprends ce que je veux dire ? tente-t-il encore.

Bon...cette fois-ci, je crois qu'il est temps d'admettre.
Je reste un peu surpris de la conclusion de tout ce laïus pompeux. Dubitatif, aussi. Et puis, fort perplexe. D'abord parce que je me prénomme effectivement Arthur. Ça n'a rien d'exceptionnel, je sais. Je pense que ce Jedi a définitivement pété les plombs, en fait. Tout ce bordel sur et sous la surface pour me rappeler que je m'appelle Arthur ?

J'éclaterais bien de rire pour me détendre un peu mais, franchement, je sens que tous les autres autour de moi attendent une autre réaction de ma part. Mon problème, à cet instant précis, c'est que je ne sais pas ce que je suis censé devoir faire...
Alors, je reviens aux fondamentaux ; je fais mine de réfléchir intensément ! Le front soucieux, je cale ma main sous mon triple menton et je ferme les yeux en me fixant d'urgence une idée à sortir de tout ça. Malheureusement pour moi, j'ai oublié que presque toute l'assistance autour de moi est capable de lire dans mes pensées, ce dont ils ne se privent pas, les saligauds ! Et ils ne manquent pas de grogner de plus en plus fort, au point que certains se mettent à grommeler des choses pas sympas à mon intention...
Allons ; puisque je ne comprends pas ce que ce vieux machin s'échine à vouloir m'apprendre et que tous les autres ont bien lu en moi que je ne suis qu'un imbécile, il est temps de demander de l'aide !

-    Je suis désolé mais...je ne comprends pas, fais-je d'un air dépité.

-    Ouais, ça non plus, c'était plus la peine le dire, confirma Obi Wan d'un ton vraiment déçu. Alors, je vais faire encore plus simple...

Il reprend sa petite bille en verre, me la montre pendant de longues secondes, l'air interrogateur. Bon, je regarde la chose comme le ferait une cartomancienne au travers de sa boule de cristal mais, telle Sœur Anne, je ne vois rien venir. c'est juste désespérant et je me sens soudain très mal à l'aise, comme pendant mes années d'école, face à mes profs qui s'arrachaient les cheveux à vouloir me faire comprendre leurs cours ou encore face à ces donzelles dont j'espérais conquérir le cœur, d'abord, le cul, ensuite, mais qui se moquaient ouvertement de moi !

-    Fais un effort, s'il te plaît, me supplie presque le Jedi. Je t'en conjure !

-    Oh, mais j'y comprends rien, merde à la fin ! Qu'est-ce que vous voulez que j'en foute de votre bille à la con ? Vous voulez qu'on se fasse une petite partie contre un mur, dans un cercle, dans un triangle ? Vous croyez quoi ? Que je suis encore assez idiot pour jouer à ce genre de connerie, hein ? Vous savez où vous pouvez vous la fourrez votre bille céleste ? Vous voulez vraiment que je vous le dise ? Eh bien, vous pouvez la mettre au cœur de votre putain de réacteur en panne et espérer qu'elle dégagera assez d'énergie pour vous renvoyer au diable !
Et si vous n'êtes pas assez courageux pour le faire vous-même, z'avez qu'à me la donner et me montrer où la mettre ; je serais encore assez con pour le faire à votre place ! Parce que, si ça se trouve, je suis le seul à pouvoir le faire, tout humain de merde que je suis, hein ? Et puis...

Et puis je ne rajoute plus un mot !
Je viens de comprendre...
Obi Wan Kenobi me regarde enfin avec un sourire qui illumine son visage. Une vraie joie, comme celle qu'on éprouve à prendre dans les bras son enfant tout juste né. Lui et ses compagnons se rapprochent tout près de moi, m'invitent à sortir de mon siège et me prennent dans leurs bras, au moins dans les trucs qui y ressemblent, et me congratulent avec affection ! Ils m'étoufferaient presque si je ne me dégageais rapidement.
Je les tiens à distance en écartant les mains devant moi, prenant la parole pour leur signifier que je suis heureux aussi, même si j'ai encore du mal à formuler ce que j'éprouve à cet instant. Conscients de la tempête qui vient de se déclencher en moi, ils restent à quelques pas de moi, dans l'attente de m'entendre. Je sais qu'ils ne liront pas en moi parce qu'ils sentent que l'instant est magique et qu'ils ne veulent rien perdre de son intensité.

-    Je...je crois que j'ai compris, Obi. Je crois que j'ai compris ! Je suis celui dont vous aviez besoin pour utiliser cette toute petite bille, c'est ça ?

-    Oui, c'est exactement ça ! confirme le vieil extra-terrestre. Pour une raison inexplicable, nous ne pouvons le faire nous-mêmes. Pour incroyable que cela puisse te paraître, nos connaissances ne suffisent pas.

-    Mais...? En quoi est faite cette bille ? demandé-je, soudain curieux .

-    Ben...on sait pas, justement ! intervient Marcel. Nos techniciens et scientifiques ont tout fait pour comprendre sa nature mais, faut bien admettre que sur ce coup-là ils n'ont pas assuré une cacahuète ! Obi l'a trouvée au fin fond d'une pampa glacée du Pôle Nord mais on ne saurait t'en expliquer ni la provenance ni la consistance. On a pourtant tout essayé avec ce machin mais sans jamais rien en obtenir de concluant. Par sécurité, on l'a gardée en se disant qu'on finirait bien par en faire quelque chose puis Obi, toujours lui, avait senti dans la Force que nous ne pourrions pas en faire usage nous-mêmes. Il avait même lu dans la Force qu'il faudrait qu'un humain nous dise quoi en faire...

-    Et vous attendez depuis qu'humain vous dise quoi faire de cette bille de merde ? m'étranglé-je presque d'enthousiasme.

-    Ben...ouaip ! avoue Marcel.Il n'y a qu'un seul homme au monde pour le faire. Notre problème était que nous ne savions pas qui pouvait être cet homme. Nous t'avons cherché pendant des années sans jamais te trouver. Quand nous avons compris que tu n'étais pas encore né, alors nous avons compris que nous n'avions plus d'autre choix que d'attendre.Nous nous sommes glissés dans ton monde sans que personne ne sache jamais notre présence. Au tout début, nous ignorions que les Agents avaient cette bille extraordinaire en leur possession. Quand Obi à vu dans ses rêves qu'elle devait nous revenir pour remettre en route notre vaisseau, alors nous avons tenté de les contacter. Les Agents sont aussi des extra-terrestres en panne mais leur navire est définitivement hors-service. Il ne pourra jamais reprendre la route. Alors, ils ont tout fait pour nous piquer le nôtre. Normal, en d'autres circonstances, nous aurions fait de même. Mais les choses ont tourné à l'aigre-doux assez vite, faut admettre. Après des décennies de négociations inutiles, nous avons dû nous résoudre à ne plus jamais nous fréquenter, pour le bien de la planète. Il nous fallait attendre ta naissance. Pendant ce temps, Kenobi a conçu son plan... Notre plan, dont le final qui consistait à ruiner votre planète n'était qu'un leurre destiné à faire croire aux Agents que nous allions tenter le tout pour le tout en sondant le noyau de votre planète. Toucher au cœur d'un corps céleste revient à le détruire, tout simplement. Nous le savions parfaitement. Les Agents aussi. Or, ils ne pouvaient pas nous laisser faire ça puisqu'ils seraient aussi condamnés à mourir sur ta planète... Quand on t'a enfin découvert, Obi Wan a donc actionné sa stratégie totalement folle, un incroyable coup de poker, pour déstabiliser les Agents qui, tu peux me croire, sont des gens totalement raisonnables... Nous les avons donc forcés à se découvrir dès l'instant où nous avons pu entrer en contact avec toi, leur faisant savoir, par l'intermède un peu rocambolesque d'une vente d'armes destinée à provoquer une troisième Guerre Mondiale, que nous t'avions trouvé. Tout cela n'était qu'un simulacre parfaitement organisé par nos soins qui n'avait pour but que de manipuler les Agents... Tu étais la toute dernière pièce d'un puzzle qui nous manquait pour repartir chez nous. Seulement, les Agents avaient les billes !  Pas mal foutu, comme plan, hein ? Allez...admets qu'il en a plein le chou, notre Jedi !

Je prends tout ça dans les gencives sans trop y croire. Pourtant, au fond de moi, je me sens enfin utile sur cette Terre ! C'est comme si, alors que je serais resté pendant des décennies seul sur une scène obscure, un spot-light venait de darder ses rayons sur ma pomme et qu'un public patient m'applaudissait enfin !

-    Et si je venais de vous dire n'importe quoi ? m'inquiété-je soudain. C'est vrai, ça ; et si tout ça n'était qu'un coup de colère ? Si j'avais dit ça ou autre chose ? Et si j'avais conseillé à Obi de se la mettre ailleurs, sa bille ?

Mon inquiétude soudaine les fait rire ! Ils commencent même à railler Obi qui ne manque pas d'éclater de rire à toutes les âneries salaces que ses compagnons lui infligent sans tenir compte de son autorité ! Moi, un peu en retrait, je les regarde et je ne peux m'empêcher de penser qu'aucun chef humain ne tolèrerait ce genre de moqueries. Peut-être sont-ils un peu plus avancés que nous sur la voie de la Sagesse, finalement ?

Après quelques instants de franche rigolade, ponctués d'éclats de rire et de commentaires amusés, Obi Wan s'approche de moi et, me tapant amicalement sur l'épaule me dit d'une voix heureuse :

-    Bon, maintenant que tu t'es fait appelé Arthur, si on allait insérer cette bille dans le réacteur ? Tu crois pas qu'il est temps que tout cela s'arrête ?

-    J'en suis même persuadé ! fais-je en souriant à pleines dents.

Un cortège se forme, me propulsant à sa tête, accompagné d'un Jedi heureux et fier de lui. La Force, cette improbable invention cinématographique américaine, existe bien... Obi Wan me guide vers le gigantesque atelier de réparations et je comprends à cet instant que la réunion qui vient de se dérouler était de la première importance parce que les techniciens étaient aussi de la partie, qu'ils avaient abandonné leur atelier pour assister à ma révélation. Le garage spatial immense est désert, seulement habité par une foule de robots immobiles. Au centre de la salle, sur son promontoire, le fameux réacteur s'offre à moi. Tout le monde reste quelques pas derrière moi. Même le Jedi reste un peu en arrière...
Quels sont les risques pour moi ? Et si je foutais le monde par terre ? Et si je déclenchais l'holocauste final, détruisant la Terre, rendant ainsi raison malgré moi aux volontés du vieux combattant de l'espace ?

-    Aie confiance en nous, pour une fois ! m'intime soudain un cri commun.

Bon... confiance leur faire je dois, comme dirait un petit bonhomme vert dont je suis surpris, seulement maintenant, de ne pas l'avoir croisé ici. A moins que...

-    Alors, tu te décides ? me lance Marcel par la pensée.

-    Ça vient, ça vient...ronchonné-je. Quels sont les risques ?

-    Aucun puisqu'on ne sait pas comment ça fonctionne ! me rétorque-t-il avec sa désinvolture habituelle. Va, place-là où tu penses qu'elle doit l'être, on verra après. Si ça se trouve, comme tu le crains, ça ne marchera pas encore pour cette fois !

On m'équipe d'une combinaison, d'un casque, de lunettes de protection et de tout un attirail qui me transforme en astronaute. La seule chose qui me manque, c'est une radio. Inutile puisque tout le monde pratique la télépathie ! Et Obi me remet la bille avec une solennité toute particulière. C'est enfin à moi de sauver le monde.

Je me décide après une ultime hésitation. La pression est forte : tout le monde me regarde, me dévore des yeux, même ! Je me hisse sur une échelle pour me pencher ensuite sur les entrailles de la bête mécanique. Un peu dépassé, je me retourne encore vers l'assemblée pour rappeler que je n'y connais rien mais ils me font tous signe de faire ce pour quoi je suis né, selon eux !
Alors, je penche encore un peu. Et, à cet instant, je comprends que je me penche un peu...trop !
En effet, l'échelle glisse sur le sol couvert d'huile et je plonge malgré moi dans le réacteur, hurlant d'effroi et de terreur. Les autres applaudissent, pensant peut-être que je plonge dans le moteur comme un combattant monte à l'assaut d'une citadelle imprenable ! Et je me ramasse une fois de plus la tête la première sur des trucs et des bidules durs et froids. Normal, c'est  un moteur à l'arrêt. Heureusement à l'arrêt, d'ailleurs, sinon je pense que je serais déjà réduit à l'état de bouillie. Bref, je tombe encore une fois mais, cette fois-ci, c'est grave : la bille que le Jedi m'avait remise avec solennité vient de m'échapper des mains ! Elle tombe je ne sais où dans les coins et recoins du moteur, rebondit plusieurs fois en faisant le bruit d'un objet métallique qui tomberait dans les tuyaux d'une plomberie immense. Chaque écho soulève l'enthousiasme débile des extra-terrestres persuadés que je suis ne train de leur bricoler une réparation extra-ordinaire ! J'en entends même hurler de joie, proposer de faire de moi un chevalier de l'Apocalypse, un bistrot qu'ils ont l'habitude de fréquenter pendant leurs permissions terrestres !

Ils sont là, tout contents, pensant que j’œuvre pour leur liberté alors qu'en fait je tente désespérément de sortir de cet enfer ! Cette fois-ci, j'ai l'esprit qui cavale à toute allure. Je me dis que si je suis bien celui qu'ils attendent depuis si longtemps, alors, miracle pour miracle, il n'est pas impossible que cette fichue bille se mette en place toute seule, réparant le réacteur et, pire encore, le mette en marche sans prévenir ! Je serais vite grillé comme un hareng si cela devait se produire, non ? Et tous ces cons qui se tapent sur les cuisses en croyant que je suis devenu maître dans l'art de réparer les chignoles de l'Espace ! Je suis frais, moi !

Pendant que je tente de m'extraire de là, je me couvre d'huile, de graisse et de plein d'autres produits gluants. Mes vêtements ne sont bientôt plus que des trucs infâmes qui me collent à la peau, moulant mes formes rondes et grasses au point de me transformer en Bouddha vivant ! Mêmes mes cheveux sont plaqués sur mes tempes et mon front, me donnant l'air d'être chauve. Ne manque plus qu'une boucle d'oreille ou un os dans les narines et le tableau serait parfait ! Mais j'ai horreur de me salir, moi. Alors, je grogne comme un animal pris au piège, j'enrage de ne pas savoir me sortir de là et je me démène comme je peux pour émerger de tout ce merdier sans nom !

Finalement, j'arrive à attraper d'une main le rebord du réacteur qui semble vibrer un peu. La peur au ventre, je me dis que mon pire cauchemar se réalise peut-être sous mes pieds et que, si je ne me grouille pas de sortir de là, je vais être mixé en soupe d'électrons ou une chose de ce genre !

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