Le Spationef Coincé (4)

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Nous déambulons dans des coursives encombrées de tout ce que des voyageurs spatiaux accumulent au fil de leurs aventures. J’admets qu’il est surprenant de découvrir des chaussettes sales et des canettes vides un peu partout mais, après tout, je me dis qu’ils doivent surtout penser à leurs conquêtes spatiales plutôt qu’à leur petit ménage. Et quelque chose me dit qu’il ne doit y avoir que des mâles dans ce vaisseau…
Dark Vador avance à grands pas et j’ai du mal à suivre. Quand nous arrivons enfin à ce qu’il appelle le poste de commandement, je suis presque à bout de souffle. J’aurais bien aimé une petite pause mais il ne m’en laisse pas l’occasion.

-    Voici le poste de commande principal, celui que le pilote occupe pour les calculs de cap et de distance. Ici, les ordinateurs de contrôle de distorsion de l’espace-temps, et puis, là, les calculateurs d’altérations temporelles. Ce gros truc orange, tu n’y touches pas ; c’est juste un distributeur de cacahuètes, et c’est à moi. Vu ?

Il vient de me décrire ça d’un geste négligent, comme s’il était ennuyé de me faire un cours magistral de vol spatial,  à moi qui n’y connaît que pouic. Je ne vois rien qu’un fleuve de commutateurs colorés, agencés dans une logique dont je ne comprends rien. Je pense reconnaître un bidule qui ressemble à un oscillomètre, puis il y a aussi des écrans qui affichent des hiéroglyphes en cascade. Quelques « bip » de temps en temps, et le tour est fait.
Face à moi, une série de vitres fêlées qui me donnent une vue directe sur de la terre compacte et noire. Je dirais bien  que le Faucon a fait un piqué de premier choix et que, grâce à je ne sais quel miracle, il est tombé dans une couche de terre assez meuble pour qu’il ne se volatilise pas à l’impact.
Il y a juste que cette réflexion me tracasse un peu, quand même.
Pour trouver de la terre meuble en plein San Francisco, il faudrait ouvrir les cahiers d’histoire…

-    Monseigneur, je serais bien en peine de vous aider. D’ailleurs, auriez-vous l’obligeance de me préciser ce que vous attendez de moi ? fais-je, penaud.

-    Ben voilà, cet idiot de Han Solo, mercenaire à la solde de mes ennemis, a trouvé judicieux de percuter votre planète pour se dissimuler de mes chasseurs et…

Le Jedi me raconte alors, par le menu, la terrible histoire de la guerre, version galactique. Et celle-ci correspond en tous points à celle que Hollywood diffusa en son temps sur la planète Terre. Je me serais bien étalé en questions et réflexions diverses mais il n’oublie pas pour autant de me préciser ses ambitions immédiates à mon sujet.

-    Alors, ce bloc de voyants orange, là à droite, sert à l’allumage des moteurs à anti-matière. Leur co-pilote, le grand singe velu, dont j’ai oublié le nom, bien sûr…
-    Chewbacca ?
-    C’est cela même ! Ce diable de chimpanzé me fait toujours tourner en bourrique. Remarquez, je ne lui en veux pas… Il est quand même gentil dès lors qu’on sait lui offrir la bonne dose de cacahuètes… vous comprenez ? rit-il de sa grosse voix métallique. Bref, le gorille a réparé les moteurs, tout bien, tout ça, mais…
-    Ils refusent de démarrer, c’est bien ça ?
-    C’est cela, mon cher ami ! Ils ne démarrent pas ! Et personne ne comprend pourquoi.
-    Vous avez vérifié les fusibles ? hasardé-je.
-    Les quoi ?
-    Ben, les fusibles. Vous savez, les trucs en fil de plomb qui évitent de cramer tous les circuits… ça n’existe pas chez vous ?
-    Euh… je l’ignore bien, en fait. Tu sais, mes responsabilités de Grand Assassin de la Constellation d’Aldébaran m’ont toujours tenu loin de ce genre de soucis…

Voilà qu’il se la pète avec ses grands airs… Tout ça pour ne pas avouer qu’il est nul en mécanique !

-    Hum…fait-il tout de suite d’une méchante voix. Je te rappelle que je lis dans ton esprit de primate !
-    Pardonnez-moi, Votre Sérénissime Sainteté Universelle, m’excusè-je en courbant l’échine bien bas, me maudissant d’être aussi étourdi.
-    Fusibles, dis-tu ? On va vérifier ça tout de suite…

Il se tourne vers la sortie, se concentre intensément. A mon avis, il envoie un message télépathique à quelqu'un de cet équipage que je n’ai pas encore rencontré mais dont je commence à penser qu’il est nombreux. Je sens qu'il se contracte avec force, ses muscles puissants tendent la soie noire de son uniforme et je ne serais pas surpris de voir quelques nuages de vapeur s'échapper de son casque. Il doit passer un appel longue distance... Les efforts qu'il fait sont impressionnants. Puis, dans un ultime et puissant geste, il gonfle la poitrine. Je m'attends à voir surgir des éclairs de sa tête, mais...

Finalement, il ne télépathe pas.

-    Maaaaarccceeeeelll !!! hurle-t-il soudain dans les coursives.

Sa voix résonne et se propage en ondes sismiques dans tout le vaisseau, faisant trembler toutes les membrures de celui-ci, presque à le fendre comme une coque de noix. Je me cache comme que je peux pour ne pas me retrouver englouti sous les monceaux de poussière qui tombent soudain. Doivent vraiment pas faire souvent le ménage, ici...
Dark Vador attend, les bras croisés sur son torse puissant, un pied tapotant le sol avec impatience. Je suis sur le point de me dire que… mais je me ravise tout de suite, des fois qu’il lise en moi. Heureusement, quelques instants après l’appel, entre deux répliques sismiques, j’entends le pas claudiquant d’une personne en approche finale.

-    Voilà, voilà, patron, j’arrive…, fait une voix essoufflée.

Apparaît alors un être couvert de poils verts, longs et malodorants. Au centre de la boule de poils qui surplombe un corps ventru et simiesque, deux yeux rouges et mobiles. Il est vêtu d’une salopette bleue, d’une gapette dont la visière est orientée vers l'arrière, et il porte une grosse sacoche à outils en cuir râpé.

-    Votre Grandeur, que puis-je faire pour vous servir agréablement ? fait-il en posant sa sacoche, lourde comme une enclume si j’en juge au bruit qu’elle fait en percutant le sol.
-    Marcel…je te présente..euh…c’est quoi ton nom, déjà ? me fait-il.
-    Euh...Chuck ! Chuck Yeager, Votre Altesse, réponds-je sans réfléchir.
-    Marcel, je te présente Chuck Chuck Yeager, un nouveau visiteur qui semble avoir quelques connaissances en mécaniques spatiales. Je te laisse avec lui pour examiner les solutions qu’il propose pour animer enfin ces fichus moteurs. J’ai affaire à l’étage du dessus avec la Princesse Leïa…

Et il nous plante là, sans s’inquiéter de la suite !

Bon…Marcel et moi faisons connaissance. C’est un descendant Wookiee, un cousin éloigné de Chewbacca m’apprend-il. Raté à la naissance, il n’a eu d’autre choix que de se lancer dans la mécanique, ne disposant pas des qualités requises pour devenir mercenaire à son tour. C’est vrai qu’il n’est pas bien grand, un peu bossu, avec un bras plus court que l’autre… Mais, en mécanique, c’est un as ! D'ailleurs, quand je lui parle des fusibles, il se fout carrément de moi. Il se dilate la rate à s’en déchirer l’aorte !

Charitable, il prend sur lui pour calmer son hilarité et me dire que ce genre de chose n’existe plus depuis des millénaires chez eux. Puis, soucieux de ne pas trop blesser mon amour-propre, il se met en tête de m’expliquer les fondamentaux d’un moteur hyper-espace. Dépassé dès la deuxième phrase, je me contente de hocher la tête de bas en haut, pour donner le change…
Pris à son propre jeu, le voilà qui m’entraîne partout dans le vaisseau en m’inondant d’explications sur le ceci, le cela, m’expliquant pourquoi ci, pourquoi pas ça. J’en ai le vertige. Malgré tout, je continue de dodeliner du chef…
J’aperçois quelques personnes, de dos, mais sans jamais pouvoir les détailler vraiment. Et comme nous plongeons bientôt dans les entrailles du navire, il n’y a bientôt plus que le son de sa voix qui rebondit sur les parois métalliques des couloirs étroits et huileux dans lesquels nous rampons…

Malgré tout, je ne perds pas mon temps. J’ai bien compris que Sieur Marcel, mécanicien hautement qualifié en motorisation futuriste, est avant tout un sacré bavard. A croire, même, qu’il n’avait plus parlé à quiconque pendant des années. Il est intarissable ! Alors, mine de rien, je pose quelques questions anodines…

Et c’est ainsi que je découvre les raisons de la présence du Faucon Millénium sur Terre. Et des rescapés de l’Étoile Noire, par la même occasion.
En plus, j’apprends à mettre les mains dans le cambouis.

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