Le Spationef Coincé (7)

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Il était là depuis le début !

On l’avait juste oublié, simplement parce que, dans la pagaille, quelqu’un l’avait bousculé et, toujours à l’état minéral, il avait plus ou moins roulé vers la porte de sortie. Pauvre vieux, il est tout minable dans sa posture. En fait, il est carrément grotesque, le super Jedi de la mort. On le considère, un peu surpris et ne sachant ni trop quoi faire ni dire puis, sans nous consulter, nous explosons de rire avant de nous précipiter pour le remettre sur une chaise. Au moins, il prendra moins de place dans la coursive et plus personne ne risquera de le piétiner, au risque de le réduire en tas de sable.

-    Encore une mauvaise blague de Darkounet, dit Marcel en déposant Obi Wan sur sa chaise. Il n’arrête pas de le titiller ces derniers temps. A chaque fois qu’il peut lui faire une blague, il en profite. Remarque, on doit bien avouer qu’il ne manque pas d’imagination, cet idiot. Il n’y a pas si longtemps, on a retrouvé le vieux réduit à l’état de hareng faisandé dans un bocal en verre sur une étagère. C’est un gars de la maintenance qui l’a sauvé de la cuisson en remarquant l’odeur anormale en ouvrant la conserve ! Tu imagines s’il n’avait pas pris la peine de renifler son plat avant de l’enfourner ? A l’heure qu’il est, on serait privés de notre seule chance de salut !

Marcel rit à belles dents, qu’il n’a pas d’ailleurs. C’est vrai, à bien y regarder, je m’aperçois qu’il ne dispose que de fanions, comme les baleines. Il ne doit d’ailleurs pas les laver souvent parce que je distingue de nombreux déchets coincés. C’est peut-être, aussi, ce qui explique cette haleine de poubelle qu’il m’inflige. A moins que ce ne soit la bière…

-    Et on fait quoi pour le ramener à son état normal ? demandé-je avec inquiétude.

-    Je ne sais pas. En général, ça ne dure pas très longtemps.  Quelques semaines, au pire.

-    Des semaines ?? Mais il va mourir de faim !

-    Mais non ! Tu connais beaucoup de pierres affamées, toi ? Voyons, c’est pas une imitation que tu as sous les yeux, mon pote. C’est une vraie pierre, faites de ceci-cela, qui te ferait mal si elle te tombait sur le pied. Eh, qu’est-ce que tu crois, on n’en est plus au stade des expériences pour ce qui est de la manipulation des molécules, j’arrête pas de te le dire !

-    Mais vous êtes tous complètement fêlés, en fait ! fais-je en appuyant bien sur les derniers mots. Vous n’avez donc rien de plus important à faire que de vous livrer à ce genre de facéties ? Moi, à votre place…

-    A notre place, il y a longtemps que tu serais mort ! me coupe Marcel brusquement. Toi et ceux de ton espèce savez à peine vous tenir debout, vous en êtes toujours à jouer à celui qui fait pipi le plus loin et tu prétends qu’à ma place… ! Tiens, viens avec moi. Je vais te faire sortir de cette taverne à la noix pour te montrer deux trois choses qui vont te faire réfléchir, prétentieux de mes fesses, va !

Et, sans plus se préoccuper du monolithe sur sa chaise, il m’entraîne par le bras. Surpris, et incapable de résister à la force de sa poigne, je le suis comme je peux, cherchant à me libérer en geignant comme un goret.

-    Ah ça, môssieur ferait mieux que nous ! Il ferait des trucs et des bidules plus importants que tout le reste, tout ça parce môssieur saurait mieux que nous ce qu’il conviendrait de faire ? Eh bien, tu vas être servi, mon pote ! Puisque tu es plus beau que tout le monde, tu vas me faire démarrer ce moteur hyper-espace dans l’heure, faute de quoi, je vais te mettre mon pied quelque part, que ça te fera visiter la galaxie d’Andromède et quelques parsecs autour !

Il a les lendemains de cuite mauvais, le Marcel…

Je m’attends à replonger dans les intestins huileux de la machine, mais non ! Alors que nous marchons à allure forcée dans la coursive principale du Faucon Millénium, il bifurque brusquement sur la droite. Sur le coup, je pense qu’il a un geste involontaire et qu’il va s’écraser le nez sur une paroi métallique, visiblement plus solide que sa truffe mais, en un éclair, une porte s’ouvre. On pénètre alors dans une galerie creusée dans la terre, étayée comme dans une mine de charbon du Nord du Canada…
Eberlué, je ne songe même plus à me libérer de Marcel qui continue de ronchonner des trucs pas sympas à mon égard. Nous marchons de la sorte pendant plusieurs minutes, durant lesquelles nous dépassons quelques carrefours, toujours creusés dans la roche et qui mènent je ne sais où.

Enfin, nous arrivons à une autre porte métallique qui s’ouvre tout aussi vite que la précédente. Je découvre, stupéfait, une gigantesque salle, haute comme une cathédrale et largement éclairée ou fourmille une armée de types en uniformes verts, tous concentrés autour d’un énorme…truc. Je dois bien admettre que je manque de vocabulaire mais, pour ma défense, comment décrire une chose qu’on voir pour la première fois de son existence ?
Placé au centre d'une plate-forme montée sur vérins hydrauliques, un énorme bloc rectangulaire, d’où part une multitude de câbles et de tuyaux, fait l’objet de tous les soins des mecs autour. Il en émane une forte chaleur ainsi qu’un rayonnement un peu bleuté qui rend aveugle si on le fixe trop longtemps. Je le sais, maintenant, parce que je suis presque aveugle. Pourtant, je ne l’ai observé que quelques secondes avant que Marcel ne pense à me prévenir. Un peu empirique comme méthode d’apprentissage mais efficace… Il me tend une paire de lunettes qui s’adapte automatiquement à mon visage, transformant ma vue, comme un illuminateur thermique le ferait pour une vision nocturne. Efficace…

Tout autour de ce bloc, dont je comprends petit à petit qu’il s’agit du fameux moteur en panne, il y a plein de robots à roulettes, genre R2D2, armés de poste à soudure ou d'autres outils, qui vont et viennent, se glissent sous les jupes de la bête mécanique, en ressortent quelques instants plus tard, attendant un ordre quelconque d’un humanoïde en uniforme, situé un peu plus haut et scotché à des écrans de contrôle.
Il règne un bruit de forge dans cet atelier de mécanique céleste, au point que la tête me tourne assez vite. Alors, Marcel songe à me donner les protections requises, pendant que je constate que tout le monde en est effectivement équipé. Merci Marcel…
Je comprends que ce dernier continue de passer sa colère sur moi et m’impose de faire face à mes minables capacités humaines. A moi de corriger le tir pour le ramener à de plus calmes dispositions à mon encontre, donc !

-    Nous y sommes, gros malin. Voilà pourquoi nous n’avons pas encore pu quitter ta misérable planète ! Ce que tu as sous les yeux, c’est le propulseur hyper-espace du Faucon. Comme tu peux le constater, nous sommes nombreux à nous pencher sur son cas. Tu as quelque chose à proposer, peut-être ? me lance-t-il d’un ton hargneux.

-    Écoute, Marcel, je ne voulais pas te vexer.

-    M’en fous ! Et c’est trop tard, de toute façon. Maintenant, avec les enzymes frénétiques qui circulent dans mon système sanguin, par ta faute, je le précise, j’en ai pour plusieurs jours à être irascible à mort. Perds pas ton temps à vouloir m’amadouer, ce serait pire à chaque fois, vu ?

-    Ok. Bon… que voudrais-tu que je fasse, alors ? tenté-je d’une voix soumise.

-    Dis-moi ce que tu vois. Demande-moi ce que tu ne comprends pas. Je t’expliquerai, pas à pas. Si tu as la moindre proposition, n’hésite pas. On étudiera ensemble pour voir si ça peut tenir la route ou pas.

-    Ce que je ne comprends pas ? Euh…la liste risque d’être longue.

-    Je m’en doute, banane. Commence !

L’ordre est si brutal que je ne songe même plus à me rebiffer. De toute façon, je suis persuadé qu’il me briserait les os. Alors, je me concentre sur ce que je vois pour tenter d’en sortir une remarque. Je regarde les équipes en place, les robots, les écrans, les lumières. Penché comme un chirurgien sur son patient éventré pour une opération sérieuse, la main gauche sous le menton, la droite dans le dos, je fais mine de comprendre tout les processus en cours. Mais… je nage dans la choucroute !
Redevenu calme, presque indifférent, Marcel me suit pas à pas, sans rien dire. Il croise des personnes avec lesquelles il échange quelques mots dans une langue inconnue puis me rattrape de sa démarche un peu claudicante.
Bref, je visite un musée avec un guide un peu distrait. Est-ce mon goût pour l’architecture ? Je l’ignore, malgré tout, je finis vite par garder le nez en l’air, stupéfait de leur prouesse d’avoir su creuser un espace de travail aussi vaste et à l’insu de la population en surface. Je suis sûr que si les outils se taisaient un court instant on pourrait entendre les rugissements du métro. San Francisco est une ville gigantesque, il se peut que les lignes ferroviaires glissent tout autour de cette incroyable caverne.

-    Comment avez-vous fait pour installer tout cet attirail ici ? demandé-je enfin, soucieux de paraître assez futé pour me poser quelques questions.

-    Obi wan… répond Marcel, laconique.

-    Quoi Obi Wan ?

-    Ben…c’est lui qui a creusé ça. Avec son sabre. Tu piges ?

-    Mais ça a dû lui prendre une éternité !

-    Quelques heures. Et encore…

Bon, j’insiste pas, je sens qu’il n’est toujours pas d’humeur à me parler. Soudain, je réalise que lui parler de la caverne ne peut pas l’intéresser, évidemment. Alors, je reviens sur son fichu moteur.

-    Les principes de fonctionnement ? fais-je d’un ton impersonnel, comme si je savais de quoi je parle.

-    Anti-matière, combinée à de la Matière Noire, fusionnée avec quelques atomes d’Hélium pour la mise en route. Le tout confiné dans un sarcophage magnétisé pour diriger les flux d’énergie.

-    Ah…fais-je d’un air entendu.

-    En claire, sombre patate, l’équivalent de toutes vos centrales nucléaires et des cent prochaines que vous allez construire dans les années qui viennent.

-    De quoi ?

-    Mince, c’est vrai, t’es pas au courant, il faut que je t’explique… Alors, voilà ; un des premiers soucis que nous avons dû résoudre est l’alimentation en énergie pour démarrer le cycle d’anti-fusion. C’est comme une batterie pour vos voitures. Pas de batterie, pas de moteur. Tu comprends ?

-    Jusque là, ça va. Continue.

-    Il a fallu des années pour que vous puissiez mettre en place un réseau mondial de centrales, selon nos directives, pour que cet entoilage puisse diffuser l’énergie dont nous avions besoin et dans les directions magnétiques requises.

-    Je vois… fais-je sans rien comprendre vraiment. Donc, une fois ce réseau établi… ?

-    On a obtenu notre « batterie ». Donc, sur le papier, le moteur n’avait plus qu’à démarrer. Seulement… Obi Wan avait un peu sous-estimé les puissances nécessaires. A sa décharge, il n’est pas mécano, lui. C’est là que je suis arrivé dans la partie. Moi, je sais ce qu’il nous faut.

-    Et pourtant, vous êtes toujours là, rétorqué-je, un peu sarcastique.

-    Ouais, mais c’est parce que votre fichue planète ne possède pas un gramme de ce dont j’aurais besoin… et toc !

Je me demande bien de quel truc spécial on manque ici ! Marcel semble sûr de lui, alors, parce qu’il a l’air de se calmer un peu et que je ne voudrais pas qu’il replonge dans la grogne, je fais mine de ne pas relever. Je poursuis ma route pour faire le tour du moteur. De près, voire de très près, seulement la chaleur dégagée me décourage assez vite.
Finalement, je plonge réellement dans le problème et je commence à poser des centaines de questions pour tenter de comprendre le minimum syndical. Alors Marcel comprend que je ne joue plus la comédie et se décide enfin à m’expliquer, faisant tout son possible pour me rendre sa technologie compréhensible. Plusieurs heures durant, nous discutons en détail des progrès de leurs travaux, nous avons même des discussions endiablées avec quelques savants qui, usant de traducteurs portatifs, me donnent leurs points de vue.
Au sortir de tout cela, une seule conclusion s’impose ; il faut encore attendre que l’Humanité progresse pour savoir extraire une matière que les Hommes ne savent pas encore atteindre.
Il s’agit du magma central de la planète. Le fer qui en est le noyau…

-    Pourquoi ce fer, et pas un autre ? C’est une matière très largement répandue à la surface, au moins dans le manteau. Ce ne serait pas difficile pour vous !

-    Nous avons bien essayé, me répond un des chercheurs, par tous les moyens de changer les propriétés atomiques de ce fer là. Malheureusement, il est insuffisant, très insuffisant pour générer assez d’énergie. Si nous ciblons celui du cœur de votre planète, c’est parce que ses atomes sont à ce point compressés du fait de la gravité qu’ils auront le magnétisme nécessaire pour relancer enfin le moteur et remplir nos réservoirs pour un retour dans notre galaxie.

-    Mais aller au centre de la Terre est impossible ! fais-je.

-    Pas facile, en effet, mais pas impossible, réponds Marcel. Pour commencer, on peut gagner un peu de temps en commençant le forage par le chemin le plus court…

-    Donc… ?

-    Donc, en creusant par les pôles…

Et là, je reçois un choc. Par le plus pur des hasards, il se trouve que, dans ma boîte, on bosse sur vaste sujet d’études portant sur les potentialités énergétiques non polluantes d’une énergie issue des profondeurs brûlantes de la Terre…

-    Dis-donc, Marcel…vous vous seriez pas un peu foutu de moi, des fois… ?

-    Je ne vois pas de quoi tu veux parler, me répond-il d’un air faux-cul.

-    Dis-moi si je me trompe, ok ?

-    Je t’écoute ! fait-il d’un air entendu.

-    Voilà, c’est l’histoire d’un mec, qui travaille dans une grande agence internationale écologique…

-    Mouais… fait Marcel en laissant traîner la dernière syllabe.

-    Ce pauvre mec, en allant bosser un matin, se trouve à l’épicentre d’un léger séisme qui le plonge dans les entrailles de sa petite ville ensoleillée…

-    Mouais…pas mal, ça. Continue pour voir ?

-    Il se retrouve en plein film de science-fiction, croise tous les lascars possibles et imaginables des films à succès du genre… puis on tente, l’air de rien, de l’impliquer dans un problème qui ne le concerne pas lui mais plutôt une bande de loustics, venus de je ne sais où, qui rament un peu pour rentrer dans leurs pénates, à quelques années-lumière d’ici. Tu penses que ça tient la route, ça ?

-    Bah…faut bien admettre que j’ai pas trop de détails à corriger, sur ce coup-là…

Là, on atteint les sommets du burlesque. Partagé entre une sainte colère pour m’être fait manipuler comme un enfant, j’ai aussi une énorme envie de rire à gorge déployée. Et pour cause…

-    Mon pauvre Marcel…vous êtes vraiment des rigolos dans votre genre. Tu sais pourquoi ?

-    Non, mon gars, répond-il d’un ton un peu aigre, vexé de ma remarque.

-    Si je bosse pour un projet grandiose, c’est vrai que ça pourrait vous être utile, mais je ne suis qu’un simple employé de bureau. Un petit minable de mon genre, c’est tout juste bon à relier des dossiers et faire des photocopies, tu vois ?

-    Pas de problème…

-    Comment ça, pas de problème ?

-    Bah…on va faire avec toi comme ont fait Obi Wan et Dark avec Guillaume II et Adolf…pour vous amener aux premières inventions utiles…

Sur le coup, je ne comprends pas, je dois bien l’avouer. C’est d’ailleurs pour ça, je pense, qu’il me laisse le temps d’accuser réception de sa dernière phrase. Ça me prend un peu de temps. Mais quand la lumière se fait en moi…j’explose !

-    Non, mais vous n’y pensez pas ?! il n’est pas question que je vous laisse faire. Non, vous ne vous servirez pas d’un clone pour me remplacer. Et puis quoi, encore ?

-    T’inquiète pas pour ça ; je suis hostile à ce genre de procédé. Trop destructeur, trop…définitif, si tu vois ce que je veux dire.

-    Non, je vois pas !

-    Si on devait te cloner, il nous faudrait étudier l’intégralité de tes cellules…

-    Et alors ?

-    Pour cela…il te faudrait mourir… tu vois ? conclue-t-il doucement.

-    Des tarés ! Vous êtes tous des débiles profonds, de dangereux psychopathes de l’espace ! Je veux sortir d’ici. Tout de suite ! Je ne resterai pas une seconde de plus. Il faut que le monde sache…

Bon, j’ai pas le temps de finit ma tirade.
Après la lumière en moi, le noir total…
Pendant que je me répandais en imprécations inutiles, un type s’est glissé derrière moi sans faire de bruit et, pendant que deux autres se préparaient à me récupérer dans leurs bras, au moins dans les trucs qui leur servent de bras, il m’a injecté un produit qui m’a instantanément plongé dans l’inconscience. Pour la suite de l’histoire, je pense que je vais manquer certains épisodes…
Peut-être que je suis rendu au même état qu’Obi Wan sur sa chaise ?
Et qu’est-ce qu’il devient, celui-là ?

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