Le Spationef Coincé (8)

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Ce n’est que bien plus tard que je me réveille. Tête bourdonnante, paupières lourdes, quelques palpitations résiduelles. Et puis, je grelotte aussi. J’ai terriblement froid, mes orteils sont deux blocs de glace et mes doigts se briseraient à coup sûr au premier choc. Mes vêtements sont humides, presque rigides, quasi-gelés.
J’ouvrirais bien les yeux pour me rendre compte de la situation mais je redoute quelques vertiges de dernière minute. Et puis, je peux bien l’avouer, je ne suis pas persuadé que ce serait une bonne idée. Quelque chose me dit même que je vais être surpris.
Et je m’en persuade à chaque minute qui passe. D’abord parce que je me sens de plus en plus lucide, comme si je sortais d’un coma ou d’une chose de ce genre mais pas seulement pour ça.
En général, quand on se retrouve ligoté sur une chaise, inconfortable de surcroît, il y a de fortes chances pour que les heures qui suivent le retour à la conscience soient un peu douloureuses. Voire plus.

C’est ce voire plus qui me fait réfléchir à deux fois même si, pour le moment, tout va bien.

Je repense à cette réflexion facile et je m’y accroche déjà avec un peu de désespoir parce que je me rappelle maintenant des heures, des jours peut-être, qui ont précédé. Je me souviens de tout avec une étonnante acuité, comme si j’avais tout appris par cœur. Étrange.

Une fois encore, je me retrouve en pleine obscurité. Je m’en rends compte parce qu’aucune lumière ne vient rougir mon regard, bien dissimulé sous mes paupières closes.

J’espère qu’on ne m’a pas abandonné ici dans le sinistre dessein de me laisser mourir de faim et de soif. Les souvenirs de Dante et de son Purgatoire ne sont pas loin... Il y aurait bien des raisons à cela, c’est vrai, mais quand même, je trouverais ça un peu vache. Après tout, avec les moyens dont disposent tous ces aliens à la mords-moi le chose, ils auraient pu se contenter d’un sirop d’oubli, même à dose carabinée, pour ne pas rajouter mon sang à leur tableau de chasse déjà bien chargé.

Je me lancerais bien, aussi, dans une longue diatribe contre le mauvais sort, décrivant, pourquoi pas, les funestes calculs d’une destinée toute vouée à une fin calamiteuse et pathétique ou encore disserter sur les prophéties marxistes qui expliquent les raisons du massacre des pauvres et des insignifiants comme moi, au nom d’une « conscience de classe » qui ne pouvait, de par mon héritage génétique et social, que me mener à la catastrophe, incapable que je suis, et que je reste d’ailleurs, d’échapper à mon destin et…

-    Bon, ça y est, là ? T’as fini de pleurnicher ou faut qu’on t’amène une palette de mouchoirs ? me coupe soudain une grosse voix traînante en même temps qu’une forte lumière s’allume pile en face de moi.

Je n’avais pas réalisé que je parlais à voix haute, tout seul. Enfin, tout seul…la preuve que non !

Maintenant, je grelotte deux fois plus fort. Une fois pour la température. Une deuxième pour la terreur qui me prend petit à petit. Qui est cette voix ? Que me veut-elle ? La lumière violente me fait mal aux yeux, même fermés. Le mieux est de tenter de garder le silence, de faire croire que je viens de replonger dans mon coma. Alors, je reste immobile comme une pierre, concentré à fond sur mon rythme cardiaque, pour ne pas le laisser s’emballer.

Mais je dois être trahi par une de ces petites gouttes de sueur qui dégoulinent le long des tempes. Éternelle lutte entre le corps et l’esprit ?  En attendant de le savoir, l’inconnu en face de moi à repéré la sueur, les tremblements. Adieu, monde cruel, je pense que ma dernière heure a sonné. Il est temps pour moi de conspuer tous ceux sans qui je ne serais pas là. Je les maudis avec ferveur, leur promet in petto de venir les hanter à la première occasion et de tout faire pour les pousser à regretter leurs méfaits.

-    Pfff… tu sais que tu es lourd, dans ton genre ! soupire la grosse voix. Qui a dit que tu allais passer un mauvais quart d’heure ?

-    Co… comment savez-vous ? fais-je en rompant le silence d’une voix chevrotante.

-    Tu ne crois quand même pas que Dark ou Obi sont les seuls à pouvoir lire dans des esprits aussi rudimentaires que les vôtres, quand même ?

-    Ah…fais-je au bout de quelques secondes de surprise. J’aurais dû m’en douter…

-    On peut pas t’en vouloir, après tout…

-    Je sais ; je ne suis qu’un homme.

-    Vooiiilà, c’est ça. Tu sembles comprendre assez vite. Pourtant Obi Wan m’avait dit qu’il n’était pas sûr de sa dernière recrue. Bizarre ; il doit commencer à vieillir, ce vieux brigand !

-    Moi, une recrue ?

Et le voilà qui part pour une tranche de rigolade dont les éclats explosent en écho sur des murs voisins, allégeant un peu l’ambiance. Encore un fêlé ?

-    Tss tss…gaffe à ce que tu penses, d’accord ?

Je hoche la tête, un peu abattu de me savoir sans la moindre chance de gagner contre eux. Je dis « contre eux » parce que je comprends que mon geôlier, appelons un chat un chat, fait partie du Cirque aux Étoiles. Ils sont si nombreux, et je suis si peu ! Je me sens résigné.

-    Suite du programme ? fais-je d’un ton morne.

-    Ça va dépendre de toi…

-    C’est moi qui choisis ? Sans blague ? rétorqué-je avec un peu de hargne.

-    Ecoute-moi d’abord avant de pleurnicher...

-    Ça me serait plus facile avec les mains libres !

La voix ne répond pas mais j’entends distinctement des pas s’approcher de moi. Mes liens tombent quelques secondes plus tard. Je respire, déjà soulagé même si je reste méfiant et attentif. Je comprends que je dois prendre ce geste pour une tentative d’apaisement. C’est plutôt positif et, de toute façon, je préfère ne pas envisager le pire. Trop douloureux…

-    Tu vas écouter attentivement, sans m'interrompre, ok ? Ensuite, tu pourras poser tes questions. Pour finir tu décideras. Ça te va ?

-    A merveille… Allez-y, je vous écoute.

Il se nomme Spencer, me précise tout de suite qu’il s’agit d’un nom d’emprunt. Le sien, en version originale serait, de toute manière et selon ses dires, imprononçable pour un terrien. C’est une sorte d'agent spécial, affecté à l’infiltration des extra-terrestres dans la population terrienne. Ceux-là, envoyés pour diverses missions, ont besoin d’un type comme lui pour ne pas se faire repérer trop vite. Si nécessaire, il fait « le ménage » après avoir sécurisé ses compagnons. C’est-à-dire, prend-il le soin de me préciser, qu’il modifie la perception et la mémoire de ceux qui en sauraient trop. Rien de plus. Pas de violences, pas de tortures, pas de sang. Bref, un négociateur d’un genre un peu particulier. Je m’attendais à des révélations bien plus sanguinaires mais, et je ne m’en plaindrai pas, rien de tout ça.

-    Ça veut dire que vous auriez pu, dès le départ, m’attraper, me vider la mémoire et me renvoyer chez moi sans que personne ne s’aperçoive de rien… ne puis-je m’empêcher de râler.

-    Exact, mais tu n’es pas arrivé ici par hasard. Nous avons provoqué la secousse, l’ouverture de la crevasse, contrôlé ta chute. Nous t’avons d’ailleurs endormi une première fois après ta chute. Endormi et soigné.

-    Je me disais bien, aussi, que vingt mètres de chute sans une égratignure…

-    La suite nous a un peu échappé, surtout avec tes compères terriens un peu trop ivres… mais, pour l’essentiel, le plan d’Obi Wan se déroule comme prévu.

-    Le plan ? Quel plan ? Mais de quoi parlez-vous à la fin !?


Si j’en avais les moyens, et le courage, je me jetterais sur ce mec pour lui donner une bonne leçon. Heureusement pour lui…je ne dispose d’aucun moyen, et encore moins de courage. Il ne parle plus, pourtant je sens que quelque chose se passe près de moi. On chuchote…
Une autre voix se fait soudain entendre.

-    Mon jeune ami terrien…commence celle-ci. Je crois qu’il est temps pour moi de prendre la parole et de t’expliquer.

Illico, je reconnais cette voix.

-    Obi Wan Kenobi ! Mais je vous croyais encore assis sur votre chaise…

-    Tout cela n’était qu’un petit imprévu, un peu de temps perdu à cause de cet ahuri de Dark Vador qui commence à sucrer les fraises, je pense. Il faut bien admettre qu'il n'est plus le terrible conquérant que nous avions coutume de combattre... Malgré tout, Nous avons pu t’observer en situation de crise, même si ce n'était as prévu, comme toute crise se doit de l'être. Tu as été long à te décider mais, finalement, tu as su prendre les choses en main pour résoudre la situation. Tous ces ivrognes auraient pu faire d’importants dégâts mais tu as su intervenir avant la catastrophe. Ce qui m’a convaincu que tu es celui dont nous avons besoin pour la suite de notre plan. Bravo !

-    Vous auriez pu faire plus simple, non ?

-    Je ne crois pas… La bière était bonne, à ce que l'on m'a dit et, j'insiste, tout ça n'est qu’une petite perte de temps sans conséquence. Maintenant, il serait dommage pour tout le monde de continuer d’en perdre…

-    Je suis d’accord avec vous. Que voulez-vous de moi ?

-    Avant de quitter la salle de remise en état de notre moteur principal, Marcel à commencé à te donner quelques premières informations. Je vais les compléter…

-    Pas trop tôt !

-    Nous avons besoin d’extraire du noyau de votre planète une certaine quantité d’une matière indispensable. Pour cela, j’ai imaginé un moyen de nous rendre presque au centre de ce noyau, avec des technologies dont je t’épargnerai les détails même si, contrairement à tout ce que tu t’es très habilement acharné à prétendre, tu serais tout à fait capable de comprendre. A vrai dire, je pense même que tu pourras directement nous aider… Monsieur « Chuck Chuck Yeager » sourit-il avec ironie.

Là, je me dis que ça commence à sentir un peu le roussi…

-    C’est un curieux nom ; Chuck Chuck Yeager, non ? reprend-il.

-    Bah, un nom comme un autre. En plus ça sonne bien.

-    Certes… mais je le connais bien, le vieux Chuck ! sourit encore le Jedi. Alors, si on commençait par faire vraiment connaissance, qu’en dis-tu ?

-    Eh bien…disons que je ne suis pas hostile à l’idée mais…à condition que vous me disiez exactement qui vous êtes ?

Ma réponse ne le surprend qu’à moitié. Il comprend qu’il est enfin temps de mettre bas les masques.
Alors, lentement, il se lève, lève un peu le menton puis, par je ne sais quel procédé magique, il change peu à peu de silhouette. Ça commence par le haut du visage, puis la métamorphose continue sur tout le reste de son corps. Sa cape de bure craque progressivement sous la pression du nouveau corps qui se dessine sous mes yeux écarquillés de surprise. Le bruit sourd des fibres qui cèdent se mélange à celui, inquiétant, de son ossature qui se modifie sous une peau qui change aussi de couleur et de texture.
Son dos se voûte un peu, ses membres supérieurs forcissent, laissent place à une extraordinaire musculature. Je ne sais pas combien de temps prend toute cette hallucinante transformation mais j’en oublie de greloter ! Finalement, le vieux Jedi n’est plus qu’un souvenir. J’ai un drôle de personnage en face de moi, en fait…
L’ensemble se traduit par un type immense, d’aspect vaguement humanoïde, avec des bras, des cuisses et des mains énormes, accrochés à un buste un peu malingre, un peu voûté et, cerise sur le gâteau, une tête ridiculement petite, au centre de laquelle deux yeux mal alignés clignotent alternativement ! La peau reptilienne est un peu nacrée, presque brillante. Ça me fait froid dans le dos. Mais le pire est sûrement l’odeur : ce machin pue le fromage trop fait, voire méchamment pourri. Je n’ai rien contre le fromage, en général, mais cette appellation incontrôlée devrait être retirée de tous les rayons pas frais !!

En plus, il est à poil !

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