Le Spationef Coincé (22)

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S’il est bien un endroit où personne ne remarque un sans-logis, c’est bien une gare. Rien de plus simple que de passer inaperçu puisque les gens sont occupés à trouver leur chemin dans ce dédale. Ils sont là, le nez en l’air, l’air affairé et inquiet de rater le prochain départ. C’est à croire qu’ils ont les vertèbres déformées ! Alors, personne ne peut remarquer un vieillard mal nippé et malodorant se diriger vers les consignes.

En plus de m’avoir fait vieux, ils m’ont aussi fait bigleux… Les petites plaques numérotées restent floues, au point que je n’arrive pas à identifier le coffre que je dois ouvrir. Alors, bon, je me les tape les uns après les autres. Et, fatalement, je finis par trouver le bon. Il était temps, de toute façon, parce que ma clé commençait à donner de vilains signes de fatigue. A force d’entrer dans toutes ces serrures, le métal s’est abimé et n'est plus très loin de casser. Donc, j’ouvre la consigne 123B !

Bon, j’ouvre, m’attendant à trouver un costume, des papiers, un peu (beaucoup !) d’argent, et plein de bonnes surprises. Peut-être même une arme futuriste. Je fouille bien mais elle est tellement vide que je finis par y mettre la tête toute entière pour m’assurer que je ne rate rien. Il n’y a rien dans cette fichue boîte. Rien qu’une grosse fiole transparente.

J'observe le bocal : on dirait un de ces pots de moutarde qu’on transforme en verre de table après en avoir consommé tout le contenu. Si j'avais eu des lunettes, j'aurais pu lire le nombre inscrit au fond, comme je le faisais quand j'étais enfant... Mais je n'ai pas de lunettes ! Je secoue la petite couche de poussière mauve qui s'étale sur le fond. Je ne sais pas pourquoi je fais cela mais, comme toujours, je constate qu'il n'y a peut-être vraiment rien de gratuit dans chacun de nos gestes...
En effet, mon geste a réveillé quelque chose qui dormait.

Et ce qui dormait tranquillement au fond, maintenant je le reconnais ; c'est la vapeur vivante, celle qui était enfermée dans un autre bocal, dans les installations des Agents et auquel j’avais souhaité un bon séjour sur Terre… Elle se concentre bientôt en fumée opaque. Ce truc est un organisme vivant. Si j’avais encore des doutes, ils sont vite dissous quand je vois que La Fumée, c’est comme ça que je décide soudain de le nommer, s’organise pour dessiner un visage humain, avec en son centre un joli sourire narquois…

-    Euh…salut !

Bien sûr, La Fumée ne me répond pas mais je sais qu’il m’a compris. Lui aussi doit être équipé avec des bidules techniques des Agents. Toujours est-il qu’il me fait des mimiques assez expressives pour me convaincre.

-    J’imagine que nous formons dès maintenant un duo de choc, c’est bien ça ?

La Fumée confirme. Je regarde une dernière fois dans le coffre mais il n’y a absolument rien d’autre. Que vais-je faire avec cette fumée ? La réponse est inscrite sur le couvercle…

« RdV Hotel Y. Angle Lex. Ch. Dickens. Chbr 2712. Cf Room Sce. Ben Aff.”

Bon, pas difficile à comprendre mais je ne sais toujours pas comment rentrer dans leur fichu palace. Il faut que je réfléchisse un petit moment. Armé de mes derniers dollars, je vais à la terrasse d’une cafétéria et je prends un café serré.
Et puis, tout va très vite.
Un type vient s’asseoir près de moi. Il est encombré de ses bagages, d’un énorme sac de surf, d’un parasol qui s’ouvre à moitié à tout instant. Il se lève pour aller commander un en-cas ou je ne sais pas quoi. J’agis sans réfléchir, en souplesse ; je me lève, attrape au hasard une de ses valises puis, sans me retourner mais sans me presser, je pars.
Me voilà rendu voleur…
Était-ce parce qu’il avait la même taille que moi, la même stature ? Je ne sais pas, j’ai agi sans réfléchir.
Dans la rue d’à côté, dans un recoin tranquille, je peux me changer, m’enrichir de quelques dollars. et même me parfumer. Le bonheur. De là à croire que voler rend heureux…
Un peu plus tard, je peux enfin franchir le seuil de l’hôtel, la porte poliment ouverte par ceux qui, quelques instants plus tôt, m’en interdisait l’accès. La vie sait prendre sa revanche, parfois, et ça fait du bien…  

Je pousse enfin la porte de ma chambre. Ne me reste plus qu'à appeler le room-service...



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