Le Spationef Coincé (23)

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J’avoue…je me suis endormi dans mon bain. Mais c’était pour la bonne cause !

Imaginez un pauvre papy couvert de vermine et de crasse, au moins dans mon esprit, harassé après une série de rudes journées. Après avoir vidé tous les sels de bain disponibles dans l’immense baignoire de ma suite royale, dans une eau presque bouillante et recouverte d’une épaisse couche de mousse blanche… je m’y suis jeté avec délectation.
J’ai usé tous les savons, vidé tous les flacons parfumés qui s’offraient à mon plaisir et je me suis frotté la couenne avec force, comme pour m’arracher une épaisse écorce qui entravait mes mouvements. Quand, enfin, j’eus récupéré ma propreté habituelle, je me suis laissé aller à une chaude torpeur qui m’a rapidement entraîné au pays des rêves. J'ai dormi du sommeil des (tout) justes ! Disons… trois bonnes heures.
C’est vraiment que j’avais besoin de me reposer, non ?

Et je pense que je dormirais encore si la porte ne résonnait pas des coups, discrets mais têtus, qu’une personne frappe sans discontinuer. J’ouvre donc un œil, d’abord un peu surpris de me retrouver là, ensuite mécontent qu’on me sorte de mon petit somme. Je sors maladroitement de la salle de bain, attrape au vol un peignoir que j’enfile en maugréant puis j’ouvre enfin cette fichue porte.

-    Z’avez pas vu le petit panneau, là ? fais-je à un inconnu en lui indiquant du doigt la carte accrochée à ma poignée et qui dit « Ne pas déranger, merci. »

-    Monsieur Dickens ?

-    Oui, c’est bien moi, rétorqué-je sans ciller. Que voulez-vous ?

-    Je suis Ben…

-    Enchanté, on se revoit demain !

Et je claque la porte, magistral.
Puis, après un court instant, je rouvre…

-    Vous vous appelez comment ? fais-je en hésitant un peu.

-    Ben, monsieur.

-    Ben ? Ben A… ?

-    Affleck, monsieur. Ben Affleck.

-    Comme l’acteur ?

-    C’est cela même, monsieur…

-    Ah…

Je me décide à l’observer plus attentivement. En effet, j’ai face à moi le bel homme, celui qui fait les beaux jours du cinéma américain depuis quelques années, déjà. Il est grand, belle gueule, regard un peu rieur. L’air sympa. Je le fais entrer.

-    Qui vous envoie ? Et que me voulez-vous ?

-    Eh bien, monsieur Dickens, ça fait plus d’une demi-journée que j’attendais de vous rencontrer. Vous deviez me faire venir dans votre suite et…

-    Qui vous a dit tout ça ? le coupé-je d’un ton autoritaire.

-    Mais…Agent, monsieur.

-    Agent ? Connais pas !

-    Il m’a prévenu que vous diriez sûrement une chose de ce genre. Alors il m’a dit de vous rappeler que « ceux d’en bas » ne devaient pas repartir et que vous deviez collaborer, faute de quoi, une petite capsule, située dans votre thorax risquerait de vous provoquer quelque désagrément…

-    De quoi ? fais-je en me palpant soudain le torse, à la recherche d’une quelconque protubérance.

L’autre ne répond rien et se contente de me regarder faire. Enfin, si… il a un petit air ironique qui me déplaît beaucoup. C’est cet affreux sourire qui m’oblige à croire à ce qu’il me dit.

-    Bon, d'accord ; je connais Agent… fais-je dans un soupir fataliste.

-    Bah voilà…vous voyez bien quand vous…

-    Oui, bon ça va, hein ? Je vous connais pas, d’accord ? Et puis ma mère m’a toujours appris à ne pas parler aux gens que je ne connais pas, et toc !

Pour un peu, je me croiserais bien les bras sur le ventre en boudant comme un enfant mais je me rends compte de mon comportement un peu puéril…

-    Ok…vous êtes Ben Affleck, moi je suis Charles Dickens, et je dois encore vous présenter La Fumée, que j’ai posé sur la table, là…

-    La Fumée ? s’étonne le type.

-    Ben, oui, dans le bocal, là. Vous ne le voyez pas ? Il est mauve, insisté-je avec impatience.

-    Vous voulez dire dans le flacon, un truc violet, là-dedans ?

-    Pas violet ; mauve ! Z’êtes daltonien ou quoi ?

-    Je vois bien le récipient dont vous me parlez mais…il n’y a rien dedans.

Surpris, je me tourne vers l’objet. Mince…il est vide !
Je me saisis du flacon et l’observe de près mais, effectivement, il est plein de vide. J'ai dû mal le refermer tout à l'heure, à la gare !

-    Bah, me voilà beau s’il s’est fait la paire, celui-là… fais-je avec dépit.

-    De toute manière, je dois seulement vous remettre cette enveloppe, monsieur Dickens.

Il me tend une enveloppe en kraft avec mon nom écrit dessus. Je pense que je vais y trouver mes instructions…

-    C’est tout ? fais-je, un peu décontenancé.

-    Oui.

-    Dites-moi, Ben…

-    Oui, monsieur Dickens ?

-    Ben Affleck…c’est pas votre vrai nom, n’est-ce pas ?

Le type se fend d’un petit sourire malicieux. Il me regarde avec franchise puis, dans un murmure complice me confie :

-    AgentDeBonneCompagnie…pour vous servir, Monsieur…Dickens.

Il a prononcé mon nom avec insistance, pour bien me faire comprendre qu’il savait aussi la fantaisie de mon patronyme. Il hésite une seconde puis, d’un geste rapide, me tend un petit appareil, gros comme un porte-clés, et me dit :

-    Si vous avez besoin de moi, cassez cet objet par terre et je serais là dans la seconde…

Là-dessus, il sort de la chambre.
Je reste indécis puis, enveloppe en main, j’appelle le service d’étage pour qu’on m’amène un petit déjeuner solide et chaud. Je repense avec un peu d’effroi à ce qu’il m’a dit à propos de cette capsule qui serait en moi… En attendant , j’espère que cela ne pèsera pas trop sur mon petit projet. Je vais devoir me débarrasser de ça au plus vite.
Agent ne perd rien pour attendre.
En attendant, je m’installe paisiblement sur l’immense canapé blanc en regardant partout autour de moi. Qui sait où pourrait être La Fumée ? Et comment à-t-il fait pour sortir de sa prison de verre, celui-là ?
Encore un petit regard sur l’enveloppe puis…je l’ouvre enfin.


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