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     — 5 ! 4 ! 3 ! 2 ! 1 ! Bonne année !!! s'exclament en chœur mes parents, mon oncle Marc, ma tante Dolorès et leurs deux filles.

    Voilà. C'est minuit. Nous entrons dans une nouvelle année. De surcroît dans un nouveau millénaire. Quoique certains prétendent que le troisième millénaire commencera en 2001. Mais peu importe. Nous rentrons tout de même dans une année qui sonne bizarrement. L'an 2000. Le fameux an 2000 dont tout le monde parle depuis des mois, même des années. Visiblement nous sommes toujours là, l'Apocalypse n'a pas eu lieu. Le bogue informatique non plus je présume.

     C'est bon. J'ai fait la bise à tout le monde, du moins tout le monde m'a fait la bise. Le rituel se conclut avec mes deux cousines. Les seules à qui il reste de l'innocence, dont les vœux semblent sincères. Je ne suis plus de leur monde, mon enfance et l'innocence qui l'accompagne, bien que proche, est derrière moi, du coup ce rite annuel m'enchante peu.

     Cela dit, cette année la Saint-Sylvestre a une autre saveur vu que ce début de millénaire sera marqué par un rendez-vous avec Eva, chez elle, à Mâcon. J'ai hâte ! Maman cherche à joindre Mickaël pour lui souhaiter la bonne année. Il faut croire que ça ne répond pas. Rien d'étonnant. Il est chez un ami, sûrement occupé à fêter l'évènement comme il se doit, c'est-à-dire dans un nuage de fumée et le sang gorgé d'alcool. Moi je suis encore trop jeune pour réveillonner avec des potes. C'est ce que disent mes parents. Tandis que mon frère va fêter ses dix-huit ans dans l'année naissante. Cela dit, mes amis doivent vivre une situation similaire à la mienne en ce moment. Je sais qu'Ophélie passe la soirée chez ses grands-parents, en Savoie. Il reste un fond de champagne. Je m'en ressers une coupe avec plaisir. C'est la seule soirée où boire sans me cacher m'est possible.

     — Dany ! Doucement sur le champagne !

     Mon père... Toujours là pour gâcher les bons moments. Je vais également me couper une part de bûche, parce qu'elle est bonne mais aussi pour voir comment va réagir le paternel. Il me regarde avec une mine agacée mais reste muet. Trop occupé à écouter son frère, pendant que la femme de ce dernier enjoint les deux fillettes à enfiler leur manteau. Les invités nous quittent déjà, un long trajet les attend. Tant mieux ! Je pourrais enfin m'installer devant la télé car mes parents, comme je les connais, vont certainement se coucher.

     Nous voilà trois dans la maison. Maman m'avise de ne pas me coucher trop tard avant de rejoindre son lit. Allongé sur le divan, j'allume la télé et tombe sur un épisode de Tex Avery. Impeccable ! Ça va me passer la nuit. Une nuit qui tout compte fait ressemble aux autres. Même si nous sommes nombreux à la rendre exceptionnelle. Nombreux aussi à admettre l'hypocrisie de ces fêtes, conscients d'achever les années dans une bienveillance simulée. Je sais que ma mère ne supporte pas son beau-frère, que ma tante traverse l'année en tuant son mal-être à coups d'anxiolytiques, que mes parents restent ensemble sans s'aimer, comme deux bons collègues de travail. Tous mènent leur existence en ne montrant qu'une vitrine d'eux-même. Mais chacun d'entre eux, une fois isolé, seul face à sa conscience, se dégoûte, s'attriste, détourne ses yeux de son vrai moi comme des rayons du soleil...

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