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    Nous arrivons vers la dernière maison au fond d'une impasse, au sein d'un quartier résidentiel. Un lieu paisible, dépaysant comparé à mon immeuble, avec ses maisons individuelles, ses façades décorées, ses terrains fleuris, sans mauvaises herbes, entourés de grillages coudoyant les arbustes. C'est d'ailleurs le point commun à toutes ces maisons : des arbustes délimitent leurs terrains. 

    Maman sonne. Une voix féminine, lointaine, étouffée par la porte fermée, nous invite à entrer. La bonne femme ouvre, salue ma mère et m'examine d'un œil tendre.

    — Qu'est-ce qu'il a grandi !!! Je l'imagine encore assis sur le canapé, dans son pyjama, à déguster son chocolat devant les dessins animés. Le temps passe tellement vite...

   De mon côté je n'ai pas le moindre souvenir de cette dame. Pas même son nom – Marie-Jo – que j'ai appris ce matin. Selon ma mère, elle était ma nourrice jusqu'à mes six ans. Si je ne me remet pas son visage, son appartement, en revanche, a bien laissé quelques traces dans ma mémoire. Une image de cette étagère remplie de cassettes, pour la plupart des films d'horreur et de combat, a toujours gardé une place infime dans ma tête. Aujourd'hui elle me revient comme un flash. Je la percevais comme un immense meuble à l'époque, un genre de gratte-ciel. Le mari de ma nourrice était un grand fan de Bruce Lee et Van Damme.

   — Je vous en prie, installez-vous ! Qu'est-ce que je te sers à boire mon grand ? J'ai du jus de pomme, du coca...

    — Un jus de pomme s'il vous plaît.

   — Sylvie je te prépare un café noir comme d'habitude...

J'aurais mieux fait de profiter des dernières semaines de vacances à la maison, ou si possible dehors avec Boris. Ici je m'ennuie déjà, pourtant leurs papotages n'ont pas encore commencé. Je me demande ce que j'avais en tête quand j'ai accepté de venir. Mon ancienne nourrice vilipende le voisinage qui jette toutes sortes d'objets inappropriés dans le bac des ordures ménagères : bidons d'huile moteur, sacs de gazon, divers emballages recyclables... Maman vient de prononcer le mot école, je sens déjà la conversation s'orienter sur moi. Marie-Jo me regarde de ses yeux brillants, ceux d'une mère attendrie par les exploits de son petit garçon. Plus aucun doute ne subsiste : pour la millième fois, je vais entendre l'éternelle question...

    — Et Florent ? Toujours aussi bon à l'école ?

    Je termine tout juste de prendre l'air pour prononcer la première syllabe que Maman me devance déjà...

    — Là-dessus y a pas de soucis avec Florent, il apprend très facilement.

    J'ai surtout plus de temps à consacrer aux révisions, vu que je sors peu.

    — Je me rappelle comme si c'était hier du petit Florent qui courait vers la bibliothèque aussitôt qu'il dépassait le pas de la porte... Un enfant très agréable, toujours joyeux, avec sa petite bouille d'ange.

    — Ça n'a pas tellement changé aujourd'hui. C'est juste qu'en ce moment mon fils est un peu mélancolique à cause de sa copine.

    — Il a une copine ! C'est bien c'est de son âge. Puis ça m'étonne pas venant d'un garçon si gentil et si mignon.

    — C'est pas ma copine c'est ma pote...

    Ma correction passe inaperçue. La discussion porte déjà sur un autre sujet. Mais c'est vrai qu'Ophélie en ce moment n'est pas au sommet de sa forme. Je lui ai rendu visite hier, chez elle. Elle n'a pas quitté sa chambre de l'été. Presque amorphe, elle ne mange plus. Elle dit aussi avoir coupé les ponts avec les racailles qu'elle fréquentait avant la fin de l'année scolaire. À un moment elle est partie sur un délire, tenait des propos incohérents – elle ne mange plus mais doit consommer de drôles de substances. Ça me désole mais j'ai déjà essayé de la raisonner. Elle disait que son nouveau mec ne va pas le louper, sans préciser qui est ce le, puis qu'il allait tôt ou tard lui faire goûter sa vengeance. Je ne l'ai jamais vue tomber si bas, elle vit une mauvaise passe mais s'en relèvera, enfin je l'espère, car ces nouvelles fréquentations ne m'inspirent rien de mieux que les précédentes. À l'avenir, mon rôle d'ami sera de l'éloigner de ces types louches qui rodent autour d'elle...

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