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    Ophélie prend ses distances avec moi. Je ne vois pas quand j'ai pu la vexer, la faire fuir, la dégoûter ou je ne sais quoi. J'ai pris soin d'elle tout au long de cette année scolaire qui se termine. Je l'ai écoutée, consolée, conseillée. J'ai tout mis en œuvre pour égayer ses journées moroses. Malgré quelques sourires arrachés, le résultat est décevant. Elle voit de moins en moins ses copines de quatrième, à part Camille, et encore... elle aussi file un mauvais coton, mais c'est une autre histoire. Elle les a remplacées par d'autres beaucoup moins fréquentables. Pas que des filles. Elle traîne avec un type d'une vingtaine d'année qui rôde souvent devant le collège, dans l'avenue Saint-Exupéry. Certainement un dealer.

    Avec moi elle a gardé un peu de gentillesse, bien que sa voix douce ne soit plus qu'un souvenir lointain. Mais avec les autres, elle devient franchement désagréable. L'hiver dernier, juste avant les vacances de Noël, elle a craché au visage d'un cinquième qui la taquinait gentiment parce qu'elle faisait la tronche. Elle a même plusieurs fois invectivé des gens pour un simple regard jugé trop soutenu, avec un accent racaille, sûrement pour imiter ses nouvelles fréquentations, comme ce Diego. Un vrai malade ce type, déjà viré de deux collèges. En cinquième mais du même âge que moi. Reconnaissable avec ses maillots fluo de basketteur américain trop larges pour lui, et sa casquette de joueur de base-ball qu'il porte toujours. Il paraît qu'il aurait déjà tenté de tuer quelqu'un il y a un an ou deux. Selon les uns, pour défendre son honneur, en réaction à une insulte sur sa mère. Selon d'autres, pour de l'argent. Ceci dit ce n'est qu'une rumeur néanmoins très probable vu le personnage : agressif, impulsif, fasciné par les armes à feu...

    Pour en revenir à Ophélie, elle m'a juré ne pas boire entre midi et deux, pourtant j'ai remarqué à plusieurs reprises son haleine alcoolisée quand elle revenait au collège après la pause déjeuner. Mais elle nie à chaque fois, même lors de la fête du Printemps, quand ses mains flageolaient soi-disant pour cause de fatigue.

    — Florent...

    Faut vraiment qu'elle se ressaisisse, mais comment la remettre sur le droit chemin ?...

   — Florent !

    Mince ! J'en ai oublié Clotilde...

    — Tu planes trop en ce moment ! T'as l'air ailleurs, limite tu fais la gueule ! C'est dingue... J'ai besoin de ton aide sur les fonctions affines, j'y comprends que dalle...

    — Oui je t'écoute.

    — Là j'ai du mal avec cette histoire de représentation graphique...

    J'aime beaucoup réviser avec elle, même si aujourd'hui j'ai l'esprit ailleurs. Une fille très agréable. Elle m'aide en langues, je l'aide en maths. C'est peut-être notre dernière séance de révisions avant le brevet. Je crains de ne pas la voir cet été, même si elle m'a promis d'essayer de me contacter. Sauf que peu de monde s'aventure à appeler chez moi. C'est généralement mon père qui répond d'une telle façon que l'interlocuteur se trouve vite refroidi. C'est peut-être bon signe qu'elle veuille me voir. Je peux envisager qu'elle cherche autre chose qu'une amitié. Ce serait génial, sachant qu'à ma connaissance elle est célibataire.

    Je l'apprécie beaucoup, humainement et bien sûr physiquement. De longs cheveux blonds ondulés embrassent toute la longueur de son dos. Ses yeux larges abritent des iris si verts qu'on leur imagine un frais parfum de menthe. Son léger surpoids lui donne des rondeurs appréciables, des formes généreuses à en affoler plus d'un. Difficile bien sûr de ne pas remarquer sa forte poitrine, j'ai moi-même du mal à m'empêcher d'y poser les yeux à la piscine. Mais je sais qu'elle déteste entendre certaines remarques désobligeantes sur ses seins. Elle vit mal le regard des garçons. Et ses congénères du même sexe ne sont pas en reste : la jalousie leur fait circuler des rumeurs de fille facile à son sujet. Elles sont cependant de moins en moins nombreuses à agir de la sorte. Elles connaissent les risques, car Clotilde, l'autre jour, en a giflé une qui l'a traitée d'allumeuse. Je me souviens aussi de ce type frappé d'un coup de pied entre les jambes après lui avoir fait une proposition sexuelle à la sortie du collège. La mère du gars s'est plainte auprès du proviseur, a réclamé – sans succès – le renvoi de Clotilde de l'établissement, et l'a traitée de mal élevée, de dégénérée, car elle porte des piercings et avait à l'époque une mèche teinte en rose. Plus je pense à Clotilde, plus je veux sortir avec elle.

   — Bon ! Florent ! Tu m'expliques ?!

   — Oui oui excuse-moi je suis dans la lune...

   — J'avais remarqué...

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