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    Je sens venir la fin avec Agathe. On se lasse l'un de l'autre, contaminés par une routine narcotique, l'eau tiède qui éteint notre passion naguère enflammée. On ne se parle plus. On fait l'amour sans mot dire, parfois même sans bruit, pour achever nos soirées, comme un rituel grotesque, de la même manière que petit, au catéchisme, j'exécutais un négligent signe de croix pour clore un simulacre de prière.

    Notre relation se consume aussi à cause de cette histoire de lettre anonyme. Agathe, angoissée par cette feuille de papier, prend au sérieux son contenu. La lettre l'accuse de lui avoir volé son prétendant, la traite de tous les noms et nous souhaite de mourir, Agathe et moi. L'identité de la jalouse ne fait aucun doute même sans preuve. Ophélie a mal vécu la rupture, puis il paraît qu'elle file un mauvais coton. Elle ne nous fera aucun mal, je ne l'imagine pas violente. Elle voulait juste nous faire peur, se défouler.

    La rupture avec Agathe, pour le moment larvée, naîtra avec une certaine douleur, cependant en rien comparable aux tourments d'Ophélie. Juste un pincement au cœur. Je pense avoir appris l'amour avec elle, ce sentiment chimique de fusion avec un être. Ce manque en l'absence de l'autre. Mais tout a une fin, il faut l'accepter. Je savais dès le début qu'elle ne serait pas la femme de ma vie. D'ailleurs est-ce qu'elle existe cette femme ? J'ai depuis tout petit une aversion pour la routine pantouflarde observée chez mes parents. Jamais je ne finirai comme eux, vautrés dans leur conformisme rassurant, à se contenter d'une petite vie sans éclat, dans leur maison achetée à crédit, leurs petites vacances au camping où ils apportent même la télé. Pour eux c'est essentiel la télé, c'est leur came, la marionnette qui détourne leurs yeux du néant de leur vie. Grandir, c'est me rapprocher de cette paisible route vers la mort qu'on appelle la vie d'adulte.

    D'ici là, j'ai de la vie à consommer, un besoin irrépressible de m'explorer, de connaître toutes mes facettes, même les moins présentables. Surtout les moins présentables. Il me faut une fille pour m'accompagner dans cette tâche. Florentine m'intrigue. Une redoublante assise juste devant. Je crois qu'elle a un an de plus que moi, vu qu'elle aurait redoublé deux fois. On ne l'entend pas beaucoup. Non pas par timidité, juste par mépris pour ses camarades plus jeunes qu'elle. Elle est très avenante avec ses amis du lycée. Je la trouve moyennement belle. Fausse blonde, visage fin fardé d'un fond de teint pâle, à l'évidence pour masquer d'horribles cernes sous ses yeux livides et transparents. Je perçois tout juste ses deux petits seins pointant sous son chandail noir à col roulé. Elle se montre souvent mélancolique, blasée. Tiens ! Je n'avais jamais remarqué tous ces sillons désordonnés qui rosissent ses bras maigres. Je ne l'imaginais pas dépressive à ce point-là. Quelque chose en elle m'attire. Autre chose que sa beauté mitigée. Sa fragilité peut-être, qu'elle cache derrière un masque de froideur mais se lit sur ses bras. Cette morne blonde va m'aider à me découvrir, c'est certain. Ma nouvelle prétendante s'appelle Florentine...

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