56

2 minutes de lecture

    — Florent ? Pourquoi on voit jamais ta copine ?

    — On en reparlera quand t'auras fini ton exercice...

    Bertrand aussi s'y met. Son handicap ne lui ralentit pas l'esprit, bien au contraire. Il comprend vite. Son sens de l'observation est étonnamment aiguisé. Il a toujours une anecdote à me raconter. Ce gamin déborde de vie malgré son infirmité. Ses jambes étant hors d'usage, toute pratique sportive lui est impossible, et canaliser son énergie lui est difficile. Sous cette contrainte, les jeux vidéo lui servent de refuge. Il m'en apprend beaucoup là-dessus. En contrepartie, je l'initie aux bandes dessinées de mon enfance. Il ignorait, à ma grande surprise, l'existence de Lucky Luke. Quand les leçons sont terminées, il insiste pour me faire jouer une partie en duo. Je perds à chaque coup. Puis je ne comprends rien à ces histoires de quête, de réserves de munitions...

    — On va goûter ?

    — T'as fini l'exercice ?

    — Oui.

    — D'accord ! On corrigera après.

    Tout content, il rentre dans la cuisine et en revient avec du pain et une tablette de chocolat noir. Sa facilité de mouvement me déconcerte. Malgré son fauteuil roulant, il se déplace avec une dextérité hors du commun. Il aimerait courir comme n'importe quel enfant, son handicap le mine, il souhaiterait s'en débarrasser au plus vite. Selon les médecins, il pourrait retrouver sa validité dans quelques années. C'est malgré tout l'enfant le plus joyeux que j'ai côtoyé jusque-là. Toujours gracieux, jamais à se plaindre, moins capricieux que ma sœur et mes petits cousins, juste un peu lourd avec ses questions indiscrètes. Un rien l'émerveille. Avec ses yeux bruns toujours lumineux, on lui imagine une santé d'acier. Il dégage autant d'énergie que dix enfants du même âge. Un soleil miniature. Même silencieux et immobile, il me donne le sourire de par sa présence. Il me rappelle moi petit, j'avais le même entrain, le même bonheur naturel. Il mesure la chance qu'ont les autres de pouvoir gambader, sautiller, descendre une colline en roulant sur l'herbe, glisser sur un toboggan, faire la bombe dans une piscine...

    Les nuages gris se dissipent. Bertrand termine son sandwich et roule jusqu'à la porte de la véranda, face au jardin éclairé d'une lumière renaissante, attiré par un chahut d'enfants et le bruit sourd de tirs dans un ballon. Il veut que je le pousse jusqu'à la haie de cyprès sans préciser pourquoi. Je le conduis quant même...

    — Porte-moi sur tes épaules...

    — T'es fou ! Si jamais tu tombes et tu te blesses c'est moi qui me fais engueuler.

   — Allez ! Porte-moi !

    Bon... Allons-y... Il contemple le terrain vert par-dessus les cyprès, et observe une dizaine de secondes les enfants que j'entends jouer au foot.

    — C'est bon ! Descend-moi !

    Tout juste réinstallé, il se dirige à toute vitesse vers la porte de véranda, déterminé.

    — Allez viens ! Je vais te mettre ta raclée à Tomb Raider !

    Chaque fois qu'il est triste, il m'ordonne de le joindre à un jeu où il sait d'avance qu'il va gagner. Pas toujours facile à vivre ce petit bonhomme. Le petit soleil a ses zones d'ombre, mais qui ne les lui pardonnerait pas...

Annotations

Vous aimez lire Frater Serge ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0