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    Jamais je n'étais entré dans une transe si profonde. Je tape, je tape, je tape encore avec le tesson de ma bière. Cette nuit je suis moi-même. Ce mec souhaite ma mort depuis des années. Mais demain il ne souhaitera plus rien de qui que ce soit. Car l'air traverse péniblement ses bronches pour la dernière fois. Je le sens partir.

    J'ignore combien de coups je lui ai asséné jusque-là. Je continue, drogué par mon action, excité par ce sang qui s'échappe de la chair perforée sur toute sa surface dénudée. De son visage, de son crâne, de son cou, de ses mains s'écoule le fluide rouge, rendu noir violacé par l'obscurité, qui vient irriguer l'herbe fraîche.

   Mon chemin pourrait bien s'arrêter ici. Ce dernier méfait est trop grave pour passer inaperçu, d'autant plus que pour la première fois j'agis devant des témoins. Ophélie détourne les yeux mais sait ce qui se passe. Puis il y a ce type sorti de nulle part qui a déboulé sur ma victime, armé d'un couteau, en même temps que moi. Je me demande bien ce qu'il trafiquait ici à cette heure, et surtout pourquoi il s'est jeté sur le pote à Ophélie. Là il me regarde, apeuré, tétanisé, tandis que j'achève ma besogne. J'ai déjà vu ce type quelque part...

    Ma victime tente depuis le début de me dégager avec ses mains. Pour lui compliquer la tâche, j'ai d'abord lacéré ses mains et ses avant-bras. Une fois cela fait, je n'avais plus grand mal à le bloquer au sol, à planter le verre dans sa chair et taillader ses joues creuses, tracer un sourire pourpre aux commissures de ses lèvres, balafrer son cuir chevelu. Je ne l'entends plus crier. Son corps ne résiste plus. Je lève une de ses paupières. L'œil est vide d'expression, figé comme un morceau glacé, débarrassé de tout ce qu'il recelait de noirceur.

    J'ai tué. De mes propres mains cette fois. Son sang m'a éclaboussé jusqu'au bord des lèvres, j'en connais désormais le goût. Voilà longtemps que le meurtre, le don de mort, m'ouvrait ses bras. Et je m'y suis blotti ce soir, après un long chemin. Je n'ai jamais vraiment su ce qui m'a poussé sur cette voie. Peut-être était-ce une étape nécessaire vers autre chose ? J'ai toujours agi en mon âme et conscience, mais une fois dans l'action je ne m'appartenais plus, il m'était difficile de m'arrêter. De toute façon je ne regrette rien, j'ai vécu au plus près possible de ce que j'étais, ce que je considère comme un privilège.

   Encore une fois je me sens partir. Mais là c'est beaucoup plus intense. Mes membres s'endorment, se plongent dans l'inertie. Je me vois déjà rester apathique jusqu'au bout de la nuit. J'espère ne pas me réveiller dans une cellule, ce à quoi je pense avoir peu de chances d'échapper. Je regarde le ciel, peut-être pour la dernière fois avant longtemps. Il est noir, toujours aussi fascinant. Son infinité m'impressionne encore. Des confins de ce ciel, j'espère qu'Il m'a regardé...

    Je me laisse tomber à genou, maculé de sang, les bras ballants, le cœur battant au ralenti, les yeux rivés vers la lune... Une lune basse... Légèrement dissimulée par les branches feuillues... D'une couleur inhabituelle... Rougeâtre... Sanguinolente... Comme si le soleil de l'aurore m'apparaissait dans la nuit... Mes paupières tombent de fatigue... Mes yeux mi-clos admirent ce soleil... Sans détourner l'œil... J'entends les criquets striduler... Leur chant de serpent me berce... Et le soleil... Proche de l'horizon... Si beau... Si... Je le contemple... Une dernière fois... Avant que mes yeux... Comme le reste de mon corps... Ne s'écroulent... Je me sens bien... Je fais un avec le ciel... Seule la nuit... Elle seule... Peut offrir un tel soleil... Le même qu'au crépuscule... Quand il décline dans le ciel... Quand il s'approche de...

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