Paradis brûlant: La mélodie de l'éternité

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Tomber dans un semi-coma avant de tomber à court d’alcool, c’était un peu le but d’Agathe à cet instant. Oublier qui elle était aussi pendant quelques heures aussi était un des buts recherchés. Même si la bouteille de Jack’s Daniel lui semblait de plus en plus difficile à soulever, la sensation de mal être qui la rongeait ne disparaissait pas.
Une erreur.
Les mots de sa mère tournaient dans sa tête, semblaient rebondir avec fracas contre les parois de son crâne brouillé par l’éthanol. ‘Tu es une erreur, peut-être la pire de ma vie’. Comment une maman pouvait-elle adresser de telles paroles à sa fille, son enfant ? Se rendait-elle compte de la violence de ces mots, des dégâts qu’ils provoquaient chez la jeune fille qui se détestait déjà plus que de raison ? Oui, sûrement qu’elle le savait. Et c’était sûrement volontaire de blesser cette erreur.
Agathe finie par s’évanouir, assommée par la grosse quantité de bourbon ingurgité en peu de temps, plongeant dans un sommeil troublé.
Une erreur…

Quand elle s'éveilla, la tête lourde et la bouche pâteuse, elle se demanda quelques instants ce qu'il s'était passé. La mémoire lui revint comme un coup de poing dans la gueule, avec une sensation de douleur équivalente. Une erreur...
Finalement, cette cuite violente n'avait servi à rien. A part la faire vomir.

Agathe tentait de tromper l'ennui sur un mmorpg quelconque déniché sur le net. Tout en faisant grimper les stats de son personnage, elle se demandait pourquoi la vie n'était pas aussi simple qu'un jeu vidéo. Pouvoir choisir qui l'on va incarner dans la partie, choisir le physique, les capacités. Et recommencer tout si la partie ne nous plaît pas...
Si c'était le cas elle aurait pu changer quelques trucs en elle. Comme cette addiction qui l'avait prise quelques mois auparavant pour le shit, qui l'avait poussé à voler, de nombreuses fois, ses proches ou dans des commerces pour financer sa consommation. Ça s'était terminé au poste de police. Impossible d’oublier la honte ressentie à l’instant où ses parents sont arrivés pour la chercher.
Son homosexualité aussi, elle l’aurait bien supprimé.
Le regard de son père quand il avait appris ses préférences restera graver en elle éternellement. Du dégoût, de la colère. De la haine peut être. Les rapports avec sa femme étant déjà un peu en roue libre, apprendre que sa voleuse toxico de fille était gouine avait achevé sa décision de partir. Ses derniers mots à Agathe : ''Ne me parle plus jamais''.
Sa mère la considérait donc responsable de la perte de son être aimé.
Et Agathe aussi avait perdu son aimée.
Caroline...
Cette demoiselle lui avait fait goûter l'amour, le plaisir, le sexe... Jusqu'à ce que le comportement d'Agathe ne pousse l'autre à chercher une compagne plus stable...
Tout perdu... Elle avait l'impression d'avoir tout perdu... Ou du moins le plus important.
Une erreur...
Est-ce qu'on peut redémarrer le logiciel ''existence'' s'il vous plaît ? Il a planté là.

La vie est cruelle.
Choisir de l'affronter ou de la subir. Agathe aurait voulu être une guerrière, mais elle se sentait plus comme une servante armée d'un bout de bois face à un dragon aux écailles de diamant. Elle ne se sentait pas la force de lutter contre cette vie. Elle n’avait pas demandé à naître, comme personne d’ailleurs. Elle n’avait pas voulu blesser ses parents. Elle s’en voulait d’être comme elle était.
La Mort lui semblait de plus en plus attirante…
Chaque jour, ses forces semblaient disparaître. Comme si chaque nouvelle larme lui drainait un peu plus son énergie vitale. Elle le sentait, le temps était compté avant qu’un allé simple vers les terres du trépas n’arrive.
‘Ce sera cette nuit’’ déclara-t-elle une fin d’après-midi où elle était restée dans sa chambre à broyer de l’obscurité dans l’indifférence de sa mère. ‘’Cette nuit, je mets un point final à cette blague’’…

Cette nuit-là, elle sortit donc vers trois heures du matin. Sa mère l’avait très certainement entendu sortir, mais très probablement aussi qu’elle n’en avait que faire. Agathe ne lui avait pas laissé de lettre. D’abord, parce qu’elle ne savait que mettre dedans. Ensuite, parce que, sûrement, sa mère ne sera pas plus touchée que ça de la disparition de son ‘’erreur’’.
Agathe avait choisi de trépasser sous les roues d’un train. Comme elle ne se sentait pas capable de faire elle-même le geste meurtrier (le grand saut, utiliser le couteau…) elle laisserait la mort arriver à elle. Probablement qu’elle ne se rendrait compte de rien. Elle espérait juste qu’elle ne prendrait pas peur au dernier moment en attendant son bourreau arrivé.
Un peu plus tard, elle était allongée sur les rails. La nuit était pluvieuse. Elle était trempée et avait froid. Peu importe, ce n’était que temporaire. Encore un peu de patience, un cheval de fer viendra sûrement d'ici peu.
Manque de chance pour la jeune fille, une bonne demi-heure passa en la laissant toujours en vie. Elle se dit alors qu’elle aurait dû regarder les horaires de passages.
Quelles seront les réactions de ses proches ? Enfin du peu de personnes qui s'intéressaient encore à elle. Quelques cousins/cousines, deux trois connaissances du lycée, des camarades de drogueries. Est-ce que sa mère aura quand même une larme pour sa progéniture ou bien absolument aucune. L'idée qu'elle n'aura jamais la réponse à ses questions la frustra un peu.
Quelle heure était-il ? Depuis combien de temps était- elle allongée là ? Elle avait froid.
Un bruit.
Un train ? Non. Des bruits de pas.
Merde quelqu'un venait à la gare. Qu'est- ce qu'elle foutait là à cette heure ?
La personne apparut dans l'angle de vision de la suicidaire. Une fille. De son âge sûrement, mais difficile à dire avec le peu de luminosité. Elle mit un moment à apercevoir Agathe allongée sur les rails. Elle poussa un cri. Les deux filles se dévisagèrent un moment quand l'autre se reprit et dit :
- Tu ne devrais pas faire ça.
Et voilà, Agathe s'y attendait, elle allait avoir le droit au beau monologue sur ''La vie et ses merveilles''. Début du monologue dans trois, deux, un...
- Non sans déconner, ce n’est pas cool pour ceux qui vont ramasser les morceaux de faire ça. Pis le train va rester bloquer un moment ici, des gens vont rager comme pas possible, être de mauvais poil et ça va se répercuter sur leurs entourages. Peut- être que ça amènera des conflits dans des familles.

Agathe resta ébahie. Ce n'était pas du tout ce à quoi elle s'attendait.

- C'est tout ce que tu as trouvé pour que je bouge ?

Les mots sont venus d'un coup sur les lèvres de la suicidaire. Bon sang, c'était surréaliste ! L'autre reprit :

- Déjà tu parles, c'est un bon début... Non sans rire, il ne faut pas faire ça.
- Pourquoi ?
- Quoi ''pourquoi'' ?
- Pourquoi je ne devrais pas faire ça ? Qu'est ce qui m'en empêche ? C'est ma vie j'en fais ce que je veux. Si ’ ai envie de mourir, ça me regarde et j'en ai le droit.

- Ouais mais...
Agathe explosa :
- Quoi ? Tu vas me dire que la vie est belle ? Navrée de briser ton conte de fées, mais la vie est immonde elle est cruelle et seuls les forts peuvent survire dans ce monde injuste. Moi je suis faible et tôt ou tard je vais disparaître. Si ce n'est pas cette nuit, ce sera la prochaine. Là, j’ai la malchance d'être tombée sur toi, mais tu ne seras pas toujours là pour m'en empêcher. Alors maintenant, tu vas être gentille et dégager. Je ne veux pas vivre une minute de plus cette vie.
Agathe reprit sa respiration, essoufflé par la longue tirade quelle venait de sortir. Elle s'était légèrement redressée et fixait la perturbatrice, curieuse de voir quelles sornettes elle allait lui déclamer en réponse.
- Dommage, le prochain train ne passe que dans trente-six minutes. T'as encore trente-six minutes à supporter cette vie.
Mais ce n’est pas possible. C'était quoi cette fille ? La plus grande fan d'humour noir de la ville ? C'était d'un chiant. Agathe le lui fit d’ailleurs remarquer.

- Bah vaut mieux en rire. Et puis pour ta gouverne, je n'allais pas te dire que la vie est belle. J'allai dire que j'allai te déloger ou appeler les flics pour qu'ils le fassent si tu ne bougeais pas de toi-même.

C'est quoi son problème à cette fille ? Elle est d'un calme olympien et a l'air sûre de ses paroles. Mais merde, en quoi le fais qu'elle finisse sous les roues du train pouvait bien avoir une quelconque importance pour cette chieuse ? Ce comportement altruiste ne ressemblait pas à celui qu'avait jusqu’à lors connu la brune, plutôt habituée à l’égoïsme latent de ses congénères, de leur indifférence ou de leur volonté de ne pas vouloir se mettre dans une galère. Agathe lui posa donc la question ''Pourquoi ?'' auquel son interlocutrice répondit :
- Je ne sais pas, j’ai pas envie, c'est tout
Agathe tenta encore vainement de la dissuader pendant une ou deux minutes puis abandonna l'idée de lui faire abandonner l'idée de partir en la laissant là.
Elle décida de poser une autre question dont la réponse l'intéressait. Le nom de cette emmerdeuse.
''- Jade.''
Jade donc... La suicidaire lui fit remarquer qu'elle était bizarre, mais cela ne devait pas être la première fois que l'on le lui disait (ce que la jeune fille confirma juste après.)
La dénommée Jade lui demanda alors son nom à elle aussi, ce à quoi Agathe daigna donner une réponse. L'emmerdeuse continua :
''- Bon Agathe, voilà ce que je te propose ; tu vas te lever et venir avec moi.''

Pour faire quoi dit la brune dans sa tête et à voix haute.

''-Marcher''

Agathe sentit le piège. Elle allait l'emmener se promener, puis petit à petit lui gratterai le pourquoi du comment elle en était arrivée là. Cette idée révulsa Agathe. Voir la pitié dans le regard des gens quand elle racontait les détails de sa vie la mettait plus mal à l'aise qu'autre chose. Alors en plus, dans les yeux d'une fille qu'elle ne connaissait pas depuis plus de 10 minutes, pas question.
Elle ne cherchait pas de réconfort, ou de paroles rassurantes. Elle voulait juste que tout s'arrête, ne plus penser, ne plus se torturer l'esprit.
Mais la semble- t-il rousse (difficile à dire précisément dans l'obscurité) chamboula toutes les pensées d'Agathe assez rapidement quand cette dernière lui fit part de sa non-envie de raconter sa vie.

''-J’ ai dit ‘marcher’, pas parler. Et puis je m'en fous de ta vie.''

Sérieusement ? Elle ne voulait rien savoir. Agathe lui fit encore jurer de ne pas poser de questions, ce qu’elle fit. Si ce contrat improbable avait effectivement lieu, la brunette pouvait accepter la proposition de ballade.
Elle se releva donc, trempée et monta sur le quai ou, dans la faible lueur d'un néon lointain, elle put enfin détailler son interlocutrice. C'était effectivement une jeune rousse, qui devait sûrement avoir son âge. Un visage fin, une poitrine généreuse, un corps gracieux... Jade était belle. Malgré elle, Agathe ne put s'empêcher de s'imaginer mordre cette peau qui semblait si douce. Mais un autre détail attira vite son attention ; les yeux. Froids, vides. Les yeux d'une solitaire qui n'a sûrement pas choisit elle- même cette solitude. Et ses cernes qui traduisaient la fatigue que devait ressentir la rousse.
C'était donc cette solitaire qui lui proposait une balade nocturne pour l'empêcher de mettre fin à ses jours ? Agathe ne put se retenir de lui redire qu'elle était bizarre...

Jade tenu sa promesse de ne pas parler, à la grande stupéfaction de la brune. Elles ont déambulé dans la ville durant des heures sans s'adresser plus de trois mots. Agathe découvrit des recoins de sa ville dont elle ignorait l’existence et fut quelques fois stupéfaite par la beauté qui pouvait se dégager de certain lieu, tel ce petit parc perdu. Alors que le soleil pointé le bout de son nez, Jade s'arrêta soudain devant une maison.
''- Viens.'' Dis la rouquine.
''- C'est chez toi ?''
La rousse approuva.
''- Et t'es parents ? Ils ne vont rien dire si tu ramènes une inconnue chez toi de bon matin ?''
Elle lui répondit qu'il était déjà parti travailler. Et elle n'avait pas de frère ou de soeur.
Agathe soupira.
''- Bon d'accord, je rentre... mais c'est bien parce que j’ai froid.''
En vérité, une certaine curiosité s'était emparée de la jeune suicidaire et elle se demandait quelle surprise l'autre pouvait encore lui réserver.

Le salon était une pièce somme tout banal, avec cependant un petit côté sombre qui venait sûrement du papier peint très terne. Agathe se laissa tomber dans le canapé. Son hôte lui proposa à boire et, à la question quoi boire, Agathe voulut de l'alcool. Elle lui demanda ce qu'elle avait.
''- Plein de trucs. Mon père est alcoolique, alors il a ses réserves.''
Un père alcoolo... Agathe se dit que la vie de sa comparse ne devait pas être toute rose. Et cette façon de prononcer le mot ''père''... Visiblement, la paix ne régnait pas dans cette demeure. Agathe eut une pensée pour sa mère.
Le verre de vodka que lui apporta Jade fut engloutit en dix secondes. La rousse lui fit part de son admiration sur sa capacité à absorber de l'alcool. Agathe pensa que les nombreuses cuites qu'elle c'était prise avait finalement eut une utilité.
Jade lui demanda ce qu'elle voulait faire. Cela fit tiquer la brune.
''- De quoi ? Oh, je te rappel qu’on se connaît depuis quelques heures, ce n’est pas un peu tôt pour faire comme si on était bonnes copines. Déjà que tu me ramènes chez toi comme ça.''
Avec son calme déjà bien connu, Jade lui répondit que tant qu’à être ici, autant faire quelque chose. Logique implacable. Jade commença à proposer une virée jeux vidéo sur l'ordinateur quand un détail frappa Agathe; on était un matin en semaine.
''- Tu n'es pas censé avoir cours Jade ?
- Si.
- Et… ?
- Pas envie d’y aller.
- Je vois.''
Mouais... L'école non plus ne se passe pas comme tu le voudrais ma belle ? ça explique pourquoi tu ramènes des inconnus chez toi et sèches les cours.
Agathe se demanda si l'autre aurait agi de la même manière si elle avait été un garçon. Étrangement, elle se disait que oui.
Jade commença à reparler d'aller sur le PC, mais Agathe l'arrêta ; l'ordi, elle saturait un peu, vu qu'elle avait passé les dernières semaines dessus.
La rousse proposa alors d'aller fumer... Mais pas la cigarette. Le visage d'Agathe s'illumina à l'idée de toucher ce à quoi elle était privée depuis des mois.

La vache ! Elle l'avait bien chargé le pétard !
Privée de joints durant une longue période, Agathe sentit les effets arriver très vite. Bientôt lover dans un brouillard de sensations confuses, mais au combien agréable, elle laissa son corps se détendre, chose qu'elle n'avait pas réussi à faire depuis un moment.
Elle aurait voulu remercier Jade, la prendre dans ses bras et lui dire combien elle était heureuse de l'instant qu'elle était en train de vivre. Mais la flemme dut à la drogue l'en empêcha. La rouquine se colla soudainement à elle. Agathe sentit quelque chose brûler dans son ventre ; le désir. Elle commença à s'imaginer parcourir le corps de sa comparse avec les doigts, les lèvres, la toucher aux endroits qu'elle avait de plus intimes. Elle s'imagina les soupires de plaisir que la rousse pourrait lâcher. Elle voulut lui dire, lui demander si elle voulait qu’elle couche ensemble, qu’elle partage un moment torride. Mais elle n'y arriva pas. A la place, seul une question bien triste sur le suicide et si Jade y avait déjà songé lui vint aux lèvres. Mais la réponse de Jade l'intéressa quand même. Oui... Mais non. Quelle avait peur de regretter. Elle argumenta.
''-... Je crois que j’ai peur d'avoir peur en fait. Entre le moment ou...Je ne sais pas, ou je sauterai, trancherai une veine ou prendrai tel ou tel truc et l'instant ou je vais mourir... J’ai peur d'être prise de panique, de vouloir brusquement stopper tout, de regretter, mais de ne pouvoir rien faire. Je ne sais pas si je suis très claire mais je pense que c'est ça... Peur d'avoir peur et de regretter.''
Cette réponse laissa Agathe songeuse. Elle- même n'y avait jamais réfléchi. Entre le moment ou le train se présenterait et le moment où il lui passerait dessus, est ce qu’elle aurait eu le cran de rester sur les rails ou la peur de la mort approchant lui aurait elle fait faire machine arrière. On ne sait jamais comment on va réagir face à la faucheuse.
Jade continua :
''- Pis mourir, ça a beau être une option c'est... Je ne sais pas, quand t'es bloquée contre un boss dans un jeu, si tu éteins la console et que tu n'y rejoues plus, t'as quand même pas vaincu le boss.''
Mouais, pas faux. Agathe trouvait cette comparaison correcte. Jade elle la trouva débile et rit de sa propre phrase.
Agathe questionna ensuite sa belle sur sa vie. Elle apprit, malgré les réponses évasives et pas toujours claires, que Jade était particulièrement seule dans sa vie, pas de vrais amis, pas d'amoureux, des parents qui ne s'occupent pas d'elle. Elle lui demanda aussi où elle en était sur le plan sexuel et comprit vite que la rousse n'était pas au clair sur son orientation sexuelle et qu'elle était encore vierge. Agathe sentit de nouveau son ventre la brûler mais ne dit rien.
Soudain, Agathe remarqua un beau piano numérique qui trônait dans un coin de la pièce, elle lui demanda si c'était à elle. Puis si elle savait en jouer. Puis si elle voulait bien lui en jouer un peu. Agathe n'était pas très portée sur la musique, mais elle appréciait beaucoup Chopin. Jade se leva alors avec difficultés et s'installa devant l'instrument. Elle regarda Agathe dans les yeux et lui dit:
''- Tu sais, reprit Jade, quand je joue, j’ ai l’impression que tous mes problèmes, toutes mes peines, mes inquiétudes s’envolent. Comme si cela endormait la douleur.
- Alors apaise la mienne.
D’accord… Agathe.''
Elle avait prononcé son nom si tendrement qu'Agathe eut un frisson le long de l'échine.

Et Jade commença à jouer. Agathe, derrière la pianiste, se retrouva d'un coup, emportée dans un monde étrange et doux que Jade venait de lui ouvrir. La mélodie était douce et chaleureuse. Agathe eut l'impression de s'envoler hors de la pièce, que ses soucis coulèrent hors de son corps comme s’ils étaient devenus liquide. Agathe ferma les yeux et vit des couleurs vives passer devant ses paupières comme dans un kaléidoscope. Quand elle les rouvrit, jade avait fini de jouer et Agathe se sentait... Apaisée ?
Jade se tourna vers elle. Quelle était belle. Sa performance l'avait transcendé, ce n'était plus une humaine, mais une déesse. Et Agathe sut qu'elle voulait se convertir au culte de cette entité divine.
Elle demanda à la rousse si elle était capable de refaire ce morceau. Mais elle en était incapable.
Agathe ne put soudain résister aux pulsions qui la traversaient. Elle enlaça Jade et lui murmura son envie de lui faire l'amour. Quand la pianiste tourna la tête vers elle, Agathe l'embrassa. Ses lèvres avaient le goût du bonheur. Jade lui rendit alors, maladroitement, son baisé. Elles s’allongèrent sur le lit et Agathe commença à poser ses lèvres sur le corps de sa partenaire. Il était brûlant. Un petit morceau de paradis brûlant. Le monde disparut peu à peu, ne demeurant que dans le râle que Jade pouvait émettre quand le plaisir devenait insoutenable.
Agathe était bien.

Jade finit par s'endormir dans les bras de son amante. Agathe se dégagea et se rhabilla. Elle sortit de la chambre.
Quel moment merveilleux. Pas seulement la partie de jambes en l'air, les dernières heures passées avec Jade.
Agathe sentit quelque chose monter en elle ; le bonheur. Oui elle était heureuse.
Mais en même temps, une pensée lui traversa la tête ; ce temps passé avec Jade était unique. Jamais tel moment ne se reproduira. Jamais plus elle n'éprouvera la même sensation, ou pas avec la même intensité. Ce bonheur éphémère qu’elle vivait allait laisser place de nouveau au désespoir de sa vie. Elle allait retomber. Le paradis était terminé.
Plus que jamais, Agathe eut envie de mourir et elle eut la conviction, plus que jamais, que c’était maintenant qu'il fallait le faire. Mourir maintenant, tant qu’elle était encore heureuse. Mourir au sommet de la montagne et pas en son bas. Mourir avant de regoûter le désespoir.
Mourir...
Elle descendit chercher de quoi écrire. Elle aurait voulu dire de vive voix à Jade combien elle l'a remercié, combien elle l'avait rendu heureuse. Mais son amante éveillée, elle ne pourrait pas mettre son projet à exécution.
Agathe n'avait pas la force de ressortir et, égoïstement, elle voulait que ce soit Jade qui découvre son cadavre.
Dans la lettre, elle la remercia, lui dit de continuer le piano et que la mort n'était, finalement, pas si effrayante.
Puis, après avoir pris un couteau tranchant, elle alla dans la salle de bain et s'installa dans la baignoire. Elle était prête, prête à attaquer la chaire. Ce qu’elle fit. Elle se trancha les veines des deux bras. Étrangement, elle n'eut pas l'impression d'avoir mal. Le sang commença à jaillir de ses plaies et à imbiber ses vêtements. Coule, liquide écarlate, coule et noie- moi dans le noir. Agathe ferma les yeux.
Elle n'avait pas peur, même face à la Mort.
Elle avait fait ce que la vie lui demander de faire.
Maintenant, repos.
Tout en se laissant sombrer dans les méandres des ténèbres, elle eut l'impression que la mélodie que Jade lui avait jouée résonnait autour d'elle et l'enveloppait. Sa dernière pensée fut que cette mélodie devait être celle de l'éternité.








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