15Ω.1 : chimères d’une nuit d’essai

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- Partie 1 -

De Bordeaux à Paris, je poursuis le soleil d’Icare ballonnant dans la voûte pâle déchirée par toutes les conserves en plein vol, un tintamarre de pas à pas, de nuage en nuage. Le ciel descend si bas que ma main le frôle d’une caresse sensible ; ami.e, laisse-moi te conter un morceau de monde, un quart vicié quelques heures plus tôt, ce bout de lune bien ronde dans un manteau noir à poches retroussées et manches si longues que la toile m’emmène par delà le rideau, veilleuse oscillant dans la bise obscure.

Le crayon de papier gratte le Canson, un genou gauche plus charnu que le droit, éclaboussé de quelques traits de trop, et la main pudique déstabilise l’instant d’un geste hagard. Le rêve s’installe, Hermès l’entend poser son séant sur mes pupilles sans que je ne m’en aperçoive et un rire me prend depuis le canapé, indubitablement dérangé, un rire qui ne s’enfuit pas et reste tapis dans la gorge en quête de nouveaux visages aux sourcils-accents surréalistes. L’oiseau-paille, déjà barbouillé du bleu crépusculaire, étend ses ailes, me tend une main épaisse et gigote dans l’éther comme pour s’en imprégner. Je me lève à sa suite, le cœur battant, le pied aussi stable qu’un sabot sur le pont d’un rafiot piégé dans l’orage. Le salon joue une partition mauve de début de nuit - la certitude que le soleil reviendra de sa croisade quotidienne comme l’oraison funèbre de mon songe. Ami.e, laisse-moi te décrire ces divagations qui furent miennes, accrus éclats de ma pensée abstraite que je crus tissée de chimères.

La tradescantia joue les effarouchées sur la table plastique. Je me fige au milieu de la pièce face au balcon où Talence n’est plus tout à fait ce qu’elle est supposée être : un tableau étrange au cadre flottant de rideaux si denses qu’une singularité gravitationnelle s’y perche et se balance probablement en son sein. Des fourmis rament comme des galériennes sous la plante de mes pieds, les rendant guillerets danseurs. De l’autre côté de l’appartement, Bordeaux s’éveille, jolie dame en robe parme et ocres colliers de perles, je l’admire, subjuguée par cet orient que je gagne d’un simple regard : des dômes champignonnent là où des toits de tuiles quasi plats s’élevaient quelques heures auparavant en chapeaux de maisons ras-le-trottoir si peu protéiformes.

Les scènes, chacune si intense, capturent mon attention. Mais on ne s’immobilise pas aux côtés d’Hermès - l’instant prime et l’on doit le bousculer avec art, l’étreindre sans le figer. Alors, les clés tintent comme des cloches acides, alors, l’ascenseur nous aspire après quelques fractales bleues fluorescentes initiées par le bouton d’appel, alors, les reflets nous emportent en terre de souroles. Et je descends la côte d’herbe et de mirages à une allure si lente que les lucioles nous doublent et que les ombres jusque-là silencieuses se mettent à bavarder entre elles d’une étrange connivence. Qui sont ces ménades qui tanguent difficilement jusqu’aux balançoires ? Le vent y sifflote un air à jubjoter éternellement l’égarement d’un soir. Hermès souffle que c’est l’été, que tout paraît plus net alors.

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