24Ω : phalangère à fleurs de lys 

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Je reviens de moins en moins chez mes parents mais dans l’âtre flambent encore et toujours trois éternelles bûches. Papa ouvre et referme compulsivement le clapet d’oxygène, l’œil sérieux. Dans la cuisine, Maman range la vaisselle par ordre d’importance, les assiettes neuves d’abord, les vieilles fourchettes ensuite. J’aime le maquereau, le pain au chèvre, le bois sur chaque pixel, le squelette de Papi dans la commode et les orchidées sur le canson jaune. Je n’aime pas les aubergines, rester des heures devant une assiette pleine, les questions qui n’attendent pas de réponse et les invités qui s’imposent dans le coton mauve de ma chambre. Mes parents et les murs marmonnent pareillement, je ne différencie les uns des autres qu’à la couleur et aux mouvements empreints d’intention. Mon père paraît noir, une ombre chineuse sur le blanc cassé.

Mon enfant suffoque contre le mur, sans raison, elle n’ose pas pleurer, ça ferait un bruit de cœur fragile et les pots cassés débiles lui donnent la nausée. Se trouer le genou ne fait pas autant mal que d’exister.

Aujourd’hui, j’en conclus ironiquement qu’il ne faudrait pas qu’on nous sauve, pas de manière intelligente, mieux vaut crever dans un coin, fixer le plafond dans la pénombre d’une pièce toute lisse.

À sept ans, je comptais les fleurs du poirier, j’appréciais les arbres infertiles, ceux qui ne donnent pas de fruit parce qu’on s’en fiche de s’offrir et que, d’ailleurs, vaudrait mieux pas nous manger. À choisir quelque chose de comestible, j’aurais été une mangue à la chair menue qui s’appose, pauvre centimètre sur l’os du noyau.

La maison, un endroit qui a pu changer, mais les personnages n’en bougent pas vraiment, je crois qu’on nomme ça un foyer. On n’y voit pas le temps passer, l’essence sous le lit et quelques couettes fourrées sous le sommier, imbibées de kérosène. Les carnets de l’enfant gisent dans la poussière, j’ai conservé mes propres détails, comme un mausolée. Un jour, je m’y inviterai et je saurai être suffisamment loin de moi-même pour ne pas prendre honte et être contagieuse.

J’ai entendu un monsieur de glaise affirmer qu’on n’oublie pas sa vingtaine mais le paradis est empli de toutes les touffes de cheveux que j’ai laissé crever auparavant. Plutôt que de déblatérer des âneries, les fausses-gens devraient sortir le nez dehors, passer un regard par l’interstice de ma porte et décrire ce qu’ils s’imaginent à la place du joli drap de blancheur que je sais ne contenir qu’un profond vide. Le voici donc, mon foyer.

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