49Ω : pose de nu .2

6 minutes de lecture

L’ambiance diffère. Moins froid sur le mur, la brise automnale contre sa peau pourtant, les arbres à chat guettent sous les bottines l’averse qui grésille derrière le carreau comme une antique antenne de radiographie, et un prince rococo s’élance hors du sofa cramoisi, part en chasse de l’or des moulures plastiques.

·

Comme une main de sarcophage sur le drap d’hôpital. Que de membres laissés traînant sur l’austérité pleine de tout plein d’éclats de pâleur. Que de membres laissés rodant, bleuis presque lessivés de quelque éclat de vie, le crayon remontant l’âme livide glissée, gisant sur le drap d’hôpital.

·

Sisyphe au menton pourpre de toutes les ombres raflées en terre ceinte, paume posée contre le mur, questionne l’Olympe d’un regard sévère sur ses meurtres éhontés.

·

De cet angle, son chinois* frais déposé sur la cloison striée prédomine, son corps s’efface. Je ne fixe plus que ses ombres déformées qui l’éclipsent. Deux grandes géantes de jambes, pantagruesque chair, énorme masse surplombée d’un tout petit nez ridicule, rien d’autre n’en dessine le pourtour.

*chinois = ombre chinoise

·

Mes papillons sur la voûte, dessinés par des mains jamais véritablement jointes, criblent l’espace d’une miette surréaliste. J’y goûte.

·

Mais qu’elle t’attende, poupée dégorgée de vie, amas de plis sur l’assise molletonnée, suspendue par le buste hors de la terre qui la vit naître puis choir. Mais qu’elle t’attende, chevelure brisée, essai troublé de sa pluie de cendres, amas de sillons sur le tabouret de velours, suspendue par le ventre hors de sa terre qui la vit naître puis croire.

·

Cieux qui m’abîment et me penchent sur vos chaires affamées. Mon genou grêle fond sous l’averse de septembre. Rattrapons-le.

·

L’éléphant de la pièce en ton ombre singe la présence de vie.

·

Elle agrippe ce sein comme s’il lui appartenait. Précieuse féminité qui n’est nôtre sans qu’on nous prévienne, piégeuse féminité qui naît d’autres sans qu’on nous apprenne // et tu ramperas de prière sans quelconque croix, remonteras la plaine grevée d’obus admirant la floraison des taiseurs de tous les trous du monde, Vénus pour te défaire de ta soie//.

·

Maniérée, elle tend l’oreille. Qui lui a appris à plaider sa chair comme s’il fallait une raison pour exister ? Hier, elle me tendait son dos, pour y baiser la grâce des peintres abstraits. Agache au fond de ses clavicules, tracé rouge éclatant la grève des contours, glissé dans son tablier de ventre, la pointe nue du fusain comme la terre de mars enfouie entre ses lèvres.

Deux [ailes] se superposent dans cet écrit.

·

Sein sévère un de plus dans nos calendriers. Si ce mamelon n’indique quelconque chemin, que dire de ce dur égard, braqué en chatte de faïence, épaisse paupière pleine de stupeur, des cils pendus aux tapisseries veineuses, j’y vois un bac à sable et leurs bouches paniques grouillant entre les particules de caoutchouc brûlant.

·

Les lampes sont un miel fâché, gâchis de ruche malade. Et je crois aux ballets de pompes qui passent sous silence les bézoards dans les gosiers. La montgolfière enfle puis s’évide. Son ventre enfle puis se vide.

·

Les hommes m’auront interpellée tant de fois avec cette posture que je pense l’avoir reproduite alors et fait mienne et pensé qu’elle me protégerait. Maman dira que je suis le loup, la fourrure de coiffe fauve de ce monde de soir, la pupille sauvage qui les fait fuir. Pied surélevé pour frapper le rythme violent de l’être // nos cadavres exquis sur leurs pavés //.

·

Entre deux tapisseries persanes, il m’aura claqué la bise, ventre contre sol jusqu’à poser mes joues contre le mur, poignets noués à la frontière de sa convoitise. Mords ma chair comme un-e aimé-e qui ne saurait qu’en faire de toute cette passion qui nous étrangle.

·

Gardons-moi de vous dévoiler l’origine du monde et cet écho qui un jour me découpe et découle de mon être. Me découvre un hiver sale contre la paroi de toutes les terreurs qui en jaillissent. Ma brèche. On la retient de murir, bridée quand elle s’amuse fiévreuse, deux bouts de falaises arquées à la lisière du monde visible. Qu’iriez-vous taire les mystères d’Eleusis, paroisse impure, qui s’y complaisent, m’y creusent un rempart contre nos guerres sans grand intérêt, cyans noyés de purée de fraises, gargantuesque bain de sons dans lequel nous piéger. J’ai écopé à la naissance de tous les désirs et ma peau s’en satisfait. De jour tisser le drap, de nuit m’y évader, repriser ensuite ma sève éprise des fils. Ma brèche, origine dense du monde, dansant mon corps, escalade de cœurs de l’onde libre. Qu’encore une heure, seule, j’y vibre – gardons-moi de vous dévoiler la cime du monde.

·

en salopette. L’automne en salopette et le mouchoir battant et le poil hérissé, court.

·

Boudoir sans le sucre. Et verre en main si ça m’amuse, car il faut que ça m’amuse ou j’en pleurerai de tous ces faux bien habillés babillant comme au printemps mais les amandiers là-bas, dehors, se déplument. La rose ourlée dans le gobelet de cristal, sur la jambe croisée hautaine si ça me chante, car il faut qu’on nous enchante ou l’on en vomirait de tout ce maquillage granuleux sur les pommettes pour se donner un air moelleux – que de la glaise. Que de la glaise vous sorte de vos gonds !, et que le sang du lointain versé sur les mains des jeunes mères vous gâte ce teint figé. Madame, Messieurs, vos sourires sont nos violences, votre silence esquisse le plus sordide des rires mais il faut que le vin dans le gosier nous ravisse l’esprit ou l’on en pleurerait de toute cette chair dépecée, un baiser sur ces têtes de mômes blafards sous une averse de gravats dans les escaliers.

·

8h. Réveillée par la sonate du voisin, elle inspire la fragrance d’hibiscus abandonnée sur la taie d’oreiller. Ces semaines de fin d’été, elle aime le mauvais sommeil : Morphée la dégueule à gong tapant, clairon de pièces d’appartements en papier de riz au travers duquel le bruit s’infiltre comme un intime entre des inconnus qui effeuillent un quotidien secret.

8h, elle extirpe sa carcasse de l’aurore calcinée, guette le miroir crasseux de khôl et de dentifrice régurgité. Son bras gauche le démange. Une plaie vive plane sous son regard, un fanon de baleine tricoté de tendresses. Car oui, elle est tendre, la plus malléable des porcelaines poussiéreuses des armoires vitrées. Son bras gauche la dérange. Elle l’attrape et le tait. Silence sous son toit, sa chair, ou menace ! de ce jour qui viendra, elle prendra une autre charogne sur les cintres de prêt-à-porter, une qui les égale, qui l’engage à se réparer seule si l’on ne veut plus se faire bouffer.

8h, réveillée par la sonate du voisin, elle vogue en fugace voisine.

·

Quand les pierres parlent, je m’installe à la lisière de mes idées, au creux d’une alcôve sous les Pléiades. Je leur dessine un siècle et demi à m’observer sous la voûte. Veule, femme-nuage, garde-pensées, la lune n’incarne pour moi aucun secret, je lui préfère le chaos des étoiles, mes phénix de singularités. Qu’a-t-on tant fuit le ciel qu’on ne vit plus vraiment dessous ? Nos cages me questionnent, la curiosité ne nous égare plus les uns face aux autres. C’est une ère où les narcisses pleuvent sur nos nez en tempêtes et voilà qu’on les cueille compulsivement sans plus demander // D’où vient ce pétale affamé de mon être solitaire ? //. En voilà un, il se pose sur la lunette de mon œil rêveur. J’enlace mes jambes en réponse. Quand les pierres parlent, je m’assois sous le cristal de la nuit et ses constructions princières, d’un air jaloux qui peine à me régénérer, dos contre le jour et lui confie mes étés. Je lui dis // J’essaie. //.

·

Maman, te souviens-tu de la marmelade entamée et la bille du balancier fracassée, brisée en mille éclats de plomb ? Mes bêtises macèrent dans tout ce chantier et je ne sais plus vers qui tourner mes égratignures, ces genoux badigeonnés de bétadine et de confiture, mon doigt dans le saladier, couvert de sucre, la quenotte noircie de pâte à tartiner. Mon menton s’abaisse encore jusqu’aux orteils, coupable de m’être impatientée, d’avoir tant détruit pour le plaisir éphémère. Mon ventre s’emplit encore sans rien soupeser du futur : d’adulte, on repousse probablement enfant comme une mauvaise graine enduite d’huile, le temps d’un goûter.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 3 versions.

Vous aimez lire Laroutourn ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0