57Ω : orgones (confession d'une enfant du siècle)
L'air, ce soir d'octobre, porte le frisson de ma chapelle qui s'enfuit. Un brin de rose en pétales parcoure les reflets des HLM, dévoré de rivages, les trains passent la porte derrière le bloc, les briques épilées de leur vieille mousse. Je me visse le casque des oreilles au pont, l'onde diffuse plus intensément. L'automne étalant ses redondances, je ne suis que fer sous le velours, le plus droit des piliers selon leurs dires. Si l'on me recouvre de bâches, l'on dessine encore mon sourire dessus-dessous et le message se transmet jusqu'aux marais salants de leurs littoraux affamés. "Recouvrons-la de tous nos hivers" car l'on n'en retirera que le bon, sans tenter de m'entendre pour ne pas gâcher leurs fêtes, mais voici ma confession d'enfant du siècle car souvenons-nous comme j'espérais un peu quelques fois et qu'on se gaussait de mes organes nobles, comme j'élevais à peine la voix et que ça ne se pardonnait pas. On les excuse toustes à présent - je ne suis pas des leurs. Voici ma confession d'enfant du siècle, mon inspiration, ma chapelle sous le cri des trombes de gadoue pleuvant du ciel jusqu'aux fondations. Ces paragraphes seront mes paysages.
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Depuis quelques jours, je scrute l'espace-temps à la recherche d'indices, récupérant s'il le faut les grumeaux d'orgones sur les toits que la plupart ne grimpent pas par peur de trancher leur suffisance à vif. Je me répète peut-être, mais. Dans les coutures d'un new age déjà essoufflé, votre eros et votre ego ne sont que vos hémorragies, n'impliquent pas ma viande à dévorer. Je ne vous l'offrirais pas comme ça, dans le secret du silence. Et l'exiguïté de vos cubes me rebute, et la bassesse de vos détours m'embarasse. Musclez vos gyri, pensez plus fort. Mes viscères ne s'offrent pas comme ça. Des litres de vos glorieuses chairs me strient déjà le menton, vos moi je liquides du deuil que vous ne savez pas faire. Les saveurs se mélangent - je les déguste - se meuvent, dansent dans le boudoir.
Le boudoir. Les traversins pourpres et bigarades y trouvent leur place comme des pachas. Les carcasses également ; des corps comme des marbres, nus, alanguis, les uns sur les autres, s'empilant, et leurs yeux fixes commes des billes logées dans mon ventre. Perçant les oranges de Séville de leurs ongles sales, laissant couler le jus sur les tapis, perçant du regard mes lignes fécondes. Quand j'avance en ces lieux, lentement, je les guête. Un écart de méthode m'abîmerait alors je compte et raconte ces âmes rencontrées ; m'avouerez-vous votre miel et comme on se goûtait ? comme on se soulait, ivres mort-es, de tout ce qui se fraie un chemin au travers de mes jeux de coeur, de bavures et de paumes. Il fait si sombre dans ce boudoir que l'éclat du ciel ne nous traverse qu'en levant la tête et les constellations sont des menteuses de poussière en robe de jour. Sur les tapis colorés, les coussins oppressants, les assises moelleuses, la dureté de leurs mots se compacte et se collectionne. On me les tend avec la gueule élargie en un sourire qui m'apeure, rougi de sexe. Et si les tentures accueillent une pulpe pâteuse, instable par essence, on attend de la voûte qu'elle l'élève, la mette debout et que ça se trémousse subtilement. Dans cet univers taffeté d'excès, de tissus et de chairs, s'imposent mes extrêmes. Le murmure de toutes mes ombres grésille autour d'un feu palpitant comme les postes radio et on attend de moi que je nous déploie quelques paires d'ailes. Alors, en ces lieux j'avance lentement pour me protéger, j'évite d'offrir ma main aux marbres rudes - faites que jamais Dédale ne m'incombe, car je n'ai pas les épaules et dès lors qu'on s'essaie, on nie les strates.
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Je n'ai pas votre prisme, vous laisse à peine caresser ma surface. J'habite le rêve, un recoin peu reconnu, loin des pluies d'étoiles, des souhaits pieux, des plans sur la comète, le rêve limbique comme contenu onirique si dense qu'il brouille la frontière du réel. Si je me perds un instant dans les détails, pardonnons mes jeux qui n'en sont pas. Vous voir sourire me donne l'impression sordide que vous peignez l'équivoque sur vos visages et que je dois me déplacer en pleine brume. Je ne sais plus vous lire, je n'ai jamais su, ne suis pas de cette onde : j'habite le rêve, l'éther velu, un rythme en suspension, l'autre face de la matière. Tout ce flou m'attire considérablement : il m'efface. Présentons alors cette autre chimère que le boudoir, explorant régulièrement mes nuits, depuis que je lui ai repris mon jour. Il y a vraiment eu la guerre là-bas. Je n'en fais pourtant pas mon glaive, j'ai d'autres projets pour le monde.
Ma chapelle au bord du récif, bridée par les bombes, s'élève en empire de couteaux entrelacés. Les parois se tissent continuellement de coquillages et d'un sable si frêle qu'il s'étiole et s'étire à l'infini de sa création. Tout tend l'oreille. Le clocher se tient toujours d'une main à la pierre manquante, marquant-là mes surréalismes saisissant d'imposture. Les bas-fonds en céramique brodée de cryptes muqueuses sur lesquels on marche sans état d'âme sont autant de ruines occultes que d'olympes à parcourir. Le boudoir, de son côté, exploite et explore mes géhennes. Le soleil traverse l'un, dédaigne l'autre. Il y a eu la guerre là-bas, la chapelle exhibe encore ma carcasse dénudée. J'y erre seule, je dévore le ciel du regard, dos contre le jour. Je tends l'oreille.
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L'air, ce soir d'octobre, porte mes charnières. Je me lasse des excuses et que ce soit toujours les mêmes qui se fassent hâcher menu chez le boucher. Cette fois, j'emporte ma chapelle loin de vos côtes, je traîne le boudoir dans un autre monde. Je les y observerai croître peut-être. Mon brin de prose en cavale parcoure les reflets des vitraux, perforé de rivages, les trains passant la porte derrière les docks, les briques émiéttées ravalant leur structure trouble. Ceci est la confession d'une enfant de ce siècle : je souhaite protéger mes orgones. Evadons-moi de tous vos hivers.

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