Chapitre 2

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Il y a quelque chose de plus fort que la mort, c'est la présence des absents dans la mémoire des vivants. -Jean D'Ormesson

Je me suis levé. Seulement pour lui. Pourtant je ne sais pas si je retournerai au lycée, voir même à la vie active un jour. C'est mon frère qui est venu me déloger de mes draps, il est entré, à ouvert les rideaux avant de m'embrasser sur le front en chuchotant un simple : "C'est aujourd'hui...". Puis il est sorti. Alors je me suis traîné hors du lit, j'ai usé du peu de force qu'il me restait pour ouvrir les portes de mon armoire. J'ai revêtu cet unique costume noir, celui que je n'ai jamais porté, celui dans lequel je devais être son cavalier au bal de fin d'année. Celui-là même que je ne remettrai plus jamais ensuite en souvenir d'aujourd'hui, en souvenir de cette matinée obscure, en souvenir de cet au revoir, en souvenir de notre dernière fois.

Ce sera un enterrement en bonne et due forme, comme pour n'importe qui, huit jours après son envol. Je ne sais que penser de cette durée, huit jours, c'est à la fois trop long sans lui et trop court pour oublier, trop court pour faire son deuil. C'est quoi faire son deuil d'ailleurs ? C'est l'oublier ? C'est laisser tout mes souvenir avec lui dans un coin de mon esprit sans ne plus jamais y penser ? C'est rire de nouveau ? C'est avancer sans lui ? Je ne suis pas sûr de vouloir faire mon deuil si c'est comme ça. Je voudrais continuer de vivre avec son souvenir même si je dois passer ma vie à pleurer, même si je dois vivre avec ce feu à l'intérieur de moi, même si je dois avoir l'impression que mon cœur s'arrête à chaque fois que je croise son visage sur une photo. Je veux repenser à son sourire, ses yeux pâles, ses cheveux blancs, ses baisers, ses lèvres, ses mains, lui tout entier.

Je retiens mes larmes, je ne dois pas pleurer aujourd'hui. Il n'aimait pas que je pleure, nous nous étions promis de ne jamais pleurer si nous n'étions pas ensemble. Je revois les larmes, brillantes sur ces joues. Qu'est-ce qu'elle faisaient là, il avait promis. "Ne me cache pas tes pleurs" disait-il. Que s'est-il passé alors ?

Mes yeux s'échappent par la fenêtre tintée recouverte de buée et de traces de doigt, j'observe le paysage défiler en silence. Il fait beau, le soleil est haut. Il brille et fait fondre ce qu'il reste de neige sur les trottoirs. Pourquoi est-ce qu'il brille aujourd'hui ? Mon ange s'est éteint. Tout ce qui me maintenait debout s'est écroulé, comment fait t-il pour briller si fort ? Le paysage de fige alors, la voiture s'arrête et je crois que mon cœur aussi, mais je garde mes larmes à l'intérieur. Les portières claquent mais je ne bouge pas, je ne suis pas sûr d'en être capable. Mes yeux restent fixés sur le siège devant, je n'ai pas envie d'y croire.

Ma porte s'ouvre et je tourne la tête pour observer mon frère, s'accroupir, poser une main sur la mienne, me regarder dans les yeux et demander :

"Ça va aller ?"

Non. Peut-être. Je ne sais pas. Je tremble et j'ai peur de bouger, comme si, un fois que j'aurai posé un pied dehors, tout ça sera bien réel. Je ne pourrai plus revenir en arrière. Pourtant, j'acquiesce alors qu'il sert mes doigts dans les siens et m'aide à descendre. Dehors, la lumière me brûle la rétine, mes paupières papillonnent autant pour s'habituer à la luminosité que pour chasser les larmes qui tentent une fois encore de se frayer un chemin. Je m'agrippe à la main de Jack comme si ma vie en dépendait, mes jambes flageolent. Au loin, j'aperçois le cortège qui s'apprête à suivre le cercueil. Son cercueil. Nous les suivons sans bruit, seul le chant des oiseaux et la brise parviennent à troubler le silence.

Je regarde mes pieds, je ne veux pas relever la tête, je ne peux pas regarder cette caisse en bois, je veux l'oublier, oublier ce qu'elle contient, oublier où je suis et pourquoi je suis là. La foule arrive finalement devant l'emplacement de la sépulture. Le cercueil est posé au sol, dévoilant le corps reposant à l'intérieur, visible à travers la vitre. Je détourne les yeux, incapable de me concentrer sur celui que j'aimais plus que ma propre vie. Mes parents m'entraînent jusqu'à la fin de la file qui s'étire de son corps jusqu'à cinq mètres derrière. On me fait choisir une fleur, je prend un rose rouge, symbole de mon amour. Il n'y en a qu'une seul dans le panier. Je la dépose au pied du cercueil, entre toutes les autres, lorsque je me relève, mes yeux s'accrochent à lui. Cette fois, je n'arrive pas à m'en détourner, j'observe son visage maquillé, il n'a pas tant changé, on dirai qu'il dort, ses cheveux sont coiffé à la perfection, seul signe qu'il est plus qu'endormi. Il aimait passé ses doigts dans sa tignasse neige, ça lui donnait un air sauvage d'après lui. J'imagine sans mal l'éclat bleu de ses yeux sous ses paupières aux cils blancs. J'aimerai pouvoir déposer mes lèvres sur les siennes une dernière fois, mais le père de Tyler, M. Bells monte sur l'estrade aménagé et nous devons nous asseoir. Je croise la grand mère de Ty qui m'entraîne sur le banc réservé à la famille proche, je crois qu'elle me dit que c'est là qu'est ma place.

Sur le chemin jusqu'à son siège, Liam s'arrête pour me prendre dans ses bras. Il me chuchote quelque chose à l'oreille mais je suis loin, je ne comprends pas, il finit par s'éloigner après m'avoir embrasser sur la tempe comme à son habitude. Juste derrière moi, j'aperçois Morgane, la meilleure amie de Tyler, ses yeux sont brillant de larmes, elle m'offre un sourire remplie de peine. Elle aussi doit souffrir. Est-ce qu'elle sait pourquoi il est partie ? Je ne sais pas. Je ne penses pas.

J'arrête de penser alors que M. Bells prend la parole d'une voix rauque que je ne lui connaît pas :

"Il y a quelques années, nous étions là pour Lili, ma précieuse femme. Jamais, au grand jamais, je n'aurai pensé revenir si peu de temps après, encore moins pour...Tyler. Tyler, mon adorable fils, votre meilleur ami, votre neveu adoré, son unique petit fils, l'amour de sa vie. Je crois que personne ne s'y attendait, je crois que personne n'a jamais imaginé que c'est comme ça et à cet âge qu'il partirait. Pourtant, il est parti, en silence. Il faut le dire à ceux qui ne le savent pas, je suis désolé pour ceux qui savent. Je..."

J'entends toutes la peine qui irradie de son être, je ne veux pas entendre ce qu'il va dire, je ne suis pas prêt, je n'ai pas envie d'y croire.

"Mon fils, Tyler... s'est suicidé."

Je ne peux pas rester. mon regard est fixé sur son corps sans vie, son corps délicatement posé sur ce linceul blanc. Je ne veux pas l'accepter, je ne peux pas l'accepter. J'ai chaud, j'ai froid, cette cravate m'étrangle ou alors ce sont ces mains glacées qui enserrent ma poitrine qui m'empêchent de respirer. C'est comme si la vérité m'éclater au visage comme si elle brisait chaque centimètre carré de mon âme. Je suffoque, je pleure, je ne suis plus capable de bouger. Je crois que M. Bells s'est tu, est il lui aussi terrassé par les larmes, ressent-il aussi tout ce que je ressens, entend -t'il encore sa voix lui aussi ?

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