Chapitre 7

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Tu me parles du fond d'un rêve Comme une âme parle aux vivants. -Victor Hugo

Je suis là, devant cette porte imposante et je ne sais pas quoi en penser, j'ai l'impression de flotter dans un rêve depuis que je suis ici. Qu'est-ce qui peut bien m'arriver dans cet endroit où tout le monde est mort ? Harcogne a changé de forme comme Lili l'avait énoncé, elle ressemble toujours à un félin mais plutôt de type prédateur, du style panthère ou quelque chose dans le genre. Un brouhaha étouffé me parvient, on dirait qu'il y a bien une centaine de personnes là dedans, voire plus. La voix posée de la passeuse comble le silence inconfortable :

"Tu es prêt ?"

Absolument pas. Mais je n'ai pas le temps de lui répondre que déjà, la porte s'ouvre en grand, toutes les discussions cessent en un dixième de seconde et tous les regards sont fixés sur moi. D'un coup de patte, Harcogne me force à avancer au centre de la pièce. Des centaines d'yeux me fixent depuis de hauts gradins en bois. Ils forment une masse humaine qui m'entoure, formant presque un dôme au dessus de ma pauvre personne. Leur présence m'écrase et m'opresse .Pas du tout flippant cette histoire, sérieusement qu'est-ce que je fais là ? Ils brillent tous, si bien que je ne distingue que le visage de ceux qui sont sur les quatres premières rangées, j'en compte vingt-six. Mes yeux balaient l'assemblée en diagonale, à la recherche d'un regard bleu pâle, ou au moins d'une connaissance. Malheureusement, je n'aperçois que Victoria,au milieu, qui m'adresse un petit sourire inquiet. Sur une estrade en face de moi, le vanvitrus me toise avec un regard méchant, encore plus imposant et terrifiant qu'il ne l'est déjà, il a beau être assis, sa silhouette courbée me surplomble de presqu'un mètre. Quelles sont les options qui s'offrent à moi ? La vie ? La mort ? Je ne sais pas ce que je préfère. D'un côté Tyler mais de l'autre mes parents, Jack et Liam. Mes mains tremblent alors je les enlace dans mon dos, serre les dents et fixe le sol devant moi, je ne veux pas leur montrer que j'ai peur. J'aimerais qu'il soit là. Peut-être est-ce le cas ? Je ne l'ai pas vu.

Les pieds d'une chaise raclent le sol, je relève la tête, le vanvitrus s'est levé, les mains en l'air pour faire taire les quelques chuchotements restants. Il s'éclaircit la gorge et sa voix grave retentit dans toute la pièce, me donnant l'impression qu'il se tient à la fois à mes côtés, derrière et en face de moi. Cette hallucination auditive doublée de sa silouhette écrasante me donne la chair de poule et m'assèche la bouche :

"Bon ! J'ai été dans l'obligation de réunir une assemblée en toute hâte, j'en suis désolé. Je suis sûr que vous n'avez aucun mal à voir que ce jeune homme est vivant. Ensemble, nous allons devoir décider de la sanction qui convient. Je n'ai pas envie d'éterniser cette séance alors allons-y et faisons vite. Monsieur Idazkaria, pouvez vous s'il vous plaît, énoncer les crimes dont il est accusé ainsi que les sanctions possibles ?"

Des crimes ? Moi ? Voyons, ce n'est pas si grave, personne n'est mort, enfin, je veux dire personne n'en est mort, ils l'étaient déjà tous avant mon arrivée. Un homme d'une cinquantaine d'années se lève, il est grand et maigre, j'aperçois les os de ses épaules ressortir sous son T-shirt blanc trop large pour lui. Son front haut et ses pommettes saillantes lui donnent un air hautain.

"Bien sûr. Gabriel Deauclair, jeune homme âgé de dix-sept ans, ici présent est accusé des infractions suivantes : Entrée sur le territoire sacrée du pays des morts sans autorisation préalable, échange non surveillé avec l'une des âmes, contact direct avec un animal sacré. Par conséquences, il a donc violé les articles six, sept et douze de la Constitution du monde des morts. Les sanctions possibles sont : effacement immédiat de la mémoire et retour chez les vivants, suppression de la voix et de la vue avant un retour chez les vivants, mise à mort et arrivée dans le monde des morts, errance éternel dans la forêt dites "entre monde", ou encore mise à mort et errance éternel dans le gouffre."

La première me semble préférable ou alors la troisième. Je ne comprends pas la dernière, qu'est-ce que le gouffre ? J'imagine pourtant sans mal que c'est la pire de toutes. Le vanvitrus se relève :

"Bien, merci. Je pense que pour éviter toute récidive, nous devons éliminer les deux premières, n'est-ce pas ? Personne n'est jamais ressorti de la forêt, ce qui entretiendrait les rumeurs des vivants."

Un murmure d'approbation s'élève dans la salle... Bien sûr, ça aurait été bien trop facile. Pendant le discours de ce Mr Idazkaria, j'ai renoncé à cacher mon anxiété, je tords tellement mes manches entre mes doigts, qu'elles usent mes mains jusqu'au sang. Je sens la grosse patte d'Harcogne se poser sur mon pied, c'est un geste minime mais au moins je sais que je ne suis pas seul sous leurs regards.

"Etant donné que l'accusé a violé trois de nos lois, je propose la sentence maximum, soit la mise à mort cruelle et l'errance éternelle au sein du gouffre."

Maximum ? Mise à mort cruelle ? Errance éternelle ? Mince, je crois que le monde s'est brusquement mis à tourner autour de moi. Est-ce que c'est juste ? Je ne pense pas avoir commis quelque chose d'aussi grave que ça. Je n'étais pas conscient d'avoir pénétré dans la forêt et encore moins que je violais des lois en adressant la parole à Victoria ou encore en me faisant attaquer par la chose bleue. Tout ce que je voulais c'était sortir sa mort de ma tête, oublier qu'il n'était plus là. Pourtant, voilà que je tombe dans un endroit où tout me force à penser à cela, tout me rappelle à sa mort. Combien de fois ont-ils prononcé ce mot durant la dernière demi-heure ? Trop.

"Pour appliquer la sentence, il nous faut au minimum la moitié des votes pour. A main levée donc, les personnes pour ?"

Je retiens ma respiration, pendant un petit moment, il ne se passe rien. Un timide souffle d'espoir se glisse dans ma poitrine rapidement balayé lorsqu'une première main se lève... C'est un vieil homme joufflu d'environ soixante-dix ans. J'en aperçois alors une deuxième, à l'autre bout de la salle, une jeune femme cette fois, puis une troisième, une femme d'âge mûr. J'arrête mon décompte à la dix-huitième puisqu'elles se lèvent maintenant trop vite pour moi... Rapidement, c'est comme si je me noyais dans cette masse de bras levés, tendus vers le ciel. Quand plus personne ne bouge, je compte et mon cœur chute dans mes chaussures. Cent quatre-vingt-quatre. C'est la moitié. Bien plus de la moitié à vrai dire, les trois quarts de la population sont pour, les trois-quart des personnes présentes veulent m'infliger cette horrible sanction, ça m'écrase le coeur. Je ressens leurs regards encore plus pesants, ma poitrine s'est serrée, si bien que j'en ai du mal a respirer. Cent quatre-vingt-quatre personnes sont pour ma mise à mort cruelle et mon errance éternelle parce que j'ai osé mettre les pieds là où il ne fallait pas et parler à quelqu'un. Puis, comme si la mort ne suffisait pas à me punir, faut-il vraiment qu'elle soit douloureuse ?

"Bien alors, je crois qu'il n'y aura pas plus de débat. Gabriel Deauclair, vous serez torturé au moment de l'exécution et envoyé dans-

- Non !"

Torturé ? Et...Non ? Cette voix... était elle seulement dans ma tête ? Est-ce que je l'aurais inventé ? Peut-être. Mais dans ce cas, pourquoi est-ce que plus personne ne bouge ? Pourquoi se sont ils tous détournés ? Bon sang, je donnerais tout pour réentendre cette voix, tout.

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