Chapitre 8
L'espérance d'une joie est presque égal à la joie. -William Shakespeare
"Non !"
Un seul mot, un seul et je pourrais fondre en larmes si je n'étais pas tant occupé à le chercher du regard. Parce que je n'ai pas rêvé, ce n'est pas possible. Sa voix, la sienne, que j'ai si souvent entendue, que j'ai si souvent réécoutée dans ses anciens vocaux durant ses huit derniers jours lorsque je me suis décidé à rattraper mon portable. Autour de moi, c'est comme si le temps s'était arrêté, plus personne ne parle, plus personne ne bouge, tous les regards convergent dans une même direction qui n'est plus la mienne. Je sursaute lorsque la voix grave du vanvitrus gronde :
"Je crois que ce n'est pas à toi que reviens cette décision. Qui es-tu pour t'opposer à ce vote presque unanime ?"
Pendant un instant, je me demande si il s'agit bien de lui, si c'était bien sa voix, si je ne me suis pas trompé. Puis je le vois enfin, ses yeux bleus clairs, ses cheveux neige décoiffés, son visage pâle... Lui aussi brille un peu, comme tous les autres ici.
"Contrairement à vous, je ne suis personne. Mais malgré tout le respect que je crois vous devoir, je ne peux pas vous laisser faire une chose pareil."
Je n'ai même plus la force de retenir les larmes qui dévalent rageusement mes joues, elles sont nombreuses et gelées. Je crois que je pourrais me jeter dans ses bras si nous n'étions pas séparés par une trentaine de personne. Je ne parviens aucunement à détacher mon regard de lui, de son visage et lorsqu'il se tourne vers moi,ses yeux croisent les miens, mes pleurs redoublent d'intensité. Ses lèvres forment un sourire à la fois doux et désolé alors qu'il fend la foule jusqu'à moi. Cette fois, je ne me retiens pas et me laisse tomber dans ses bras ouverts. Il n'a pas changé, je reconnais son odeur boisée mêlée à son parfum préféré. Il est là, bien là, avec moi. Quand je m'écarte, ses yeux sont brillants, ils me hurlent silencieusement qu'il est désolé, qu'il s'en veux et je ne veux pas qu'il ait mal. J'essuie avec tendresse l'unique larme qu'il laisse s'échapper. Je ne veux plus le lâcher, plus jamais. Je chuchote contre son épaule :
"Ne me laisse plus. Ne me laisse plus... Tyler, je t'en supplie..."
Il ne répond rien, se contentant de resserrer un peu plus son étreinte autour de moi. Ce n'est pas le vanvitrus qui nous sort de notre bulle, c'est Harcogne qui s'exclame :
"Vanvitrus ! Ta décision tient elle toujours ?
- Bien sûr qu'elle tient encore ! Ce garçon a violé trois de nos lois, il mérite une sanction ! Amour ou non, larmes ou non, regret ou non !"
J'observe Tyler relever la tête en direction de l'homme, le fusillant du regard :
"Dans ce cas là, il faudra m'envoyer au gouffre moi aussi."
J'entends Lili échapper un hockey de surprise. Les chuchotements reprennent, j'en attrape quelque bribes, je crois qu'il est question de légende, de chaos. La passeuse reprend d'une voix pleine d'orage :
"Vanvitrus ! Ton peuple se souvient, ton peuple a compris qui sont ces deux jeunes hommes. Te souviens tu du chaos, de l'enchantement ? Te souviens tu de la légende ? Celle qui ramènera le monde à la normale, celle qui ravivera l'amour brisé de tes dieux, qui réveillera la jeune déesse aux fleurs bleues ! Je l'ai contée, je l'ai enseignée à toutes les nouvelles âmes, tu étais là quand ça s'est produit, te souviens-tu désormais ?"
Il ne répond rien. Quelle est cette légende ? Quel chaos ? Ce monde m'a l'air bien en paix pourtant. Ils ont des dieux ? Qui sont ils ? Que leur est-il arrivé ? L'amour brisé ? Pourquoi ? Trop de question s'enchaînent dans mon esprit me donnant mal à la tête.
"Ce jeune homme ! Il est celui que nous attendions, il est le garçon aux yeux de jade, altruiste et pur. Il ne se questionne pas sur ce qui va lui arriver finalement, ni sur son rôle dans cette légende ! Il se demande de quel chaos il s'agit et de pourquoi l'amour de tes dieux a été brisé. La nouvelle âme qui l'accompagne n'est autre que cette âme suicidée, regrettée de ses proches mais qui, elle, ne regrette qu'une seule chose, l'amour de sa vie. Je l'ai accompagnée ici, j'ai entendu ses pensées et elles étaient toutes tournées vers le jeune homme qu'elle a abandonné."
Je suis touché par les paroles d'Harcogne, j'avais oublié qu'elle était capable de lire nos pensées sans effort. Tyler pensait à moi ? Pourquoi a t-il fait cela s'il regrette ? Moi, je ne lui en veux pas. Jamais je ne lui en voudrais. Il devait avoir une bonne raison ou non, et même dans ce cas de figure, je ne lui en tiendrait pas rigueur. Mais d'où sort cette légende et que dit elle, Harcogne ?
"La légende, jeune Gabriel, dit qu'un jour, le dieu suprême recevra la visite d'un couple uni et inséparable même par la mort. L'un vivant, l'autre mort depuis peu, par leur amour et leur altruisme, ils parviendront à résonner le Dieu, réveillerons la déesse aux fleurs bleues et raviverons l'amour des deux dieux inférieurs. Lorsque l'on cherche plus profond dans les racines de la légende, on entend parler d'un suicidé de la neige et de regard de jade. On raconte également que lorsque le grand jour viendra, le ciel prendra la couleur d'un rêve et la voix de nos dieux déchus résonnera pour la première fois depuis des siècles dans la nuit. Toute la population du monde des morts, pas seulement celle de la forêt se recueillera pour les honorer et prier le Dieu suprême d'ouvrir ses portes au couple."
Un lourd silence s'est abattu sur la salle. Un suicidé de la neige ? Un regard de jade ? Des dieux ? Voilà une légende d'une précision déconcertante, d'autant plus que tout mène à croire que nous sommes ces amoureux.
Le vanvitrus se lève, tous les regards sont tournés vers lui. Il descend de son estrade, nous passe devant sans un regard et ouvre la porte en grand. Il sort et main dans la main nous le suivons, nous et toute la population qui était présente. Déjà, les chuchotements reprennent, les conversations sont plus légères. Lili se glisse à nos côtés, accompagnée de Victoria.
"Je vous jures que si cette légende vieille comme le monde parle de vous. Vous avez intérêt à revenir sain et sauf !"
Puis elle se tourne vers son fils :
"Quant à toi, il va falloir que nous ayons une sérieuse discussion par rapport à tes choix de vie. Si Gabriel meurt vierge et sans bague au doigt, je veux qu'il se passe des choses dans ce monde là."
Tyler la chambre sur le fait que je ne suis déjà plus puceau, en tant normal j'aurai viré au cramoisi mais je ne relève pas puisque Victoria me lance un regard étrange avant de dire :
"Je suis désolé que tu ai failli mourir à cause de moi. Enfin, surtout que tu ai violé deux lois sur trois à cause de moi, c'est moi qui est laissé mon nichel s'enfuir et moi encore qui t'ai adressé la parole en premier.
- Ne t'inquiète pas, je ne t'en veux absolument pas. Un nichel, tu dis ? C'est cette chose bleue ?"

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