Chapitre 12
Pour une personne amoureuse, la valeur de l'individu est instinctivement connue. L'amour n'a pas besoin de logique pour sa mission. - Charles Lindbergh
Il est quatorze heures six lorsque nous arrivons devant la maison blanche du monde des morts. Victoria est déjà là, assise sur les marches, un sac à dos violet pastel posé à côté d'elle.
"Vous êtes en retard, je commençais à croire que l'heure avait changé.
- Oui, désolé, on s'est réveillé en retard." je réponds.
Je vire au rouge pivoine et j'espère silencieusement que Victoria ne le remarque pas alors que Tyler se penche vers mon oreille pour chuchoter :
"En même temps, la nuit fut mouvementée..."
Malheureusement, tous mes espoirs sont réduis à néant alors qu'elle lâche :
"Ouais, je vois, le lit a souffert."
J'ai donc une réaction très puérile pour un ado de dix sept ans, je pique un phare avant de cacher mon visage dans le creux de l'épaule de Tyler. Les deux autres partent dans un grand rire et c'est à cet instant que la passeuse décide d'arriver :
"Qu'est-ce que j'ai loupé ?
- Tyler et Gab-
- Rien !"
Mon intervention les fait rire de plus belle mais tout plutôt que d'étaler nos ébats de la nuit dernière et ma vie sexuelle en général. Je change rapidement de sujet :
"Qu'est-ce qu'on est sensé faire en premier alors ? Je veux dire, je comprends bien que nous devons trouver Në Dashuri mais nous n'avons pas la moindre idée de où chercher, par où commencer ?
- Il n'a pas tort, elle est introuvable ça fait des siècles que des gens la cherchent en vain." Poursuit Victoria.
*****
Il n'est pas loin de quinze heures lorsque nous nous mettons en route. A force d'argumentation, nous avons choisi de nous diriger, dans un premier temps, chez la magicienne Leyenda afin d'essayer d'obtenir, quelques informations supplémentaires et ensuite, nous irons voir Tyr pour...discuter ? Peut-être y a t-il une possibilité pour qu'il cède et ramène tout à la normale ? Honnêtement, c'est une de mes idées et même moi je doute que ça marche. Harcogne, qui à l'air de connaître le monde des morts comme sa poche, dit que la magicienne vit dans les montagnes hurlantes et que pour y arriver, nous devrons simplement traverser les plaines troublées, d'après elle, ça ne prendra qu'un ou deux jours à bonne allure. Personnellement, peu m'importe le temps que ça prendra, je m'inquiète surtout de ce qui à poussé les gens à appeler ces lieux comme cela, ce n'est pas très rassurant.
Les branches craquent sous mes pieds depuis déjà deux heures. Je garde les yeux fixés sur le sol, pour ne pas m'entraver dans une racine et pour éviter de marcher sur les pieds de Vickie juste devant moi. Une petite brise fraîche s'infiltre parfois sous mon T-shirt un peu trop grand. Sans que je ne m'y attende, la main froide de Tyler se glisse sous mon menton et me relève la tête. A quelques mètres de nous à peine, s'étendent d'immenses plaines vertes qui semblent infinies. Le soleil est toujours haut alors que la forêt se referme derrière nous. Harcogne nous met en garde :
"Attention, l'herbe est haute."
C'est tout ? La hauteur de l'herbe est le seul danger ? Je me serais inquiété pour rien ? C'est possible, enfin, tant mieux. Je passe mes doigts dans le doux gazon sans avoir à me pencher, je me sens léger. Je ferme la marche, devant moi Tyler profite lui aussi du paysage, avant lui se tiennent la passeuse, dont la queue fouette l'air au fur et à mesure de ses pas, et Victoria qui chantonne pour elle-même. Je pourrais m'allonger ici et ne plus jamais me relever, observer la dance des nuages le jour, puis le scintillements des étoiles la nuit seulement, c'est comme s'il manquait quelque chose. Les seules fleurs qui ont osé pousser sont bleues, mais ce n'est pas ça, c'est autre chose, pourtant, je n'arrive pas à mettre le doigt dessus. C'est comme si c'était parfait, même trop parfait, ce n'est pas, disons, naturel.
Cela doit maintenant faire une bonne heure et demi que nous traversons ces plaines, les arbres ne sont plus que d'informes taches brunes dans notre dos. Je me demande bien comment Harcogne fait pour s'y retrouver, il n'y aucun chemin de tracé et aucun brin d'herbe ne semble avoir été piétiné avant notre passage. Elle semble nerveuse, se retournant toute les dix minutes, vérifiant que tout le monde suit. Tyler aussi me surveille, plus discrètement, il se contente d'un coup d'oeil en arrière mais je le regarde assez pour les intercepter. Je cherche toujours ce qui ne va pas ici, ce qu'il manque. La main de mon copain attrape la mienne sans que je l'ai vu ralentir, il me glisse :
"Il est dix huit heures.
- Et donc ?"
Il me regarde comme si j'étais demeuré avant de me montrer le soleil d'un mouvement du menton :
"Tu trouves ça normal que le soleil soit toujours aussi haut ?"
C'est vrai que si on se fie à notre étoile, on dirait qu'il n'est même pas encore trois heures. Il reprend :
"Et honnêtement, est-ce que ce n'est pas bizarre qu'il n'y ai rien d'animal ici ? Ni insectes, ni oiseau, rien."
Mais bien sûr... Voilà ce qu'il manque ! Il manque le bourdonnement des abeilles qui butinent, le bruissements des mulots qui courent dans les herbes, les battements d'ailes des oiseaux... Tout est silencieux, rien ne vient troubler le mutisme des plaines, sans compter l'immobilité du soleil. Pas un caillou ne vient crisser sous nos semelles, pas une branche ne craque sous nos pieds... La voix d'Harcogne me tire de mes pensées :
"Les plaines sont comme figées dans le temps, c'est arrivé lorsque la météo s'est rétablie et que le sol s'est stabilisé. Ici, personne ne sait vraiment comment ça marche mais c'est sûrement un geste de rébellion de la part de ce lieu."
Un acte de rébellion ? Contre Tyr ? Les lieux auraient donc une âme eux aussi ? Intéressant. Je vais donc m'inquiéter de comment je traite chaque élément de cete environnement, histoire de ne pas me faire attaquer par une botte de terre.

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