Chapitre 19
Time can bring you down, time can bend your knees Time can break your heart, have you begging please - Eric Clapton
C'est comme si j'étais repoussé hors de mon corps avant d'y être renvoyé. Je suis réveillé en sursaut, violemment de retour dans cette chambre, où la lumière des éclairages de la rue perce entre les volets, dans ce lit. Enfin, je ne sais pas si le terme "réveillé" correspond réellement. Etais-je vraiment endormi ? Je n'en sais rien, tout cela avait l'air bien trop réel pour n'être qu'un simple rêve. Je m'assois brusquement, dérangeant Tyler, qui, lui, dormait pour de vrai.
"Hmm... Qu'est-ce qu'il y a ?"
Me voyant inquiet, il se redresse en fronçant les sourcils :
"Gabi ? Tu es super pâle, tout va bien ?
-Je... Je ne sais pas vraiment en fait."
Son bras entoure mon épaule et je ne le repousse pas. Était-ce seulement un rêve ou est-ce que je deviens simplement fou ? Je ne suis sûr de rien.
"J'ai... J'ai fait un rêve, enfin, je ne suis pas sûr que ce soit le terme adapté... "
Je lui conte alors ma rencontre avec la déesse, je la décris, lui fais part de notre conversation en n'omettant pas le moindre mot. Je vois son beau visage fatigué se froisser et ses yeux s'emplir d'inquiétude.
" On devrait en parler à Harcogne tu ne crois pas ? Elle saura si c'était seulement un rêve ou non. Peut-être est-ce que cela a un lien avec ta capacité..."
J'acquiesce, c'est une possibilité. Quant au fait de parler avec la passeuse, c'est ce que nous pouvons faire de mieux dans tous les cas...
"Demain, d'accord ? Il est tard ou alors bien trop tôt. Essaye de te rendormir mon ange..."
Encore une fois, je hoche la tête, pourtant je suis conscient que je ne retrouverai pas le sommeil si facilement. Je le laisse m'attirer à lui et nous nous recouchons l'un contre l'autre.
Sur le dos, la tête contre son épaule, j'attrape sa main et joue doucement avec ses doigts, caressant ses phalanges et contemplant le plafond en silence.
Je sens ses lèvres se déposer sur le sommet de ma tête et son souffle ralentir, mais il ne s'endort pas. Il attend que je ferme les yeux mais je n'y arriverai pas.
Au bout d'une quinzaine de minutes, il capitule, je l'entends soupirer et me chuchoter :
" Tu n'y arriveras pas, n'est-ce pas ?
- A dormir ? Non.
-Bon, alors raconte moi comment tu es arrivé là que cette nuit serve à quelque chose. C'est une question qui me tourne dans la tête depuis que tu es là."
Comment je suis arrivé ici ?
"Ce n'est pas si compliqué. Ils allaient t'enterrer et je n'y croyais pas au début. Je croyais que tu nous faisais une blague. De mauvais goût, peut-être, mais une blague quand même. Puis c'est devenu concret quand ton père a commencé à parler et je pense que... je ne sais pas, je n'ai pas supporté... Tu étais là, juste devant moi, mais tu ne riais pas, tu ne souriais pas, je priais presque pour que tu ouvres les yeux...Quand j'ai compris que cela n'arriverait jamais, c'était comme si mon cœur venait de tomber en miettes dans ma poitrine et comme si des mains invisibles enserraient ma gorge. J'ai fini par m'enfuir sans me retourner. Je ne sais pas comment je me suis retrouvé dans la forêt, un nichel m'a sauté dessus, Victoria m'a trouvé et... Bah me voilà."
Sa main, toujours dans la mienne vient caresser ma joue.
"Je suis désolé tu sais... Je ne voulais pas t'abandonner encore moins te faire du mal, je te le jure mon ange..."
Je le sais, Harcogne me l'a dit et je ne lui en veux pas, je ne lui en voudrai jamais, seulement, la seule chose qui sort de ma bouche, c'est cette question :
"Tyl ? Pourquoi tu es parti ?
- Je... Je pouvais plus le supporter tu sais... J'ai réfléchi longtemps, très longtemps. Tu étais là, près de moi et je ne voulais pas te quitter. Finalement... Je ne sais pas, j'ai perdu les pédales ce soir-là, il n'y avait personne et j'ai repensé à la journée que je venais de passer et à tout un tas d'autres trucs et... Je me suis perdu dans mon propre esprit. Quand je me suis rendu compte de ce que je faisais, je savais qu'il était trop tard, alors j'ai voulu te dire au revoir. Je ne sais même pas ce que j'ai bien pu te raconter.
- Tu ne m'as pas dit grand chose, simplement que tu étais désolé et tu as répété mon prénom une bonne dizaine de fois. J'ai vite compris qu'un truc n'allait pas mais...je suis arrivé trop tard."
Il a beau être à mes côtés, ce souvenir reste douloureux, je revois encore et encore son corps sans vie, là, à mes pieds. Je retiens mes pleurs, détournant le regard.
" Je te dois des explications...
-Non, pas si tu ne veux pas, tu ne me dois rien.
-J'y tiens, s'il te plait..."
Je n'insiste pas, au fond, j'ai besoin de savoir à côté de quoi je suis passé, ce qu'il a du traverser.
" Je ne suis pas sur de pouvoir rentrer dans les détails mais je peux... essayer de te faire comprendre... Est-ce que tu te souviens de...James ?
-Oui... oui bien sûr, comment l'oublier."
James Parker, un véritable cliché Américain du gars populaire au lycée, le beau footballeur entouré de fan-girls mais qui a un caractère de merde avec un énorme penchant raciste et homophobe. Ce mec balançait des remarques discriminantes à tord et à travers, pour tout et n'importe quoi, en se foutant des gens qu'il pourrait atteindre. Un abruti de classe VIP.
"Eh bien... Comment dire, il... n'était peut être pas si homophobe qu'il le prétendait ou alors... il faisait cela pour nuir et seulement nuir mais... Il...il nous enfermait, moi et lui, dans... n'importe ou en fait et, il... a fait des choses...que je n'expliciterai pas plus. Je n'étais pas consentant, je voulais pas, mais je- je n'ai pas pu faire grand chose, il était plus grand, plus fort et il me faisait peur, j'avoue. Il a juré que si j'en parlais à quelqu'un, il te ferait du mal et qu'il ferait en sorte que tout le lycée croit que c'était moi, l'agresseur... Je sais qu'on aurait pu trouver un truc mais j'avais peur que tu m'en veuilles, que tu ne veules plus de moi... J'avais peur de ce qu'il pourrait faire, de ce que ça entrainerait alors j'ai tout gardé au fond de moi. Il en a profité, de cette emprise qu'il exerçait, il a continué, récidivé, de nombreuses fois, de trop nombreuses fois..."
Les larmes coulent le long de ses joues pâles et ses yeux me sondent comme s'il redoutait ma réaction.
En moi, se mélangent, colère et culpabilité. Je jure que si je revois cet abruti je l'envoie en enfer. Pourtant, je sais que cette haine n'est pas dirigée que vers Parker. Je m'en veux à moi aussi, j'ai été incapable de capter le moindre signe, maintenant que j'y repense, je me rends compte qu'il restait toujours avec moi, n'allait jamais vers ses amis qui étaient proche de James mais c'est bien la seule chose. Comment ? Coment ai-je pu passer à côté de cela ?
J'essuie ses larmes du bout des doigts, mais elles sont vite remplacées par de nouvelles.
"Je ne t'en aurais jamais voulu Tyler..."
Bien sûr que je ne lui en aurais pas voulu, s'il me dit qu'il n'était pas consentant, c'est qu'il ne l'était pas et puis même s'il l'avait été d'ailleurs, je lui aurais pardonné, peut être pas tout de suite mais je lui aurais pardonné. Toujours, je l'aurais excusé. A sa mort, je me suis bien rendu compte que j'étais incapable de vivre sans lui.

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