Chapitre 22
Fools, said I, you do not know, Silence, like a cancer, grows -Simon & Garfunkel
Nous sommes repartis dans la matinée sans nous presser et en quelques heures à peine, nous voilà devant ce fameux rideau noir. Cela ressemble à un voile ou alors une cascade d'eau si sombre qu'on ne voit pas à travers, coupant ciel et terre brusquement. Au dessus de nous, les nuages gris s'amoncellent, l'orage gronde et la température s'alourdit. Le pelage de la passeuse flase alors qu'elle s'avance sans hésiter une seule seconde avant de traverser le voile. En un instant, elle a disparu, nous laissant seul, tous les trois, devant cet imposant et déstabilisant phénomène. Nous échangeons un regard incertain. Est-ce vraiment sans danger ? J'avance doucement, avec précaution, jusqu'à déposer ma main sur le voile. C'est frais, je pourrais froisser l’étoffe légère sous mes doigts, on dirait presque un liquide, elle est si fluide que cela en est perturbant. Avec une certaine appréhension, j'appuie un peu plus ma main et elle passe de l'autre côté. Je sursaute avant de la retirer rapidement par réflexe, je réitère mon geste. C'est une sensation étrange, comme un petit filet d'eau froide glisse autour de mon poignet, ma main chauffe légèrement, signe que la température est un peu plus élevé de l'autre côté. Lorsque je la ressors, elle n'a pas changé et je n'ai pas mal. Je me retourne vers Tyler et Victoria qui m’observent. Ils s'approchent et prennent chacun une de mes mains. Vickie se mord la lèvre inférieure et lance :
"Si elle est passée, il ne peut rien nous arriver. Pas vrai ?"
Tyler hausse les épaules et je réponds :
"Je suppose..."
Nous traversons ensemble, je ferme les yeux au moment de passer au travers du rideau. Lorsque je les rouvre, j'ai l'impression d'avoir pris une douche froide même si je ne suis absolument pas mouillé. J'aperçois la bouche de mon petit ami former un O de stuppeur et je suis son regard, découvrant le paysage qui s'offre à nous.
Le ciel est bleu, ici, le soleil brille, les effluves des parfums des fleurs ravissent mon odorat. Une cinquantaine de maisonnettes nous font face. Elles sont plus colorées que celles des deux villages que nous avons vus. C'est cela alors, la demeure de Tyr ? J'avais imaginé un vaste palais agrémenté de tour et d'un immense jardin ou quelque chose dans le jour... Vit-il ici seul ? Nous avons atterri dans une étroite allée entre deux petites maisons. Elles ressemblent à celles que j'imaginais dans mes histoires quand j'étais enfant. Une petite maison de plein pied, au crépis couleur sable ou pastel, au jardin d'herbe verte parsemé de pâquerettes et de fleurs en tous genre... Derrière nous, le voile est d'un blanc éclatant, tout dépend donc du point de vue, d'un côté la clarté, de l'autre l'obscurité. Qui vit ici ? Des domestiques du Dieu suprême ? Des courtisans ou des maîtresses comme à l'époque des rois ? Une douce brise vient faire danser les cheveux sur ma nuque, il n'y a aucun bruit autre que le chant des oiseaux et le bruissements des feuilles des arbres. Y a t'il seulement âme qui vive ici ?
" Nous sommes dans le village des nymphes... C'est étrange qu'il soit désert, la dernière fois que j'y suis passée, il y en avait à chaque coin de rue piaillant et riant. Dans un sens, tant mieux, Tyr ne sera pas averti de notre visite mais cela m'intrigue..."
Le village des nymphes ? Comme dans la mythologie grecque ? Je m'imagine les rues bondées de jeunes femmes, toutes plus belles les unes que les autres, parlant sans se soucier de qui les écoute, certaines avec de longs cheveux de lianes, d'autres avec de la neige sous les pieds... Honnêtement, je doute que ce soit vraiment le cas mais dans ce monde, c'est une possibilité qui ne me surprendrait pas tant que cela. Enfin, peu importe, je me demande où elles sont toutes passées...
Nous suivons Harcogne en silence, les ruelles sont calmes et apaisantes, la plupart des fenêtres sont ouvertes faisant circuler les courants d'air, un odeur de chèvre feuille nous caresse parfois quand ce n'est pas du jasmin ou encore de la glycine. C'est un peu comme si toutes les rues avait une fleur attitrée, c'est amusant. Nous ne croisons pas un chat malgré la beauté des lieux et de la météo.
"Nous y voila."
Je relève la tête. Trop occupé a observer les pâquerettes, les violettes et les brins d'herbes ayant percé entre les pavés sous mes pieds, je n'avais pas remarqué que nous approchions de la demeure de Tyr. Si demeure est le terme juste, dire qu'elle est colossale serait un euphémisme. Sans rire, à coté le Burj Kalifa serait pareil à un insecte tant la bâtisse est écrasante.
A mes cotés, j'entends Tyler souffler :
"Eh bah, moi qui croyais la tour Eiffel gigantesque...
- Je ne te le fais pas dire... continue Victoria."
Comment sommes nous sensés trouver Aljann dans ce... palais ? Dans lequel, je pourrais, honnêtement, faire rentrer toutes les maisons de mon village et les habitants avec, soit dit en passant. Je soupire, nous ne sommes pas sortit... Je commence :
"Il faudrait... mon dieu, cette phrase est digne d'un film, jamais je n'aurais imaginé la dire avec sérieux mais il va falloir trouver un plan ou au moins une marche à suivre, non ?
-C'est vrai, mais quoi ?" répond Victoria.
C'est bien pour cela que je demande... Je sens les bras de Tyler entourer ma taille, il pose son menton sur mon épaule mais n'ajoute rien. Je ne peux empêcher un léger sourire de se dessine sur mes lèvres. Ca faisait longtemps... Mais là n'est pas l'important.
"Avant d'avoir un plan, il faudrait peut être savoir où est Aljann non ? Comment le libérer si on ne sait pas où il est. Je veux dire il nous faudrait une semaine pour sillonner tout le bâtiment." Argumente Tyler.
Il n'a pas tord, seulement, nous ne savons pas où est Aljann, c'est là que réside le problème...
"Pssstt ! Psssst !"
Un chuchotement nous parviens, je crois d'abord à un insecte mais lorsque je relève la tête, j'aperçois une jeune femme, à moitié cachée dans l'angle de la maison la plus proche. Elle nous fait signe de la main :
"Venez, on vous entend à cent mètres aux alentours !"
Elle chuchote si bas, que j'ai du mal à l'entendre, nous la rejoignons derrière la maisonnette aux volets bleus, elle n'élève toujours pas la voix lorsqu'elle s'adresse à nous :
"Je vous ai entendu discuter en passant... Vous avez de la chance de tomber sur moi. Vous cherchez Aljann, n'est-ce pas ?"
Harcogne hoche la tête, les yeux méfiants, je suis trop occupé à dévisager la jeune femme devant moi. Elle possède de grand yeux bruns aux reflets presque dorés, tout son être rayonne d'une beauté hypnotisante, de la pointe de ses cheveux bruns jusqu'à ses pieds aux chevilles fines. Sa peau satiné scintille à la lumière. C'est donc ça, une nymphe... Magnifique. Je suis sûr que n'importe quel homme hétéro succomberait à ses charmes en un clin d’œil... Mais peut-on réellement lui faire confiance ? Les apparences sont souvent trompeuses non ? Je dois la regarder un peu trop longtemps à son gout, parce que Tyler me donne un coup de coude entre les côtes pour me rappeler à l'ordre. Je détache mon regard de la nymphe pour le porter sur lui, ses yeux bleu glacier croisent les miens, alors qu'une violente migraine me foudroie le crâne sans prévenir. La voix de Në Dashuri résonne doucement en moi, me faisant frissonner : "Confiance, trouvez Aljann...". Elle a donc accès à mes pensées et elle peut me parler à l'intérieur de ma tête. Même si je déteste la manière dont je l'ai obtenue, je crois que j'ai ma réponse :
"Euhm... Harcogne ? Je-On peut lui faire confiance."
La passeuse me lance un regard suspicieux, alors je précise :
"Në Dashuri, elle m'a filé une belle migraine au passage mais elle me l'a dit directement dans ma tête, j'ai entendu sa voix..."

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