Chapitre 23
L'inconnu est l'espoir de l'espoir. - Paul Valery
"Elle est capable de te parler dans ta tête, je croyais que c'était toi qui aurait pu lui parler grâce à ta capacité, c'est bien ce qu'avait dit Leyenda ?"
Oui, c'est ce qu'avait dit la magicienne, mais elle n'était sûre de rien, elle n'avait jamais vu une capacité semblable à la mienne alors il est fort probable qu'elle se soit trompée. La déesse aux fleurs bleues peut donc faire des aller-retours dans ma tête autant qu'elle le veut .Je ne sais pas comment mais elle l'a fait et cela me dérange. Je soupire, mon poul bat encore entre mes tempes, décuplant les sons et amplifiant ma migraine. Je hais l'idée qu'elle puisse pénétrer dans mon esprit sans que je le veuille. Je sais que ce n'est pas dangereux parce qu'elle est de notre côté, mais je ne sais pas, je n'aime pas cela, c'est comme si elle violait une partie de mon intimité ou quelque chose dans le genre...
"Il est possible que ce soit lié à ta capacité. Peut-être que, inconsciemment, tu lui as ouvert le passage vers ton esprit." Argumente Harcogne.
Je ne les écoute que d'une oreille, pas que le sujet m'ennuie, mais je n'ai pas envie d'en parler. Nous suivons la nymphe autour du palais de Tyr depuis déjà dix minutes. Elle a proposé de nous faire rentrer discrètement par l'arrière porte et nous avons accepté, suivant les conseils de Në Dashuri et mettant l'option "discussion" de côté.
"Nous y voilà, cette petite porte vous permet de rentrer sans être vus, les autres nymphes sont en "réunion" si je puis dire, elles ne sont pas sensées descendre avant une heure ou deux, ce qui vous laisse un peu de temps pour trouver Aljann. Malheureusement, je ne pourrais vous dire où il se trouve, même ici, personne ne l'a vu."
Nous la remercions et elle passe devant, nous montrant le chemin. L'intérieur de la bâtisse est tout aussi époustouflant que l'extérieur. La beauté et la richesse des lieux sont écrasantes, la hauteur sous plafond est telle que je distingue à grande peine le visage des personnages qui y sont peins. Des sculptures d'un blanc éclatant, représentant, pour la plupart, des femmes, longent les murs. Elles sont d'un réalisme impressionnant, je ne serais même pas étonné de les voir bouger.
"Ces statuts représentent chacune une des nymphes au service du Dieu suprême. Il y a très peu d'hommes, seulement un ou deux. Elles ont été construites après la disparition des dieux, il en manque quelques-unes encore, la mienne, par exemple, n'y est pas encore."
Nous marchons entre les œuvres jusqu'à une énorme porte en bois clair :
"Entrez, allez-y je vous en prie."
Nous obéissons sans hésitation et la porte se referme derrière nous. Lorsque le cliquetis de la serrure raisonne dans mon dos, je comprends que nous n'aurions pas dù rentrer. Tyler est le premier à réagir et à s'avancer vers la porte, il appuie sur la poignet mais rien ne bouge.
"Elle nous a enfermés."
Pourquoi ? La jeune déesse m'avait assuré que nous pouvions lui faire confiance. Peut-être s'est-elle trompée ? La nymphe est certainement encore sous les ordres de Tyr...
*****
Je me laisse tomber sur un des fauteuils présents, cela doit bien faire une heure que nous faisons jouer nos méninges pour essayer de trouver un moyen de sortir d'ici. D'après Harcogne, un enchantement protecteur l'empêche de se "téléporter" de l'autre côté de la porte, elle a eu beau essayer, rien ne s'est produit. J'en ai marre de réfléchir, mon cerveau est à bout alors je laisse mon regard vagabonder dans tous les coins de la pièce. La nymphe nous a enfermés dans une énorme bibliothèque, depuis que la porte s'est refermée, nous ne nous sommes pas éloignés pourtant autour de nous, s'étalent plusieurs centaines d'étagères remplis de livres en tous genre, elles recouvrent les murs du sol au plafond en plus de former un labyrinthe dans la salle. Il n'y a aucune fenêtre, aucun moyen de s'échapper.
J'aperçois Victoria abandonner à son tour et s'allonger en étoile de mer à même le carrelage. Je ris du bout des lèvres avant de me relever. Si je dois passer l'éternité dans ce lieu, autant lire tous les ouvrages qu'il m'offre. Je parcours le dos des livres du bout des doigts, lisant un titre par-ci, un autre par là. Certains sont en français, d'autres en anglais, en espagnol, en japonnais, il y a également des langues que je ne reconnais pas. Étonnement, j'arrive plutôt rapidement au fond de la salle, je fais face à un énorme tableau, faisant deux fois ma taille et bien cinq mètres de longueur. Je détaille chacun des personnages avec scrupule, on dirait une famille, il y a un homme plus grand que les deux autres dont la chevelure argenté reflète au soleil, à ses côtés se tient une femme aux cheveux d'un étrange violet pastel et aux yeux lilas. Elle rit, ses deux mains sur les épaules d'un jeune homme à la peau aussi clair qu'elle, tout chez lui semble fait d'or, d'ambre et d'howlite. A droite, se tient un autre jeune homme dont le teint est aussi sombre que les autres sont pâles, la couleur de ses iris est pareille à celle de la lave. Ils posent comme lors d'un portrait de famille, un air réjouit plaqué sur le visage des deux blonds, un rire capturé chez la femme et un sourire crispé pour le dernier.
Je sursaute lorsque deux mains fraîches glissent autour de mes hanches :
"Dis-donc ils font pas semblant les Dieux !
-Tu penses que c'est eux ?"
Il hausse les épaules avec un "sûrement". Il a certainement raison, mais ce tableau doit dater de plus longtemps que l'amour de Höle et Aljann, parce que Në Dashuri n'est pas présente. Je n'ai d'ailleurs jamais entendu parler de la femme aux cheveux violets...
"Qui est-ce à ton avis ?"
Je passe mes doigts sur la toile au niveau de son visage afin de lui montrer de qui je parles. Seulement, il n'a pas le temps de me répondre que le tableau tremble et se met en mouvement. Il coulisse vers la droite dans un long grincement, révélant une porte en fer sombre et rouillée.
"Je ne sais pas mais je sais encore moins ce que c'est que ça..."
Je ne bouge pas d'un poil et Tyler non plus, ses mains me tiennent toujours, mais plus fermement que jamais. Je n'ai aucune idée de ce que je viens de trouver mais j'ai peur de ce qui se trouve derrière. Mon petit ami à l'idée la plus sensé qu'il n'ait jamais eu :
"Euhm... Harcogne ! On a un souci ou une solution !"
C'est vrai qu'il peut y avoir n'importe quoi derrière cette porte, cela peut être un accès vers l'extérieur comme un passage vers Tyr, le mieux serait d'avoir trouvé la prison d'Aljann mais cela m'étonnerait fortement. Pourquoi nous enfermer quelque part où nous aurions accès à ce que nous cherchons ?
La passeuse apparaît à l'angle d'une étagère accompagnée de Victoria qui écarquille les yeux avant de froncer les sourcils devant notre découverte.
"Je comprends mieux le souci ou la solution, tout et n'importe quoi pourrait se trouver derrière cette porte..."
Nous hochons la tête comme un seul homme, le voilà le problème.
"Je pense qu'on devrait prendre le risque de l'ouvrir."
Je suis d'accord avec Tyler, si c'est Aljann ou l'extérieur qui se cache derrière, nous ne pouvons pas nous permettre de louper cela. Tour à tour, Harcogne et Victoria acquiesce et j'observe cette dernière s'avancer pour abaisser la poignet avec hésitation.
Doucement, la porte s'ouvre dans un grincement aigu, semblable à celui d'une craie sur un tableau noir...

Annotations
Versions