Chapitre 27
If my eyes could show my soul, everyone would cry when they saw me smile. - Kurt Cobain
Tyler's pdv
J'ai l'esprit brumeux, je suis comme perdu, loin, très loin de la réalité. Où suis-je à cet instant ? Je n'en sais rien mais ce n'est pas ce qui me dérange le plus. Je connais cette sensation. Je la déteste, je la hais de toute mon âme, mais dans un sens... je la remercie. Ce phénomène, cette brume épaisse qui enferme mes sens à double tour, je l'ai ressentie souvent, avec lui mais lors mon dernier jour aussi, de mes instants. C'est elle qui m'a couté la vie.
Flashback
Je suis seul dans ce couloir et cela m'angoisse. Gabriel n'est pas avec moi, Morgane non plus. Je suis seul. Pourtant, je sens son regard dans mon dos, entends ses pas qui résonnent derrière moi. Lui aussi, est seul. J'ai peur. Je pourrais presque pleurer et prier pour que quelqu'un, n'importe qui, apparaisse en face de moi. Ce n'est pas le cas. Je sais qu'il se rapproche, j'entends son souffle, j'aimerais fuir mais sa main agrippe mon bras et me tire jusqu'au placard le plus proche. Encore. Je le déteste. Je le hais même. Mais il y a quelqu'un d'autre pour lequel ma haine est encore plus fort. Moi. Parce que je n'ai pas la force de le repousser, parce que dans quelques secondes, je ne serai plus là, je n'entendrai plus sa voix, je ne verrai plus son corps, je ne bougerai plus, je sentirai seulement. Même dans le noir, je peux voir son regard de prédateur, je ne suis qu'une proie, un jouet pour lui. Je ne sais pas s'il en a vraiment envie, s'il s'amuse juste ou si c'est simplement pour me faire du mal. Ses yeux sombres me sondent alors que j'entends la serrure cliqueter : il a fermé à clés.
Encore. Je ne veux pas. Je n'ai pas envie. Je ne l'aime pas. Je le hais. Par un élan de courage inhabituel, je le repousse avec le peu de force que j'ai. Il ne bouge pas d'un pouce, ses mains enserrent ma taille comme s'il voulait encrer ses doigts dans ma peau. Je grimace, il me fait mal. J'ai beau me débattre, rien y fait. Il est trop grand, trop fort, trop tout. Et cela recommence, je m'éloigne, pas mon corps, moi, mon esprit. Je ne suis plus mentalement là. Il fait noir, je ne le vois plus, je n'entends plus son souffle chargé de désirs... Mais je sens, je sens ses mains glisser sur moi, partout là où je n'en ai pas envie. J'aimerais hurler, le gifler, pleurer même mais je n'en fait rien, mon corps ne m'obéit plus. Tout ce que je peux faire, c'est ressentir et penser. Penser à ma lâcheté, à Gabriel, culpabiliser de n'être même pas capable de lui être fidèle, puisque dans un sens, ce n'est pas le cas ? Je ne lui suis pas fidèle, je laisse un autre garçon me toucher, même si je n'en ai pas envie, même si cela me bouffe de l'intérieur, même si je n'en dors plus. Je ne sais pas combien de temps cela dure, je ne sais pas tout ce qu'il fait, je pense à tout sauf à ses mains sur ma peau, à ses lèvres dans mon cou.
Soudain, il n'est plus là. Moi, si. Je suis là. Assis par terre, le dos contre un balais. Ce n'est pas confortable mais je préfèrerais passer ma vie assis contre un balais plutôt que de revivre une seule fois ça. Ce n'est pas la première fois, ce n'est pas la dernière non plus, je le sais, parce que je suis faible. Je suis lâche. Je mériterais de crever. Mais je ne veux pas mourir. Ce serait encore plus lâche, ce serait abandonner définitivement ce que j'ai, mes proches et Gabriel. Gabriel, mon tout, celui qui me maintient en vie sans le savoir, celui qui est là. Il ne sait pas. Il ne sait rien et je ne lui dirai jamais. Jamais. Doucement, la brume s'efface, mon esprit est de retour. Mon cœur bat, je respire, je vois, j'entends.
Je me relève. Encore. Toujours. J'avise la porte, un instant, j'hésite à rester ici, à me terrer dans ce placard à balais pour le restant de mes jours mais je renonce. Un sourire se dépose sur mes lèvres, je le force un peu, juste assez pour qu'il paraisse naturel. Je suis passé maitre dans l'art de cacher mes émotions. Je sors. La lumière du couloir vide m'éblouit. J'ai l'impression de revenir à la vie, mon cœur bat, je respire, je vois, j'entends. Et comme si la vie ravivait les souvenirs, je sens encore, encore ses mains sur moi, encore sa langue sur ma peau. J'ai envie de vomir. Je frotte mes mains sur mon jean, je me sens souillé, sale comme si jamais je ne pourrais effacer la trace de son passage sur moi.
*****
"Je suis rentré !"
Il n'y a personne, normal, on est jeudi. Papa travaille encore, il ne rentrera pas avant vingt-deux heures, il est du soir cette semaine et grand-mère passe le week-end chez une de ses amies, elle est partie ce matin. Je suis seul. Vraiment seul. Je laisse tomber mon sac et retire mes chaussures dans l'entrée puis je tombe sur mon reflet. Dans le miroir devant la porte, mes yeux parcourent mon visage. Je n'aime pas ce que je vois, je n'aime pas être si pâle, si blanc. J'ai l'air mort, je ressemble à un fantôme avec mes cheveux neige. Mon regard glisse vers mon cou et mon cœur se soulève, mon estomac se retourne. Une marque. Violette, bien visible. Lui. Mon palpitant s'emballe sous la panique. Et si Gabi l'avait vu ? S'il soupçonne quelque chose ? S'il pense que je ne l'aime plus, que je le trompe ? Non, il n'y a rien eu, pas un regard de travers, pas une parole plus haute que l'autre, pas un sourire qui ne vacille. Il n'a rien remarqué, j'en suis sûr. Presque.
Une voiture klaxonne dans la rue. Je me détourne, me rendant dans ma chambre en traînant des pieds. Je n'ai pas faim. Je mangerai plus tard. Peut-être. Mes pupilles tombent sur les restes de mon repas d'hier. Je n'y ai pas touché. Le couteau étincelle sous la lumière artificielle de la pièce et la brume est de retour. Elle s'infiltre doucement, sournoisement, ce n'est pas bon. Je sais ce que je fais avec une lame et l'esprit complètement ailleurs. Je perds le contrôle et des lignes se dessinent sur mes poignets, mes jambes, mes hanches, partout là où il m'a touché. Mais voilà que je ne peux rien y faire, que je ne peux chasser le brouillard de ma tête, que je perds le contrôle. Je pleure de frustrations, de peur, de culpabilité, de colère, de haine, et de tout un tas d'autres choses. Puis plus rien. Le retour du noir mais cette fois, c'est différent. Je ne vois rien, je n'entends rien, je ne sens rien autre que les mouvements de mon propre corps. J'agis. Je n'ai pas mal alors que la lâme grave ses signes préférés sur ma peau. Doucement, la colère serpente dans mes veines, coulant à flots avec le sang par mes entailles. J'appuie encore, plus fort, plus loin, plus longtemps. Puis il y a ce mouvement, celui qui dérape, celui qui s'enfonce dans mon aine, celui qui fait gicler plus d'hémoglobine que la normale. Touché. La saphène. En une seconde, la brume s'efface, je suis là. Je vais mourir. Je l'ai compris. Je tâtonne jusqu'à trouver mon téléphone. J'appelle. Qui ? Je ne sais pas. J'appelle. Je me laisse tomber, le dos contre mon lit. J'ai mal, j'ai froid, j'ai peur.
Fin du flashback

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