Chapitre 29
You're just like an angel / Your skin makes me cry / You float like a feather / In a beautiful world - Radiohead
Il est l'heure de dire adieu à notre repos qui fut bien court. Nous avons suivi l'idée de la passeuse et avons pliés bagage. Hier soir, Tyr a placé un enchantement simple en moi, afin d'empêcher la déesse de reprendre possession de mon esprit. Il a dit que c'était provisoire et que cela ne la retiendrait pas infiniment mais je l'en suis reconnaissant tout de même. Le Dieu Suprême n'a pas encore récupéré l'ensemble de sa force et de sa puissance, alors ce n'est pas grand chose a t-il dit. Peu m'importe depuis l'enchantement, je me sens plus léger, comme si un poids depuis longtemps porté s'était envolé. Je respire l'air fraî avec un sourire. Le soleil n'est pas encore levé, la rosée se dépose lentement sur les feuilles de lierre couvrant la cabane que nous laissons derrière nous.
"Le chemin sera long." prévient Harcogne.
Je m'en doutais. Le monde des morts est vaste, je ne serais aucunement étonné de savoir qu'il est même plus grand que celui des vivants. Je rigole doucement en entendant Tyler soupirer et chuchoter à mon oreille :
"Quelle chemin n'est pas long ici ...?"
Il passe son bras autour de mes épaules et je cale le rythme de mes pas sur le sien. Il m'embrasse sur la tempe sans rien dire. Je sais à quoi il pense. Nous avons fait la plus grande partie de l'aventure, devant nous, marche Tyr, le Dieu des dieux, que manque t-il donc ? Aljann et Höle seront libérés en un rien de temps et à cet instant, la déesse aux fleurs bleues n'aura plus aucune chance. Ce sera terminé. Pour elle, mais aussi pour nous. Je devrai rentrer, sans lui. Il faudra reprendre une vie normale, revivre. Je reprendrai le lycée, le cours de ma simple existence sans lui à mes côtés. Je ne pourrai pas me plaindre, n'est-ce pas ? J'aurai eu ce que tout le monde désire, une dernière aventure, un dernier instant avec l'être aimé. J'aurai l'occasion de lui dire au revoir comme il le faut, de l'embrasser, le serrer dans mes bras une fois encore. Pourtant, ce sera dur, je le sais.
"Ce n'est pas terminé" lâche la voix d'Harcogne.
Elle m'a certainement entendu penser. Elle a raison cependant, ce n'est pas encore fini alors je n'ai pas envie de penser à la fin. Ce sera assez dur quand le moment sera venu, nul besoin de le ressasser encore et encore.
*****
Trois jours, deux nuits, environ soixante heures, c'est le temps que nous avons mis pour arriver ici. Ici, sur le sable froid, sous ce ciel orageux, devant cette mer sombre et agitée. Voilà où nous en sommes : à nous demander comment atteindre la cachette du dieu. Pour une cachette s'en est une. Impossible à discerner sans en connaître d'abord l'existence et la forme, tout simplement puisqu'il s'agit d'un nuage, un énorme nuage. Un cumulonimbus perdu parmi la tempête. Si l'on regarde bien, si l'on plisse les yeux juste assez, si l'on regarde au bon endroit, nous pouvons voir une douce lumière bleu pâle filtrer par dessous, illuminant sensiblement l'eau agitée.
"Et maintenant ?"
La voilà, la question que je me pose, je ne suis donc pas le seul. La passeuse se tourne vers Tyr, puis vers nous :
"Je n'imaginais pas cela comme ça... Je dois vous avouer que je n'en sais rien."
C'est maintenant au Dieu Suprême de s'adresser à nous, les sourcils froncés :
"La dernière fois que je suis venu, la mer était calme et le ciel un peu plus dégagé... Pour avoir un passage, il faudrait qu'Aljann nous remarque, seulement, avec ce temps, ce n'est pas gagné."
Qu'il nous remarque ? Pourquoi ? Est-il capable d'ouvrir un passage ? N'y a t-il pas, ici aussi, un enchantement qui l'empêche de se servir de ses pouvoirs ?
"Qu'est-ce qu'il se passe s'il nous remarque ?
- La déesse l'a enfermé dans sa tristesse mais elle n'a pas bloqué ses capacités. Il suffirait d'un son ou d'un flash plus fort que les autres afin qu'il nous voit à travers cette tempête, cela le ferait sûrement reprendre conscience."
Un son ou un flash ? Ce serait si simple ? Enfin, simple, une façon de parler. Nous n'avons pas d'autre son que nos voix et aucune source de lumière, à part peut-être Victoria et Tyler dont la peau brille sous le peu de soleil présent derrière nous. A ma droite, Tyler soupire :
"Je doute qu'il nous entende même si nous hurlons tous en même temps... Il y a l'air d'avoir un sacré vent en plus des torrents de pluie et du bruit des vagues..."
C'est vrai, là où nous sommes, il n'y a qu'une petite brise légère et de petites gouttes fraîches, ce qui n'est pas le cas quelques mètres plus loin, de véritables bourrasques font danser les nuages noirs et la pluie rencontre la mer à coup de violentes éclaboussures. Je me laisse tomber, assis dans le sable. J'enfouis mes mains entre les grains jaune pâle avant de relever la tête. Tous regardent vers l'horizon orageux, pourtant j'ai cette impression désagréable. Je me retourne, rien. A droite, toujours rien. A gauche, non plus. Mais il y a toujours ce frisson qui fait vibrer ma colonne vertébral, ce pressentiment bizarre, ce quelque chose qui me dérange. Le poids d'un regard que je ne vois pas. On nous observe. D'où ? Je ne sais pas. Qui ? Je n'en ai pas la moindre idée. Il y quelqu'un malgré tout, j'en mettrais ma main à couper. Tyler se recule et se laisse aller sur le sable à son tour, comme si de rien était, il se penche vers moi et chuchote :
"Il y a quelqu'un qu'on ne voit pas ou je deviens fou ?
- Si ce n'est pas le cas, nous perdons tous les deux la tête."
Mon estomac se serre et cette sensation me rappelle quelque chose... J'ai ressenti tout ça, il y a presque deux semaines maintenant. Dans les montagnes, à une centaine de mètres sous la terre, dans un salle entièrement blanche à la luminosité bien trop violente...
"Leyenda..."
Je croise le regard de Tyler et je vois dans ses yeux qu'il est arrivé à la même conclusion que moi. Pourquoi la magicienne serait-elle présente ? Surtout, dans quel camp est-elle ? Se range t-elle du côtés de Në Dashuri ou du notre ? Devons nous la craindre ou non ? La voix de Tyr me coupe dans ma réflexion :
"Je pense avoir récupéré assez de puissance pour pouvoir ouvrir un passage par la force, seulement il faudra aller vite..."
Former un passage par la force ? Il ferait en sorte que la mer s'ouvre devant nos pieds comme Moïse dans la Bible ?
"Malheureusement pour vous, je ne peux vous laisser faire cela sans intervenir. Voyez-vous, je ne suis pas vraiment pour le rétablissement des dieux..."ment des dieux..."

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