Chapitre 33

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Petites choses / Dégâts immenses -Bénabar

 Tous existent... Mais n'est-ce pas moi, encore une fois, qui hallucine ? Certainement, pourtant, j'ai envie d'y croire... Il y a cette petite lueur d'espoir qui réchauffe ma poitrine, elle brille un peu plus, elle m'intime d'être naïf cette fois, de croire en ce que mon esprit invente ou en ce que la vie m'offre, d'y croire tout simplement. Debout face à Tyler, presque deux mois après sa mort, mon cœur bat plus fort, plus vite. C'est d'accord, je me laisse persuader par ses paroles...

"D'accord, d'accord, si j'y crois, qu'est-ce que cela change ?"

 Il garde le silence un instant, ouvre la bouche avant de la refermer et des froncer les sourcils.

"Rien pas vrai ?

- Eh bien... Non. Simplement, tu peux me parler et me voir sans te penser fou."

 Je me rassois en silence. C'est déjà ça... Je l'observe s'avancer jusqu'à moi, je peux presque voir à travers lui, ses contours sont flous et brillants. Sa peau déjà pâle de son vivant est presque translucide. Il se laisse tomber à mes côtés et je suis tenté de laisser aller ma tête contre son épaule mais je ne suis pas sûr que ce soit possible.

"Tyler ? Je peux te toucher ? Je veux dire, est-ce que c'est possible ?"Il hausse les épaules, je sens la fraîcheur de son corps sans même le toucher."

 Je n'en ai pas la moindre idée. Il faut essayer."

 Il me tend une main, je l'observe simplement quelques secondes avant d'y déposer mes doigts hésitants. Dans un si petit touché, je sens toutes mes émotions s'écouler vers lui, je crois que, de la même façon, les siennes coulent en moi. J'ai mal, plus que jamais, j'ai peur aussi, je m'inquiète. Ces sentiments-là ne sont pas les miens, voilà donc la peine de Tyler à travers moi. Il y a autre chose, quelque chose que je connais déjà, cet amour, cette passion dévorante qui vous enflamme le cerveau, brouillant vos sens faisant naître des centaines de papillons dans votre estomac. Cet amour, c'est celui qui nous consume tous les deux, celui qui s'est installé en nous lorsque nos regards se sont croisés pour la première fois. Depuis, il ne m'a pas laissé, seul l'être aimé l'a fait... Ce sentiment s'est alors amplifié jusqu'à me dévorer de l'intérieur, empoisonnant mes pensées et mes gestes. Pourtant, ici, à travers ce simple contact entre nos doigts qui s'enlacent doucement, je sens ma peine me quitter. Rien ne sera comme avant, certes, mais tout n'est pas irrémédiablement perdu. Sa voix chuchote vers mon oreille :

"Apparemment, c'est possible."

 Oui. C'est possible alors je n'hésite pas beaucoup avant d'enrouler mes bras autour de son cou. Sa peau est froide, son souffle dans mes cheveux l'est aussi, pourtant alors que nos torses se rencontrent, que nos cœurs battent l'un contre l'autre, ravivés par la présence de l'autre. Je ferme les yeux, profitant de lui, de son touché, de ses doigts glissant sur mon dos, doucement, je me sens partir. De nouveau, mon esprit s'évade, un doux fourmillement me parcourt de la tête au pied. Le silence se fait, je n'entends plus le vent dansant entre les branches des arbres, ni les oiseaux chantant, ni le moteur des voitures ronronnant au loin. Je sens encore Tyler tout contre moi, mais je n'ai pas envie de rouvrir les yeux, pas envie de mettre fin à ce moment, ni de réfréner ce bonheur naissant. Puis le chant des moineaux revient, le chuchotement de la brise aussi. Ce n'est plus la terre ferme et inconfortable sous mon corps, c'est l'herbe humide et douce.

"Tyler ? Gabriel ? Enfin mais- Harcogne m'a dit- Je n'y comprends plus rien..."

 La voix de Lili résonne autour de nous. Je sursaute, relève la tête et rouvre les yeux. Me serais-je endormi au pied de sa tombe ? Je me détache de mon copain en observant autour de nous. Une petite chaumière entourée d'arbres, des champignons luminescents éclairent le sol et de grand bouleaux gravés d'or s'élèvent vers le ciel. La forêt de mon rêve.

"Même moi, je ne comprends pas, mais cela fait quand même du bien d'être de retour..."

*****

 Je suis assis là, au sol, juste devant le poil allumé, dans ce salon, dans cette maison où je n'ai passé qu'une nuit. La chaleur de l'âtre n'est pas loin de me brûler le dos, mais qu'importe. Je n'ose pas y croire, je ne sais pas si je peux me dire que la scène qui se déroule sous mes yeux est belle est bien réelle. Les jambes repliées tout contre mon torse et le menton sur les genoux, j'observe les cheveux de Lili se balancer sur son dos au fur et à mesure de ses déplacements derrière le bar. Une douce odeur de légumes flotte dans les airs. Non loin de moi, monsieur Bells senior est assis sur le fauteuil, plongé dans un ouvrage de Marcel Pagnol dont je ne parviens pas à lire le titre. La radio chante doucement l'effet papillon de Bénabar et je songe à ma vie qui finalement est assez bien résumée par ce phénomène, complètement bouleversé par une si petite chose... Je fredonne machinalement pour moi-même alors que Tyler s'accroupit face à moi. Ses cheveux encore humide, signe qu'il sort de la douche, lui tombent sur le visage, mais ça n'a pas l'air de le déranger. Je glisse une de ces mèches derrière son oreille et je m'étonne encore de pouvoir le faire... Il me sourit et s'assoit à mes côtés :

"C'est un grand retour en arrière pas vrai...?"

 Je ne sais pas s'il parle de ma seconde arrivée ici ou de cette scène vécue il y a bien des années, mais c'est vrai que dans tous les cas, c'est étrange et inattendu. Je hoche la tête. J'ai peur de me persuader que tout cela est vrai, je crains que dans quelques jours, je sois déjà de retour dans le monde des vivants et qu'ils me disent :

"Ce n'est qu'un traumatisme, c'est tout à fait normal et c'est fréquent."

 Rien que d'y penser, les larmes me brûlent les yeux et ma gorge se serre... Je laisse rouler ma tête contre l'épaule de Tyler qui m'entoure presque aussitôt de ses bras. Je me sens faible, harassé par la peur et le doute, fatigué de pleurer et de croire en vain. Trois coups répétés sont frappés contre la porte principale alors que la nuit est tombée et que toute lumières s'est éteintes dehors. Lili s'approche pour ouvrir, elle jette un coup d'œil par le judas et annonce :

"Voilà Harcogne et Tyr, ils sont pile à l'heure pour le dîner, ils vont être surpris de voir qui se tient dans notre salon grand-papa..."

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