Chapitre 37

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This world is not made for you / Run boy run ! / They're trying to catch you - Woodkid

La brise qui s'infiltre contre mon cou me fait frissonner. Ce village est plus grand que les autres : il y a bien plus d'habitants que dans la forêt, les petites maisons sont moins éloignées les unes des autres. Nous marchons doucement, essayant de réduire le claquement de nos semelles contre le sol pavé des ruelles. Devant nous, j'aperçois Harcogne se figer ; petite chose bleue l'imite, les oreilles relevées, aux aguets.
"Il y a quelqu'un. Je crois qu'ils sont plusieurs, nous ferions mieux de nous éloigner de la route."

Rapidement, nous nous engageons dans une étroite allée entre deux maisons. J'entends la rumeur de plusieurs voix, des rires et le bruit du verre qui s'entrechoque. La nuit nous offre une cachette parfaite, au coin d'une maison : nous pouvons observer le groupe d'hommes sans nous faire repérer. Ils sont trois, bras dessus bras dessous, la démarche vacillante ; ils rient bruyamment sans se soucier de réveiller quelqu'un. Une bouteille par main, je les imagine fortement alcoolisés. Ils ne nous remarquent pas et continuent leur route.

Tyr, Tyler et moi nous relevons doucement ; nous nous étions accroupis à leur approche pour ne pas nous faire repérer. Je relâche le nichel que je tenais par prudence. Alors que je me redresse complètement, je jette un coup d'œil vers la fenêtre derrière moi et mon cœur se fige. Un regard innocent nous fixe dans la nuit : une petite fille aux grands yeux clairs, avec de jolies bouclettes qui entourent son visage juvénile. Elle doit avoir dans les dix ans, maximum. Pourquoi est-elle ici ?

Je n'ai pas le temps d'imaginer quoi que ce soit. Elle nous a vus. Trois hommes encapuchonnés accompagnés d'un chat et d'un nichel, au beau milieu de la nuit : ce n'est pas commun. Elle s'enfuit rapidement, disparaissant derrière la fenêtre. Je chuchote :
"Elle nous a vus."

Ils se tournent vers moi comme un seul homme et, d'une même voix, demandent :
"Qui ça ?!
— Une petite fille, à l'instant, derrière cette fenêtre. Elle s'est enfuie quand nos regards se sont croisés."

Tyr fronce les sourcils en avisant la fenêtre. Tyler jure dans sa barbe et Harcogne s'approche de la vitre. Elle prend de l'élan et saute gracieusement sur le rebord. Le Dieu Suprême chuchote :
"Il est possible qu'elle soit allée prévenir ses parents ou les gens chez qui elle vit... Nous ferions mieux de décamper rapidement."

Je suis tout à fait d'accord. Nous repartons entre les maisons, guidés par la passeuse qui court presque. Nous avançons au pas de course, l'herbe étouffant le bruit de nos chaussures. Même petite chose bleue semble se rendre compte que ce n'est pas le moment de batifoler. Je sursaute alors qu'un cri résonne derrière nous :
"HEY !"
Ce n'était pas un "hey" pour nous inviter à boire un verre ou quelque chose ; c'était agressif. Nous accélérons encore le pas alors que la voix reprend :
"Ce sont les recherchés !"

D'un même mouvement, poussés par l'adrénaline, nous prenons nos jambes à notre cou. Le nichel prend rapidement la tête, cavalant aux côtés de Tyr ; ses pattes, qui martèlent le sol, font le même bruit qu'un troupeau d'animaux, mais nous n'avons plus besoin de craindre d'être repérés... Harcogne, quant à elle, est vite distancée : sous sa forme de chat, elle est moins rapide, surtout avec sa patte douloureuse. Je ralentis, le temps de la rattraper. Avec un regard désolé, je l'attrape.
"Je suis désolé, mais je crois que c'est mieux ainsi.
— Je ne t'en tiendrai pas rigueur, au contraire, du moment que tu continues de courir."

Alors j'obéis. Je rattrape Tyler et nous courons. D'autres cris nous interpellent, devenant de plus en plus lointains au fur et à mesure de notre avancée.

Je ne sais pas depuis combien de temps nous courons ainsi, mais j'ai les poumons en feu, la gorge sèche et les jambes flageolantes. Enfin, le Dieu Suprême ralentit ses foulées ; nous l'imitons. J'ai à peine le temps de déposer la passeuse au sol que mes muscles cèdent sous mon poids et je finis à genoux dans la terre. Tyler échoue sur le dos non loin de moi ; nos souffles sont hachés, mais nous sommes en sécurité, au moins pour quelques heures. La lune est encore haute et les étoiles brillent dans le ciel sombre.
"Nous pouvons nous arrêter. Nous reprendrons la route quand le soleil sera levé, je doute que vous ayez assez de force pour le moment."

Après nous avoir intimé de manger un peu et de nous reposer, Harcogne se roule en boule aux pieds de Tyr, également assis au sol. Je me rapproche de Tyler, refuse le sandwich mais accepte l'invitation de ses bras ouverts. Petite chose bleue colle sa truffe contre ma joue et, ne me voyant pas réagir, elle tente avec mon petit ami, qui la fait boire avant de lui lancer deux tranches de je-ne-sais-quoi dont elle se régale. Rassasiée, elle s'allonge de tout son long avec nous, la tête sur ma cuisse. Distraitement, je caresse ses longues oreilles et son pelage doux comme du coton. Autour de nous ne se dessinent plus que quelques arbres, herbes hautes, fleurs sauvages et champs qui s'étendent à perte de vue. Derrière nous, le village n'est plus qu'un relief de la taille d'un petit galet dont les contours sont flous.

Je ferme doucement les yeux, profitant de l'air frais de la nuit, des doigts froids de Tyler dans mes cheveux, glissant parfois jusqu'à ma nuque, me provoquant de délicieux frissons. Le gouffre ne doit plus être loin et chaque minute me rapproche un peu plus de mon départ définitif. Alors je profite. Je profite de ma chance, de mon petit ami, de ce qui m'est offert, de nos derniers jours, nos dernières heures.
"Gabi... Je peux te poser une question ?"
Je hoche la tête sans rouvrir les yeux, écoutant les battements de son cœur plus que ses paroles :
"Est-ce que tu m'aimeras toujours une fois que tu seras de retour chez toi ?"

Je n'ai pas le temps de répondre que je le sens secouer la tête :
"Non, laisse tomber, c'est débile et... égoïste. Je veux juste que tu sois heureux, même si ça implique que tu trouves quelqu'un d'autre à aimer et—"
Je me redresse, dérangeant petite chose bleue au passage, pour l'interrompre en déposant mes lèvres sur les siennes. Je lui souris en me détachant avant de lui chuchoter :
"Arrête de dire des bêtises... Je serai toujours amoureux de toi. Et je ne réussirai peut-être pas à être heureux comme quand nous étions tous les deux vivants, mais... j'irai mieux, et pour ça je n'ai pas besoin de trouver quelqu'un d'autre. Je t'ai, toi, simplement. Tu seras plus loin. Mais est-ce que toi, tu m'attendras ?"

Je plante mes yeux dans les siens ; ses iris bleu pâle détiennent mon cœur à tout jamais. Je serais bien incapable de cesser de l'aimer au profit d'un autre. Mais lui, m'attendra-t-il ? Me restera-t-il fidèle, même dans la mort ? Son sourire fait vaciller mon cœur, piqué par Cupidon depuis bientôt trois ans.
"Bien sûr, je t'attendrai. Aussi longtemps qu'il le faudra. L'éternité, si nécessaire."

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