Chapitre 46
Say Something, I'm Giving Up on You – A Great Big World & Christina Aguilera
Au son d’une bourrasque, nos pieds se posent doucement sur ce sol recouvert d’un tapis de poussière. La main du Dieu du paradis ne quitte pas mon épaule alors qu’il m’invite à avancer. Il chuchote :
« Je n’apprécie pas cet endroit, mais mon cœur bat pour l’homme qui réside ici et je ne savais pas où aller. »
Je reconnais le Gouffre, enfin, la fumée du Gouffre, puisque c’est l’unique chose que je vois. Aljann nous guide jusqu’au palais de Höle. Il s’arrête un instant devant la grande porte gravée ; une sombre trace de brûlure couvre l’espace auparavant occupé par Në Dashuri. À son regard, je vois que cette vision est douloureuse pour le Dieu du paradis. Je n’ai pas eu le temps de tout lui dire et je crois que ce n’est pas à moi de le faire, que ces mots, si durs soient-ils, sonneront toujours plus doux dans la bouche de son amant que dans la mienne…
La porte s’ouvre avant même que nous ayons eu le temps de toquer contre le bois. Le visage de Höle apparaît ; ses sourcils froncés se détendent lorsqu’il aperçoit Aljann, qu’il prend presque immédiatement dans ses bras, le tirant vers l’intérieur. Avec un sourire, je les suis et referme le lourd battant derrière moi. L’intérieur du palais est somptueux. Une douce lumière orangée éclaire les pièces ; le plafond est entièrement peint, je reconnais Aljann et Tyr, mais aussi la femme que j’ai déjà vue sur le tableau de la bibliothèque. Plongé dans ma contemplation, je sursaute lorsque le dieu du Gouffre s’adresse directement à moi :
« Tyler est dans le salon, un peu plus loin à ta droite. Je crains qu’il ne se flagelle mentalement, peut-être devrais-tu aller le retrouver ? Nous vous rejoindrons dans quelques minutes, simplement le temps d’envoyer une invocation au Dieu Suprême. »
J’acquiesce et suis ses indications. J’ouvre doucement la porte désignée et entre sans bruit. Le tapis rouge et or qui recouvre le sol étouffe le son de mes pas. Je m’approche de Tyler, assis à même le parquet, le regard fixé sur un point invisible juste devant lui. Ses mains tordent le tissu de son pull alors que je m’agenouille dans son dos, passant mes bras autour de ses épaules. Il tressaille à mon toucher avant de lever les yeux vers moi. Je souris alors qu’il me prend dans ses bras dans un élan surprenant. Mon cœur se serre lorsqu’il murmure tout contre moi :
« Je suis désolé… tellement désolé, j’avais promis de ne pas te lâcher…
— Heyy… Ne t’excuse pas, rien n’est de ta faute. »
Je l’entends renifler, et au soubresaut de ses épaules je devine qu’il pleure, et j’ai aussi mal que lui. Ty ne pleure presque jamais ; la dernière fois, c’était lors du décès de Lili.
« Si, c’est de ma faute. Si je n’avais pas eu la lâcheté de mourir, je ne t’aurais pas fait de peine comme ça. Tout aurait pu continuer. J’aurais dû continuer à supporter James et—
— Arrête. Tu n’as rien d’un lâche, et James est un putain d’enfoiré — pardonne ma vulgarité, mais tu ne peux pas dire le contraire. Et puis, c’est passé maintenant, on ne peut pas revenir en arrière. Personne ne t’en veut, Ty, moi encore moins… »
Je n’ai pas le temps de poursuivre que j’entends la porte s’ouvrir derrière nous. La voix d’Aljann retentit :
« Oh… Je suis désolé. Tyr et Harcogne sont arrivés, mais si vous avez besoin d’un peu de temps, nous pouvons attendre un petit peu. »
Je lance un regard à Tyler, qui se redresse, renifle et s’essuie distraitement les yeux avant de répondre :
« Pas la peine… Merci. »
Il se relève et me tend une main que je saisis, avant de déposer un baiser chaste sur ses lèvres humides et salées par ses larmes. Je lui chuchote que je l’aime et il me sourit tristement. Je ne pourrai donc jamais te faire oublier cette culpabilité…
« Elle a donc véritablement choisi le pouvoir plutôt que sa famille et son peuple… »
La Passeuse hoche la tête gravement. Höle, dont le visage s’est durement fermé, passe doucement sa main dans le dos de son amant qui, les larmes aux yeux, tente de comprendre.
« Elle est donc notre “ennemie” numéro un… »
Höle acquiesce et poursuit :
« Le problème, c’est qu’en plus d’avoir puisé dans nos puissances divines pendant cent quarante-six ans, elle a des dizaines de petits pouvoirs qui lui donnent des avantages que nous ne pouvons pas ignorer… »
Des petits pouvoirs ? Comme celui de s’introduire dans mon esprit ? Imaginer qu’elle puisse en avoir d’autres du même genre me glace le sang, alors que la Passeuse les interroge :
« De quel genre ? Nous savons déjà qu’elle peut manipuler un esprit, mais c’est tout.
— Ce sont des pouvoirs assez communs pour les âmes. Celui de télékinésie, par exemple. Elle a certainement dû mettre en forme le Sacrifice de Lumière par ailleurs. Un pouvoir d’une grande puissance, purifiant une terre en un instant et écartant toutes les personnes ayant de mauvaises intentions. Mais c’est un dernier recours. »
Alors qu’Aljann cite d’autres capacités de la jeune déesse, je comprends que la partie est loin d’être gagnée. Elle possède de nombreux pouvoirs utiles et puissants. Soudain, je sens un regard brûlant sur moi ; je relève la tête pour croiser les yeux flamboyants de Höle. Il demande :
« Combien de fois le petit vivant a-t-il vu Në Dashuri dans son esprit ? »
La Passeuse lui répond, et Tyr évoque le moment où la déesse aux fleurs bleues avait littéralement pris possession de mon corps. Je réprime un frisson à ce seul souvenir.
« Une possession de l’esprit ou de l’âme laisse des traces… Il est possible que Gabriel ait acquis certaines des capacités de Në Dashuri. Il suffit qu’il en prenne conscience pour pouvoir les exploiter… »
Elle m’aurait laissé des capacités ? Ne m’en serais-je pas rendu compte ? Tyr avance une main vers mon visage et demande :
« Tu permets ? »
J’acquiesce, et ses longs doigts fins se déposent sur mon visage comme l’avait fait Höle quelque temps auparavant. Paupières fermées, je ne vois que l’intérieur de mon esprit, puis, doucement, plusieurs filaments de couleur apparaissent. Je sens Tyr retirer sa main ; sa mine, à la fois amusée et surprise, s’impose à moi avant même que mes yeux ne se rouvrent. Un grand éclair blanc traverse mon esprit, faisant siffler mes oreilles. Puis les doigts de Tyr quittent mon visage et mes paupières papillonnent. Le Dieu Suprême sourit, mais ses sourcils sont froncés. Il affiche exactement la même expression que l’image de tout à l’heure…
Qu’est-ce qu’il vient de se passer ? Aurais-je vu… une seconde du futur ? Et cet éclair blanc ? Qu’était-ce ?
« C’est exactement ça. Tu as tiré deux capacités de Në Dashuri : l’Œil Secondaire et un fragment du Sacrifice de Lumière… »

Annotations
Versions