Chapitre 49

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They say, "Stay down" and we stand up / Shots, we on the ground, the camera panned up - Lord Legend ft Common

Amara nous guide à travers les restes du village. Plus nous avançons, plus les dégâts sont visibles : certains pans de murs sont écroulés, et il ne reste plus rien des parterres de fleurs. Je garde Tyler près de moi. Même si son angoisse est la même que la mienne, sa simple présence me rassure plus que tout. Sa main serre la mienne. Je ne sais pas qui, de lui ou de moi, tente de rassurer l’autre, mais cela n’a que peu d’effet.

Harcogne avance en tête, sa silhouette massive de panthère découpée dans la brume. Chaque mouvement de ses muscles est silencieux, maîtrisé. Nous pénétrons en silence dans un énième petit bois. Enfin, c’est un grand mot : cet endroit ressemble plutôt à un cimetière d’arbres. Le sol est recouvert d’un tapis de feuilles mortes, et les troncs les plus résistants sont couverts de mousse brunâtre. Amara marche juste à côté de la passeuse. Elle a les traits tirés, mais son pas est sûr ; elle a l’air de connaître la région comme si elle y avait grandi.

« Nous ne sommes plus très loin, » souffle-t-elle en écartant une branche sèche qui craque sinistrement sous son geste sans céder pour autant.

Harcogne s’arrête d’un coup. Sa queue fouette l’air et ses oreilles se dressent. Que se passe-t-il ? Je n’ai rien entendu… Elle nous avertit à voix basse :

« Quelqu’un approche. »

Je sens la panique me serrer la gorge, et la peur s’infiltre sournoisement dans mes veines comme un serpent avide. Tyler se rapproche de moi, je peux sentir la tension dans ses doigts crispés autour de mon poignet.

« Ce n’est rien. Certainement le vent ou la brume. Cet endroit n’est pas très accueillant, et c’est volontaire… Mais le secteur est désert, personne ne— » dit Amara, nerveuse.

Un craquement. Puis une silhouette sombre se glisse entre les troncs. Un homme apparaît, portant un long manteau noir dont la capuche jette une ombre sur son visage. Sa lanterne émet une flamme blanche qui pulse doucement, comme un cœur inversé. Il s’arrête juste devant nous et nous observe longuement avant d’ordonner d’une voix grave à l’intensité fatiguée :

« Identifiez-vous. »

Amara lève aussitôt les mains vers le ciel avant de répondre :

« C’est moi ! Amara Fidheart ! Je ramène des… survivants. Ils cherchent refuge. Ils sont de notre côté. »

L’homme incline la tête. La lueur blanchâtre de sa lanterne se met à vibrer. Finalement, il nous passe devant et lance :

« Bien, suivez-moi. Et restez proches. La brume est épaisse et capricieuse ce soir. »

Harcogne grogne, mais ne discute pas. Nous quittons le sentier pour plonger dans une zone encore plus sombre, où les arbres sont tellement serrés que les rayons du soleil qui se levaient timidement disparaissent presque entièrement. La lanterne est notre seul repère. Tyler serre ma main, comme s’il craignait que je ne m’évanouisse dans cette obscurité mouvante.

Le sol s’incline doucement vers le bas. Des racines épaisses forment une sorte d’escalier naturel, glissant et dangereux. Je fais attention à l’endroit où je pose mes pieds ; je ne voudrais pas glisser et entraîner les personnes devant moi, comme la dernière fois, chez Leyenda.

Puis, soudain, la brume se déchire, et nous débouchons dans une clairière. Je la vois enfin, et une bouffée d’espoir emplit mes poumons.

C’est donc cela : la Cache.

C’est un assemblage précaire de cabanes en bois mort, de bâches délavées tendues entre des rochers, et de passages creusés à la hâte dans le flanc d’un talus. Ce n’est pas une grotte majestueuse ni un repaire de guerriers légendaires, mais c’est bien plus accueillant. La végétation morte camoufle l’ensemble si bien qu’on ne l’aurait jamais remarqué sans guide.

Des feux bleutés brûlent dans des fosses creusées au sol, éclairant la scène d’une lueur tamisée alors que le soleil se réveille doucement. Malgré la précarité du lieu, j’entends des rires, des conversations animées. Un enfant souriant, à la chemise raccommodée à divers endroits, court après une petite créature bleue, discrète et silencieuse, qui tourne la tête dans tous les sens et répond à mon sourire comme pour recevoir une autorisation de rejoindre ses semblables au grand galop. Deux femmes tressent des cordes en riant et papotant, un homme aux cheveux blancs répare un toit de fortune en sifflotant. Ils sont une vingtaine, peut-être plus si l’on compte les enfants.

Les conditions ont l’air rudes, et tout sent la cendre… mais il y a quelque chose de chaleureux ici. Un refuge qui tient plus grâce à la volonté des gens qu’à la solidité des murs.

L’homme encapuchonné s’arrête au centre de la clairière.
« Voici la Cache. Ceux qui refusent de servir Në Dashuri. Amara, Zarhaël doit être prévenu. »

La jeune femme hoche la tête et nous fait signe de la suivre avec un petit sourire. Alors que nous passons, quelques rebelles se tournent vers nous. Certains nous observent avec méfiance, d’autres avec curiosité. Je vois dans les yeux des plus âgés qu’ils nous ont reconnus. Un garçon d’une douzaine d’années pointe Tyler du doigt :

« Regarde ! L’âme de la neige ! »

Tyler grimace, gêné. Je lui serre la main, et il répond par un petit sourire. J’aime bien ce surnom : l’âme de la neige… Lui n’a jamais aimé son apparence, mais moi, je trouve qu’il est d’une beauté à couper le souffle.

Un vieil homme s’avance, les cheveux en bataille, la barbe tressée avec des bouts de ficelle. Amara s’incline brièvement devant lui :

« Je vous présente Zarhaël. Il est le plus sage d’entre nous. C’est lui qui est à la tête du peuple de la Cache. »

L’homme nous sourit chaleureusement :
« Vous êtes ici chez vous. Dites-moi comment je peux vous aider. »

« Nous cherchons des alliés, et des humains assez courageux pour résister, » répond la passeuse.

Il hoche la tête avec sérieux :
« Vous trouverez ça ici. Tout le monde ne vous suivra pas, mais il reste encore des âmes en forme. Nous n’avons pas grand-chose en ce lieu… mais nous avons encore un peu d’espoir, et c’est ce qui peut faire basculer la balance de notre côté, n’est-ce pas ? »

Ses mots me touchent plus que je ne veux l’admettre. Je crois qu’il a raison. Il se tourne ensuite vers moi :
« Le monde des morts n’a jamais été sûr pour un vivant, mais je crois que, de ta petite troupe, tu es celui qui y croit le plus… Ne laissez personne vous convaincre que vous avez perdu. Il reste toujours une issue, même dans les guerres les plus sombres… »

Je regarde autour de moi. Les visages fatigués, les sourires sincères. La vie qui insiste à exister, même dans le royaume des morts, mais dans la précarité. J’y crois, oui, et puis nous avons encore un peu de temps.

Même si l’ombre de Në Dashuri finira tôt ou tard par nous rattraper, à ce moment-là, nous serons prêts.

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