Bonus I
I promise I won't let you feel alone / Though all the world can be so cold - Nathan Wagner
pdv Tyler
Je me laisse tomber sur mon lit, trop grand pour moi. Déjà trois ans que je suis ici et je n'arrive pas à me sortir mon Dieu de la tête, Gabi me manque. Mais il n'est pas le seul, Morgane aussi me manque et Grand-mère et Papa. Mon soupir résonne dans le silence de la nuit. Un bruit semblable à un craquement d'allumette retentit et une étincelle apparaît devant mes yeux. Puis elles se dédoublent, se multiplient… Qu'est-ce que c'est que ça ? Un flash lumineux puis plus rien. Simplement un bout de papier qui tombe doucement sur mes genoux. Qu'est-ce ? Une lettre ? Qui peut bien m'écrire alors que les invocations existent ? Les bords sont brulés, je la déplie doucement, comme s'il s'agissait d'un petit trésor. Mes yeux rencontrent une écriture penchée que je reconnais immédiatement. Comment est-ce possible ? Mon esprit se souvient des paroles de la passeuse le jour de mon arrivée dans le monde des morts :
"Les vivants peuvent t'envoyer des messages, des lettres, il suffit qu'ils les jettent dans le feu ou l'eau. Ne sois pas surpris de les voir apparaître devant toi."
Je vois… J'inspire profondément et lis les mots écrits avec amour, plusieurs tâches parcourent la feuille faisant baver l'encre du stylo :
Salut,
C'est moi : Papa. Trois ans déjà et j'ai encore l'impression que c'était hier. Jamais je n'aurais imaginé ce que ça ferait de te perdre toi. Toi, le petit être que j'ai vu naître. Toi, ce bébé aux grands yeux bleus. Toi, mon petit garçon tellement innocent. Toi, mon fils si confiant. Toi, ce jeune homme toujours attentionné et souriant. Cruel est ce monde qui t'a arraché à moi. Monstrueuse est cette vie qui en a décidé ainsi. Un parent peut-il réellement surmonter la mort de son enfant ? C'est encore une question que je me pose. Je donnerai n'importe quoi pour revenir en arrière, je sacrifierai volontiers ma vie en échange de la tienne…
Je n'ai plus personne sur qui poser les yeux, plus personne à consoler, à gronder, à taquiner, plus personne à aimer. Tu as rejoint ta mère, alors désormais, je suis là, seul en bas, à attendre mon heure. Seule ma lâcheté m'empêche de vous rejoindre en toute conscience. J'espère de tout mon cœur que là où tu es, tu vas mieux. J'espère que ta mère peut observer un sourire éclatant sur tes lèvres, ouïr un rire véritable. Oui, j'espère que tu es heureux. Je n'ai pas été assez présent, je ne t'ai pas protégé comme il le fallait. Si c'était le cas, je ne serais pas là, devant vos deux tombes, devant vos deux beaux visages figés lors d'un instant choisi au hasard, je ne serais pas en train de t'écrire cette lettre qui finira certainement brûlée dans la cheminée parce que tu ne la liras pas.
Tu as emporté ce qu'il restait de mon cœur avec toi, là-haut, parmi les étoiles. Parfois, je m'installe sur le rebord de ta fenêtre, à cet endroit même où je venais te retrouver lorsque l'un de nous deux avait passé une journée particulièrement compliquée, et j'observe le ciel. Je cherche la grande Sirius et je repense à tout ça. Toutes ces journées, tous ces souvenirs avec vous, avec toi. Je me souviens de ton rire d'enfant, de tes blagues pourries d'ado de quinze ans, de tes râleries lorsque je te dérangeais toi et ton petit ami. Je me souviens de ta peur bleue de me décevoir le soir de ton coming-out. En y repensant, je me dis que jamais tu n'aurais dû avoir peur de ma réaction, jamais tu n'aurais dû avoir peur que je ne t'aime plus. Parce que toujours, toujours je t'aimerai. Tous les jours tu seras là dans mon cœur et dans mes pensées. Je me dis aussi que jamais tu n'aurais dû penser à ça, jamais de telles pensées n'auraient dû traverser ton esprit d'adolescent. Ce n'est pas à dix-sept ans que l'on doit mourir. Ce n'est pas comme ça que l'on doit mourir. Que l'on soit jeune, adulte ou vieux, peu importe, personne, à aucun âge, ne devrait être désœuvré au point de mettre fin à sa vie volontairement, d'une façon si brutale.
Souvent, je me réveille en sursaut après ce cauchemar. Le même, depuis trois ans. J'entends encore la voix de l'amour de ta vie au téléphone, paniqué, je n'ai pas compris au début. Je ne comprenais pas ce qui arrivait, puis il a dit le mot sang suivi de ton prénom et j'ai paniqué à mon tour. Je crois que je ne lui ai même pas répondu, j'ai tout lâché pour rentrer. Je suis arrivé en même temps que cette ambulance qui m'aveuglait, je les ai vus monter au deuxième étage, j'ai senti mon cœur s'arrêter alors qu'ils entraient chez nous. J'ai vu ton corps sur ce brancard et ton petit ami se débattre pour te suivre, de loin. À cet instant, je n'avais toujours pas compris. Je me suis approché et je les ai entendu discuter, donner des ordres. J'ai entendu les mots "suicide", "lame" et "trop tard". Là, j'ai compris. Pourtant, je suis resté là, figé, tout se bousculait dans mon esprit, des questions, de la colère, des pleurs, des souvenirs, comme si moi aussi, d'une certaine manière, je mourais.
Alors ce soir, je t'adresse des mots, je brûle une bougie en ton honneur, je laisse couler des larmes pour toi, pour vous, pour ce qui me manque, pour ce que le destin m'a enlevé. Il y a tellement de choses que j'aurais voulu vivre à tes côtés. J'aurais aimé que tu m'annonces que tu allais te marier, que je t'accompagne à l'autel, que je découvre un joli faire-part dans ma boite aux lettres, que je rencontre mon petit-fils ou ma petite-fille. J'aurais voulu que tu réalises tes rêves, que tu ouvres ce café-musique avec ton amoureux, que tu continues de chanter, de composer. J'aurais souhaité venir assister à tes concerts. J'aurais adoré passer manger chez vous à l'improviste, vous taquiner comme je le faisais déjà, être présent à tes dix-huit ans... Seulement, tu n'es plus là. Tu t'es envolé et je ne sais toujours pas pourquoi et ça me ronge. Trois ans et je ne me suis toujours pas résolu à trier tes affaires ou à… ranger ta chambre, il y a encore une de tes vestes sur le dossier de ta chaise. Je crois que si je ne le fais pas, c'est parce que c'est comme si à travers toutes ces petites choses qui traînent, tu étais encore là. Tu n'avais pas conscience d'à quel point tu étais important. Il y a quelques jours, j'ai croisé ton copain dans la rue, il avait encore ce collier que tu lui avais offert pour vos un an. Il était seul, ses habituels écouteurs dans les oreilles comme si rien avait changé, il manquait juste quelque chose, ou plutôt quelqu'un à ses côtés : toi. Il m'a souri, mais ce nétait pas vrai, je les vois maintenant, les vrais sourires et les faux, ceux que l'on fait avec les yeux et ceux qui n'en sont qu'une pâle imitation. Tu manques à tellement de monde, mon ange…
Je ne t'oublierai jamais,
À la prochaine fois,
Je t'aime.
Papa
Mes larmes coulent le long de mes joues sans que je puisse le moins du monde les contrôler. Je suis tellement désolé, tellement désolé si tu savais… Je n'ai aucune excuse, je n'y arrivais plus c'est tout. Ici, je vais bien, oui je suis heureux papa, malgré ce manque qui grandit chaque jour. Maman sourit elle aussi, plus en vie qu'elle ne l'a jamais été, plus rayonnante à chaque instant. Si tu pouvais m'entendre, je te chuchoterai mes excuses, je te dirai combien tu me manques et je te hurlerai mon amour. Moi aussi, je t'aime mais je ne regrette pas, je ne regrette plus. Je n'ai plus peur parce qu'on se reverra.

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