Bonus II
Take me back to the night we met - Lord Huron
J'ai mal au cœur, l'âme tremblante et l'esprit qui s'évade ce soir… Alors, je n'écris pas parce que ma psy me l'a conseillé, j'écris parce que je me souviens des paroles de Harcogne. Je n'écris pas mes peines, ni le déroulement de mes journées, je lui écris.
Mon amour,
Quatre années déjà sont passées. J’ai encore du mal à écrire ce chiffre sans froncer les sourcils, comme si mon esprit refusait de l’accepter. J’ai l’impression que c’était hier encore que je te voyais pour la dernière fois, que je retenais ton visage par peur d’en oublier les détails. Et pourtant, ces quatre ans me semblent pareils à une centaine. Le temps s’est étiré, distordu, parfois figé. Malgré tout, je sais encore exactement quel jour nous sommes. Alors joyeux anniversaire, mon ange. À tes vingt-et-un ans… ou à tes dix-sept ans éternels ? Je ne sais toujours pas comment te compter. Peut-être que là où tu es, l’âge n’a plus vraiment d’importance.
J’espère que tout va bien de ton côté. J’espère que tu es en paix, que tu ris autant que tu le faisais ici, que petite chose bleue t’embête à ma place puisque je ne suis plus là pour le faire. J’espère que ta mère est toujours aussi souriante et que ton grand-père a été heureux de retrouver sa femme. J’aime imaginer que vous êtes tous ensemble, quelque part, et que tu n’es plus jamais seul.
C’est toujours aussi dur sans toi. Je ne vais pas te mentir. Mais je fais des efforts. Je vois une psy, régulièrement, même quand j’ai envie d’annuler au dernier moment. Je sors avec des amis, je me force à rire, à parler d’autre chose que de toi, même si tu reviens toujours, d’une manière ou d’une autre. Il y a des jours où ça va, vraiment. Et puis il y en a d’autres où tout est trop sombre, trop lourd, où je n’arrive à rien. Mais ne t’inquiète pas, je ne suis pas seul. J’apprends, lentement, à demander de l’aide.
Je ne sais pas si tu as des nouvelles de tes proches du monde des vivants, mais je veux que tu saches que Morgane va mieux. Elle s’est relevée, à sa façon. Elle parvient à parler de toi sans pleurer, ce qui reste un exploit dont je ne suis toujours pas capable. Ni moi, ni ton père d’ailleurs. Depuis que sa mère t’a rejoint, il est seul. Mes parents lui rendent souvent visite, et moi aussi. Il fait semblant d’aller bien, comme toujours, mais je vois clair dans son jeu. Il m’a avoué qu’il faisait encore des cauchemars. Et comme je le comprends… Cette nuit-là me revient encore parfois, sans prévenir. Je regrette toujours de ne pas avoir pu te rendre plus heureux, de ne rien avoir remarqué. Mais j’essaie de me rappeler que là où tu es, tu vas bien. Que tu es en sécurité. Et que la culpabilité ne me ramènera pas à toi.
Tu te souviens de notre projet d’avenir ? De ce rêve un peu fou qu’on avait, comme seuls les ados savent en avoir ? Je ne sais pas ce que tu en penseras, mais hier, je suis passé devant une boutique à vendre. Le propriétaire est un sexagénaire fatigué, et je me suis renseigné. Il me la laisserait pour presque rien. Alors je pense que… je vais le faire. Réaliser ce vœu. Ce sera comme un cadeau d’anniversaire, pour toi et pour nous. Un café-musique. Un endroit chaleureux, vivant, où je ferai passer tes enregistrements. Ce sera comme si tu étais un peu là avec moi, tous les jours. On m’a dit que ce n’était pas raisonnable, que j’étais trop jeune, que je devrais attendre. Mais je n’ai pas envie de les écouter. J’ai déjà tout planifié, dans ma tête, dans mes rêves. Je l’appellerai « Chez l’amant de la neige… ». Dis-moi, tu trouves ça comment ?
Il s’est passé tellement de choses en quatre ans que je n’aurais pas la force de tout t’écrire dans une seule lettre. Alors je vais juste te dire ce qui m’a le plus fait sourire cette année : je suis tonton… et parrain. Jack a eu une petite fille absolument adorable. Je crois sincèrement que si cette petite famille n’était pas là, je serais encore enfermé dans ma chambre, dans la maison de mes parents, à t’appeler encore et encore, juste pour entendre le son de ta voix sur ton répondeur. Elle m’a rappelé que la vie continue, même quand on n’en a pas envie.
Promis, quand on se retrouvera, je te raconterai tout. Absolument tout. S’il faut que ça dure une semaine entière, alors ce sera le cas. Tu me manques plus que les mots ne sauront jamais le dire. Je suis désolé de ne pas avoir trouvé la force de t'écrire plus tôt.
Pour toujours et à jamais, tiens.
Je t'aime.
Gabi
P. S. : Passe le bonjour à ta famille, à Harcogne et aux dieux. Oh ! Et j'oubliais, remercie Aljann de ma part, ne t'inquiète pas, il saura pourquoi.
Je pose mon stylo comme s'il était en verre et essuie les quelques larmes encore présentes sur mes joues. Elles ont taché la feuille et fait couler l'encre à certains endroits, mais peu importe. Je fouille dans ma poche en me relevant, j'appuie sur le briquet et la flamme vacillante embrase doucement mes écrits. Je la laisse se consumer sur le rebord de ma fenêtre, observant les étoiles à travers la fumée blanche qui s'élève en silence. J'attends mon retour avec impatience…

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