Chapitre 3 : Pouvoir
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Pouvoir
Je sentis Anémone bouger. Ses pieds, posés sur mes jambes, se mirent à remuer. Un bâillement s'échappa de sa bouche, et deux yeux bleu-gris commençaient déjà à me fixer.
— Comment te sens-tu ? l’interrogeai-je en me concentrant de nouveau sur mon jeu.
Cela faisait déjà une heure qu'elle dormait ; j'en avais donc profité pour me détendre. J'avais coupé le son afin de ne pas la déranger durant son sommeil, qui se trouvait être aussi une transformation. Elle s'appuya sur ses coudes, ses yeux mi-clos ne me quittaient pas une seule seconde. C’était comme si elle n’arrivait toujours pas à croire en ma présence. Évidemment, mannequin comme je l’étais, on pouvait se demander si j’étais réel !
Elle s'assit, et ses pieds se détachèrent de mes jambes pour se poser au sol.
— Ça va... Ça va, me répondit-elle, la voix encore endormie.
J'éteignis la télé, ainsi que la console pour me concentrer entièrement sur elle.
— Tu te sens différente ? Maintenant, tu possèdes un pouvoir hors du commun, déclarai-je doucement, lui laissant le temps de retrouver ses esprits.
Elle ignora ma question et se leva brusquement. Ses yeux se tournèrent rapidement vers moi, horrifiés.
— Il est quelle heure ?! cria-t-elle.
Je lui souris, elle n'avait pas perdu le nord. Je pris son téléphone sur la table basse et le lui lançai. Puis, je posai mes bras derrière ma tête et mes pieds sur la table basse. Elle s'empressa de regarder l'heure, et son regard s'emplit de terreur. Je pris quelques secondes avant de lui répondre, la laissant baigner dans la peur : une petite vengeance personnelle pour ne pas m'avoir répondu.
— Ne t'en fais pas, petite folle. L’arbre m'a prévenu : j'ai envoyé des messages à ta mère afin qu'elle croie ton petit mensonge.
Elle s'empressa de taper sur son portable. Je me levai et, jetant un coup d'œil par-dessus son épaule, je vis qu'elle lisait les SMS que j'avais envoyés à sa place. J'entendis un soupir de soulagement juste avant de quitter la pièce. Bientôt, ce fut le son de ses pas qui parvint jusqu'à mes oreilles. Il était quinze heures et quelques ; elle n'avait pas besoin de s'inquiéter. Ses parents n'arriveraient pas avant seize heures trente, selon l'arbre. D'ailleurs, celui-ci était dans la cuisine, assis sur la table. Il semblait déconnecté du monde extérieur. Pourtant, dès qu'elle entra dans la pièce, il se leva d’un bond pour venir près d'elle. Elle s'installa sur son tabouret, et je vins m'asseoir à côté d'elle lorsque l'arbre m'en fit signe.
— Bien, la première étape est terminée. Tu dois maintenant laisser reposer ton corps : il doit s'adapter à ton pouvoir, annonça la plante tout en connectant l'une de ses nombreuses branches à son corps.
— Il pourrait mal réagir ?
Elle était maintenant totalement réveillée, et son visage avait repris ses traits habituels, dont un sourire léger aux lèvres. Un sourire que je qualifierais de nerveux. Elle évitait mon regard, et j'aimais ça. Dès que nous nous sommes vus, nos corps s’étaient attirés, comme des aimants. Elle luttait instinctivement contre l'attirance qu'elle ressentait pour moi. Je ne pus m'empêcher de sourire. Elle voulait résister, mais toutes cédaient à l’emprise de mon charme naturel.
— Pourquoi tu souris ? m'interrogea-t-elle.
— Tu poses beaucoup de questions, toi, répondis-je d'une voix sarcastique.
— Mais réponds-moi, m'ordonna-t-elle, d’un ton étrangement calme.
— Hum... Et qu'est-ce que j'ai en échange ?
Je m'avançai lentement vers elle ; un courant électrique s'installa, et elle s'empressa de le rompre en détournant le visage. Je crus qu’elle allait descendre du tabouret et s’en aller ; mais sa réaction dépassa mes attentes.
— Laisse tomber... baragouina-t-elle. Puis, elle tourna la tête vers moi, un grand sourire aux lèvres. Tu m'énerves, pouffa-t-elle en rigolant.
— Pourquoi tu rigoles ? fis-je, troublé par son comportement parfois bipolaire.
— Je ne sais pas, tu me fais rire, déclara-t-elle, tout en gardant son sourire angélique.
— Vous pouvez vous concentrer ? s’impatienta l'arbre avec une pointe d'irritation.
Nous retînmes un sourire et tentâmes de nous concentrer sur le discours de l'arbre, bien que l'électricité et la chaleur dans nos corps restaient toujours présentes pour nous rappeler à quel point nous étions proches.
— Merci. Anémone, nous commencerons par l'élément de la terre : c'est le pilier de tous les autres éléments, la base, en quelque sorte. Une fois que tu maîtriseras bien cet élément, nous nous attaquerons aux autres.
Nous acquiesçâmes de la tête : le discours sérieux et austère de l'arbre avait dissipé toute l'alchimie accumulée entre nous deux. Cela me déplaisait grandement. J’aimais la voir rougir et sentir cette chaleur entre nous.
— Ce pouvoir te permet de parler aux plantes, à toutes, sans exception : que ce soit les arbres, les fleurs, les buissons, l'herbe, etc. Tu pourras également faire pousser des plantes sur ton corps ou même sur divers matériaux. Évidemment, s'il s'agit de bois, tu arriveras plus facilement à les faire pousser : cela va de soi. Enfin, il te permettra de guérir tout type de blessures physiques. Il va même au-delà, et c'est pourquoi beaucoup souhaitent le conquérir. L'élément de la terre renferme le pouvoir ultime...
L'arbre marqua une pause, perdu dans les méandres de ses pensées. Je me raclai la gorge afin de le ramener parmi nous. Il secoua légèrement sa tête et continua :
— Excusez-moi. Ce pouvoir, c'est celui de la résurrection : il te permettra de ramener à la vie qui tu le souhaites : animaux, plantes, êtres humains, sous certaines conditions, naturellement. Il devra être utilisé avec une grande prudence. Si tu venais à l'utiliser sans être préparée ou sans avoir suffisamment d'énergie, tu pourrais y laisser la vie. Ton adversaire, cet ennemi redoutable, nous en veut : il nous tue en masse. C’est pourquoi tu as été choisie pour nous sauver, nous et l’humanité. Aucune plante ne peut utiliser ce pouvoir : il a été créé uniquement pour vous, les humains.
Un silence régna. Je scrutai le visage éteint d'Anémone, cherchant une quelconque expression. On aurait dit qu’elle avait croisé un fantôme. Sans doute se demandait-elle comment elle avait pu se mettre autant en danger en si peu de temps. J'éclatai de rire, et elle fit de même.
— Mon Dieu, ta tête... bredouillai-je, encore secoué de rire.
Je plaçai ma main devant mes yeux, revoyant sans cesse le visage décomposé d'Anémone. Étrangement, elle riait elle aussi à côté de moi. Lorsque nous nous calmâmes, elle avait les larmes aux yeux. Elle prononça presque imperceptiblement :
— Je m'en suis rendu compte.
Elle releva la tête qu’elle avait plongée dans ses bras croisés devant elle durant cet instant d’euphorie. Elle s'essuya les yeux, ricanant encore doucement.
— Oh, le fou rire, fit-elle.
En temps normal, je souriais et je riais rarement, et voilà qu'en à peine quatre heures, je m'y étais livré plusieurs fois. Cette fille était formidable. Quelque chose chez elle m'intriguait : je voulais la connaître davantage, la toucher, ne jamais la lâcher. J'étais attiré.
**Anémone**
— Je devrais rentrer maintenant. Stix, tu viens avec moi ? le questionnai-je
— Oui. Pendant le trajet, je vérifierai comment ton corps réagit. Nous commencerons ton entraînement dès qu'il s’y sera parfaitement habitué.
— On le saura quand et comment ? intervint Konrad, qui ne me quittait pas du regard.
Je rougissais malgré moi. Je tentais tant bien que mal de me concentrer sur Stix. Je venais de recevoir l'offre de ma vie, je ne devais pas tout gâcher à cause d'un garçon, aussi séduisant soit-il. Sa proximité me brûlait de l'intérieur, ma respiration s'accélérait, et mon sang parcourait mes veines à une allure folle. Dès qu'il me regardait, mon corps s'enveloppait dans une bulle calme et pourtant torride. Je devais me concentrer, ignorer Konrad, ainsi que cette alchimie qui nous tiraillait tous les deux.
— Son corps montrera sûrement des effets, comme l’apparition de plantes incontrôlées. Les symptômes pourraient se manifester dans quelques heures, mais cela m'étonnerait beaucoup. Je pense que dans une semaine, voire un peu plus, ton corps aura totalement adopté ton pouvoir, nous révéla Stix.
Une semaine. C'était le temps qu'il me restait à être normale. Bientôt, je serai différente de tous les êtres humains. Je serai un être à part. Je m'étais toujours sentie ainsi, seulement, maintenant, j'avais une bonne raison de le penser.
Stix passa derrière moi en un clin d’œil, il décala mes cheveux sur mon épaule et ouvrit ma robe avant de se glisser à l'intérieur. Je me levai, Konrad fit de même et je me tournai, dos à lui, attendant qu'il la referme. Il s'approcha, et ses doigts frôlèrent mon dos. Un courant électrique s'empara de moi, et je luttai pour ne pas me retourner et l'embrasser. Il referma ma robe d'un mouvement rapide et s'éloigna chercher ses clés. L'atmosphère autour de moi redevint normale. Toutes ces sensations s'éteignirent, et je respirais à nouveau l'air environnant. Ma respiration s’étant bloquée suite à son contact.
— J'ai les clés, on peut y aller, me cria-t-il depuis le couloir.
Je me dirigeai vers lui. Il me tendit un casque, et nous sortîmes sans plus attendre. Je pris mon sac au passage dans lequel j’y rangeais les lentilles que Stix avait réalisées.
— Si on a le temps, je pourrais à mon tour te faire visiter. Notre maison n'est pas aussi formidable que la tienne, mais on a des animaux, jaspinai-je.
— Oh vraiment ?! J'adore les animaux, mais ma mère y est allergique.
— C'est dommage, répondis-je avec un semblant de tristesse.
Nous étions à côté de sa moto, prêts à monter. Il enfila ses gants, et j'en profitai pour bavarder un peu plus.
— Tu sais, tu es vraiment le mec cliché.
Il me regarda, stupéfait. Un sourire apparut sur son visage. Après avoir mis ses gants, il croisa les bras, et son regard me transperça.
— Oh ? Qu'est-ce qui te fait dire ça ? me demanda-t-il, un sourire joueur sur son visage. Visage que j'admirais sans retenue.
— Tu es riche, tu habites seul, il y a une forêt près de chez toi, tu es séduisant, grand, mystérieux et potentiellement bagarreur. Le cliché à l'état pur, décrétai-je.
Il s'approcha doucement de moi, et un léger frisson parcourut mon corps. Cette fois, je ne déviai pas le regard. Je souris, incapable de résister à son sourire narquois et enjôleur.
— Tu viens de dire que j'étais séduisant ?
— Tu as dit que j'étais belle, j'ai aussi le droit de te faire un compliment. Qui plus est, je suis quelqu'un de très honnête, précisai-je sur un ton également joueur.
Il s'avança encore plus. Mon esprit divagua, et des images de nous en train de nous embrasser défilèrent dans ma tête. Je m'empressai de chasser ces pensées en mettant mon casque, mal à l'aise suite à ces images. Une sensation naissait dans mon bas-ventre, mais je décidai de l'ignorer. C’était affreux de vouloir embrasser quelqu’un que l’on connaissait depuis à peine quelques heures ! Pourtant, mon corps voulait goûter à ses lèvres. Il était si beau, si attirant, et si séduisant ! Comment étais-je censé me concentrer sur mon pouvoir avec lui comme partenaire ?!
Il me jeta un dernier coup d'œil amusé avant de monter sur sa moto légère. Je montai après lui, cette fois sans tomber. Mes bras s'enroulèrent autour de sa taille, et la sensation dans mon ventre devint plus forte. Il démarra la moto et nous partîmes en direction de chez moi. Je lui indiquai la route pendant que nous roulions, et nous échangeâmes quelques paroles. Sans même m'en rendre compte, mes bras l'avaient étreint davantage, et je m'étais rapprochée de lui. Je souriais en sentant sa peau contre la mienne. Ma curiosité voulait palper ses muscles, connaître leur forme, leur puissance, mais je gardai sagement mes mains en place. Cependant, je me trouvais finalement entièrement collée à lui, alors gênée, je me reculai. Cet acte fut vain. Lorsque nous nous arrêtâmes dans mon allée, je m'étais de nouveau plaquée à lui. Je bouillonnais de rage, ne supportant pas de perdre le contrôle de mon propre corps.
Je lui redonnai son casque, pris les clés dans mon sac, et je nous ouvris la porte. Deux chiens surgirent de la maison et Konrad s'empressa de les caresser. Princesse pleurait sans cesse et se collait à lui, comme s'il avait toujours été de la famille. Lilie belle fut plus méfiante, elle commença d'abord par le renifler, puis elle retourna me voir, quémandant ses croquettes. Je regardais Konrad jouer avec Princesse, qui lui avait amené tous les jouets à sa portée : bâton, balle, frisbee, une autre balle, etc... Konrad en saisit un et le lui lança. Le jardin de devant n'étant pas bien grand, la balle qu'il avait lancée n'était pas partie très loin et Princesse s'empressa de la lui ramener.
— C'est quoi leurs noms ?
— Ha euh... La grosse là, c'est Princesse et le petit machin, c'est Lilie Belle, fis-je en les pointant l'une après l'autre du doigt.
— Ils ont des noms marrants, déclara-t-il, tout en jetant de nouveau la balle.
Nous entrâmes, laissant les chiens dehors. Je l’informai que je les nourrirais une fois qu'il serait parti. Il sembla déçu de ne pas pouvoir leur donner à manger, mais je lui assurai qu'il pourrait le faire une prochaine fois. Il sourit à l'entente de mes trois derniers mots « une prochaine fois ». Cela signifiait qu'il en aurait une autre et il paraissait réellement ravi de le savoir. Je posai mon sac dans l'entrée et retirai mes chaussures. Je lui fis signe de les garder et il accepta sans discuter.
À peine avais-je fait un pas dans la salle à manger qu'un miaulement parvint à mes oreilles. Caféine et Snoopy (il s'agissait bien de Snoopy cette fois) étaient déjà devant la porte-fenêtre. Je leur ouvris, et Konrad les caressa. Snoopy se laissa prendre sans même réagir (ce chat était vraiment bizarre), tandis que Caféine préféra passer son tour. Je donnai leur nom à Konrad pendant qu'il caressait le chat avec énergie.
Je sentis quelque chose bouger dans mon dos et me rappelai que Stix y était toujours caché.
— Euh… tu peux libérer Stix ? lui demandai-je, embarrassée qu'un garçon ait autant de fois ouvert et fermé ma robe en une seule et même journée.
Il posa le chat à terre et vint m'aider. Stix sortit et déclara que tout allait bien pour moi. Il nous informa aussi qu'il devait partir, car il avait une réunion avec les arbres. Il s'en alla donc sans un mot de plus, et je me retrouvai seule avec Konrad qui, d'un sourire, me fit comprendre qu'il en était venu à la même conclusion. Il ouvrit davantage mon vêtement et je me sentis tirée vers lui.
— Comment peut-il être aussi bien dissimulé ? se renseigna-t-il en s'aventurant encore plus dans ma robe.
D'un geste rapide, je lui bloquai la vue. Un bras dans mon dos, je tenais le peu de tissus qui le séparait de mon postérieur. Il sourit, referma la robe, puis s'excusa avec un sourire si éblouissant que j'oubliai rapidement ce qu'il venait de se passer.
— Au fait, tu es dans quel lycée ? enquêta-t-il. Je ne me souviens pas t'avoir déjà vue, je m'en serais rappelé sinon.
Il regardait les meubles, et touchait quelques pierres exposées qui appartenaient à ma mère. Il me jeta un coup d'œil, attendant ma réponse, que je lui donnai.
— Marguerite de Valois. Rt toi ?
— Charles Coulomb.
— Vraiment ? Tu y fais quoi, l'interrogeai-je, curieuse d'en apprendre plus sur lui.
— Je suis en général, j'ai pris en spécialité : mathématiques, sciences de l'ingénieur, ainsi que physique-chimie. J'avais voulu prendre aussi SVT et sciences informatiques, mais on me l'a interdit.
— Wow, et tu gardes quoi l'année prochaine ?
Notre discussion était tout à fait ordinaire, et cela me rassurait. On avait beau se connaître depuis peu, je n'avais aucun mal à discuter avec lui. Mes sourires répétitifs et mes nombreux rires ne semblaient pas le déranger. Au contraire.
— Je vais garder physique et maths. De ton côté, ça donne quoi ? jacassa-t-il tout en fouillant la maison.
Je ne pris même pas la peine de le faire visiter, il entrait dans toutes les pièces, regardant chaque objet avec une extrême attention.
— Chambre de ma sœur, Lou, fis-je lorsqu'il entra dans la pièce. J'avais choisi mathématiques et physique comme toi, mais avec SVT. Et comme toi, je vais garder maths et physique. J'ai aussi l'option latin et maths expertes que je viens juste de prendre, vu que ce n’est disponible que pour les terminales.
— C'est génial ça, déclara-t-il. On aime tous les deux les sciences. J'aurais bien voulu prendre une autre option, mais il n'y en a pas des masses à Coulomb.
— Pourquoi es-tu allé à Coulomb ? Ton lycée de secteur, c'est Marguerite. On aurait pu se rencontrer bien plus tôt.
— Si j'avais su, j'y serais allé, crois-moi, me répondit-il, la voix maussade.
Il me sourit et sortit de la pièce pour venir fouiller les autres salles. Je fermai la porte de droite avant qu'il n'ait le temps de s'y faufiler.
— Ma chambre, murmurai-je en levant les sourcils.
Il sourit et entra dans les autres pièces. Soit dans la chambre de ma sœur aînée - celle qui était à Lyon - ainsi que la salle de bain et les toilettes.
— Vous aimez vraiment les mangas dans la famille, manifesta-t-il.
— Ouais ! C’est notre plus gros point commun, je pense.
Snoopy passa entre les jambes de Konrad pour aller manger les croquettes qui se trouvaient dans la chambre. Nous le regardions par l'embrasure de la porte.
C'est lorsque sa main vint caresser ma joue que je me rendis compte du peu de distance qui nous séparait l'un de l'autre. Je reculais et me retrouvais vite bloquée contre ma propre porte. Son sourire était diabolique, il jouait de la situation. Nous étions que tous les deux, qui sait ce qu'il pouvait me faire.
Instinctivement, mon cœur se mit à battre plus vite. Il s'approcha et posa son bras contre la porte. Il glissa son autre main sous mon menton et me fit lever la tête. Je suivais ses gestes, incapable de résister. L'alchimie était de nouveau présente et elle me tordait l'estomac. Je savais qu'il ressentait la même sensation que moi, je le sentais dans mon for intérieur. Une alchimie entre deux individus pouvait-elle être aussi forte alors qu'ils ne se connaissaient que depuis quelques heures ? Ma tête tournait légèrement, et une envie encore plus puissante que celle que j'avais ressentie devant chez lui s'empara de moi. Une envie de faire taire l'électricité en rapprochant le plus possible nos corps. Une envie de goûter à ses lèvres. Était-ce le fait que je ne me fusse jamais retrouvée dans cette situation qui créait en moi ces désirs ou était-ce lui ? Les garçons avaient généralement peur de moi à cause de ma folie, ma bizarrerie et de mon caractère légèrement bipolaire. Pourtant, Konrad s'approchait de moi sans une trace de frayeur. Ses lèvres s'entrouvrirent, et à ma plus grande déception, ce ne fut pas pour m'embrasser, mais pour discuter.
— La principale raison de ma présence à Charles Coulomb, ce sont les rumeurs qu'on y entend. On dit qu'il y a beaucoup de crapules qui rôdent autour de ce lycée. J'avais besoin de savoir si cela était vrai.
Sa voix chaude et mielleuse me fit trembler. Ma main s'empara de sa chemise, et il acquiesça d’un sourire. Cette fois-ci, ses lèvres s'approchèrent des miennes, elles n'étaient maintenant plus qu'à quelques centimètres.
— J'adore me battre. Principalement parce que j'aime rabaisser les autres. Je suis meilleur que tout le monde.
Sa voix pénétrait en moi tandis que mon bas-ventre se tordait. Son odeur suave et exquise enivra mes narines et me plongea davantage dans ce monde où il me transportait à mon insu. Ces lèvres s'approchèrent davantage et, dans un mouvement désespéré, j'ouvris la porte et entrai précipitamment dans ma chambre. Je me tournai vers lui, tentant de contrôler ma respiration rapide et saccadée.
Nous nous regardâmes quelques instants, échangeant des regards surpris et déboussolés.
— Désolé, j'ai un peu de mal à me maîtriser... dévoila-t-il après un long moment.
Je ne répondis pas, incapable de parler. Je m'assis sur le lit. Au fur et à mesure que mon cœur se calmait, je sentais la tension diminuer. Je tentais de me convaincre que ce type était un simple coureur de jupons afin de calmer la chaleur que dégageait mon corps.
— Je vais voir le garage, stipula-t-il en voyant que je ne lui répondais pas.
Il quitta mon champ de vision, et j'entendis la porte-fenêtre s'ouvrir et se refermer. Je soufflai de soulagement, j'avais été à un cheveu de l'embrasser. Mais je n'étais pas comme ça ! Je n'avais embrassé qu'un seul garçon dans ma vie, et j'étais enfant à cette époque. Tous ceux dont j'étais tombée amoureuse, il m'avait fallu plusieurs mois avant de les aimer. Alors, pourquoi tout d'un coup, j'étais prête à me jeter dans les bras de CE gars-là ? Beaucoup trop de questions se bousculaient dans ma tête, je tapais du poing contre le lit. Il s'agissait potentiellement d'un vrai cavaleur, je devais donc rester sur mes gardes. Voilà ce qu'une partie de moi me disait. Une autre, la moins rationnelle, me disait qu'il y avait quelque chose entre nous. Quelque chose que je ne saurais expliquer, une attirance physique sans limite.
Si ma raison n'avait pas pris le dessus, à ce moment même, on serait sans doute encore en train de nous embrasser. Je me mordais la lèvre, cette pensée ne m'avait pas déplu et cela m'irritait.
Je me levai et décidai de voir ce qu'il faisait dans ce fichu garage. Il était debout, mon vélo devant lui, pompe à la main, et appuyait dessus avec tant de force que j'avais peur que celle-ci ne se casse.
Il m'entendit arriver et me sourit. Ce sourire était doux et calme, il disparut extrêmement vite.
— Je ne t'en veux pas, prononçai-je enfin.
— Pourquoi ?
— Je n'y arrive pas, avouai-je pour simple réponse.
— On se connaît à peine, Anémone, me renseigna-t-il. Je suis désolé que tu aies vu ça. Enfin bon, ça aurait pu être pire...
Il jeta un bref coup d'œil à ses poings et je me demandai s'il était capable de me frapper. Il attrapa un chiffon afin d'enlever la saleté qui s'était installée sur ses mains, ses yeux me dévisageaient.
— Si on doit vraiment être partenaire, je dois te le dire tout de suite.
Je respirais difficilement, m'apprêtant à une dangereuse nouvelle. Était-il un tueur en série ? Un violeur ou pire encore un pédophile ?
— J'aime me battre et ce jusqu'à ce que mes adversaires tombent en sang. Ils sont toujours vivants, mais souvent destinés à rester plusieurs mois à l'hôpital. Je suis violent et considéré comme dangereux auprès de nombreuses personnes. Je veux que tu le saches. Je ne suis pas un bad boy, ce sont tous des crétins d’ailleurs, mais disons que cela m’occupe… Je sais que ce n’est pas bien, mais j’aime me sentir supérieur à eux… Je ne suis pas vraiment une bonne fréquentation, Anémone. On me le rappelle souvent, bien trop souvent...
J'écoutai attentivement son discours teinté de sincérité et d’une pointe de tristesse, avant d’aboyer de rire. Il lâcha le chiffon de surprise, ce qui me fit pleurer de rire.
— C'est tout ? m'esclaffai-je, les larmes aux yeux. J'ai bien deviné que tu te battais, il ne suffit que de regarder tes mains et tes bras pour le comprendre !
Ne pouvant continuer de parler davantage à cause de ma respiration incontrôlée, j'attendis patiemment que je me calme. Je soufflai un bon coup et repris :
— Je me fiche que tu te battes, tu dois me défendre en cas de soucis, donc encore heureux. Tant que ce n'est pas moi que tu attaques, je me fiche de ce que tu peux faire durant tes temps libres, l'assurai-je en essuyant mes larmes.
— Tu es vraiment bizarre, décréta-t-il après un moment.
— Je ne passe pas une journée sans qu'on me le dise, révélai-je, sourire aux lèvres.
Konrad était étrange, différent, unique. Peut-être n'était-ce pas un cliché à l'état pur comme j'avais pu le penser. Il me souriait, mais tout comme les autres personnes, il n'arrivait pas à me comprendre. Moi-même j'avais des difficultés à expliquer mon comportement, mais je m'y étais habituée.
— « Petite folle » te va vraiment bien comme surnom.
— Il faudrait, moi aussi, que je te trouve un surnom, dis-je en faisant mine d'y réfléchir.
— Tu peux m'appeler « chevalier séduisant ».
— Et puis quoi encore ! me moquai-je.
— Enfin bon, petite folle, je me suis occupé des vélos. Je ne savais pas lequel était le tien, alors je les ai tous faits. Si tu as un problème, tu pourras venir me voir.
— WOW ! Tu as vu mon corps ? Tu penses que j’aurais la volonté de pédaler plus de quarante minutes ?
— Ce n'est qu'en cas de soucis, déclara-t-il en levant les yeux.
— Beh, j'espère que je n'aurais jamais besoin de l'utiliser, maugréai-je.
Je le raccompagnai à la porte et après plusieurs regards désireux, il rentra chez lui. Mes parents arrivèrent quelques dizaines de minutes plus tard et je leur racontai ma journée en compagnie de mon « amie », les boutiques et tout ça... Tout le monde n’y vit que du feu et je fus rassurée. Je retournai dans le garage après le dîner, et fixai mon vélo qui avait de nouveau des pneus gonflés. J'avais souhaité de ne pas l'utiliser, si seulement j'avais su que je le mettrai à profit dès le soir même…
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