Chapitre 28

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Depuis que j’étais entré à l’Opéra-théâtre, mon monde avançait à un rythme effréné. Je n’arrivais plus à suivre. Entre le conservatoire, Lianna, Véra et la fin de la formation de Liva, je saturais. Même si Véra l’avait remarqué, elle ne disait rien. Comme toujours, elle agissait dans l’ombre, donnant de plus en plus de mes propres taches à Sélina qui prenait de plus en plus d’importance. Dorénavant, mes seules fonctionnent en tant que dame de chambre, ou plutôt d’intendante, consistaient à aider Véra lors de ses bains et à dormir avec elle. Sélina faisait le reste et Liva s’occupait de Lianna en mon absence. Mais aujourd’hui, j’avais besoin de souffler. De prendre le temps de me reconcentrer sur moi-même, sur qui j’étais et sur qui je voulais devenir. Enfermé dans mon studio, une musique apaisante dans les haut-parleurs, je m’assis en tailleur sur le tapis de Lianna et fermais les yeux.

Au rythme de la musique, je m’enfonçais au fond de moi-même. Méditer me permis de me ressourcer, de prendre le temps qui me fallait alors que tout allait vite autour de moi. J’avais beaucoup de travail et même si Véra me déchargeait pour m’aider, ça m’énervait plus qu’autre chose. Une fois ma journée au conservatoire finit, je me sentais inutile au palais. Tout ce qu’il me restait, c’était ma fille et mes moments en solitude avec ma fiancée dans la salle de bain.


— Il semblerait que tu m’aies appelé.


Une voix douce, posée, me fit ouvrir les yeux. Je savais être seule dans cette pièce fermée à clef, mais son arrivée ne m’avait pas surprise. Quand j’ouvris les yeux, une femme blonde, d’une vingtaine d’années était assise devant moi, en tailleur elle aussi. Elle portait un magnifique chemisier blanc et un jean. Ses cheveux étaient simplement détachés. Son visage n’était pas recouvert de maquillage. Ses yeux bleus me souriaient, comme ses lèvres. J’avais l’impression de la connaitre sans parvenir à savoir où j’avais bien pu la rencontrer, ni à me rappeler son nom.


— Qui êtes-vous ? Comment…

— Tu dois être perdue, je comprends. Figure-toi que moi aussi. C’est la première fois que je suis amené à protéger un vivant.

— Protéger un vivant ? Je ne comprends pas, m’étonnais-je.

— Tu es bien Élia Aubelin ?


Cette femme semblait me connaitre, son visage m’était familier et sa présence apaisante. Pourtant, elle ne me revenait pas en mémoire.


— J’ai l’impression de vous connaitre.

— C’est fort probable. De mon vivant, j’étais connu.

— De votre vivant ? Êtes-vous… morte ?

— Oui. Il y a de cela… plus de vingt ans. J’ai un peu perdu la notion du temps.

— Je n’étais pas encore née alors. J’ai bientôt dix-huit ans.

— Intéressant. Donc on ne s’est jamais rencontrée. Mais je suis là pour te guider, pour t’aider quand tu en auras besoin. Si c’est moi qui ai été choisi pour toi, c’est qu’on doit avoir un lien, quel qu’il soit.

— Comment vous appelez-vous ?


Elle se leva et fit quelques pas dans mon studio. Elle prit le temps d’observer la pièce, la décoration ainsi que les moindres objets qui était présent. Elle revint s’asseoir ensuite vers moi. Ses longs cheveux blonds étaient aussi raides que ceux de Lizéa. Alors qu’elle gardait le silence, je l’observais un peu plus. J’étais sûre de la connaitre, de l’avoir déjà croisé quelque part. Mais c’était impossible. Elle était morte avant que je naisse. D’ailleurs, elle était morte, comment pouvez-t-elle être en, cet instant, en face de moi et me parler ?


— Cette pièce est magnifique, enchaîna-t-elle, me sortant de mon observation. Que fais-tu seule ici ? me questionna-t-elle.

— J’ai besoin d’un peu de calme et je suis la seule à en posséder la clé. Je vis dans un environnement bruyant. Que ce soit au Conservatoire ou ici, avec ma fille. C’est elle qui m’épuise le plus.

— Tu es maman ? J’ai adoré être maman. Surtout de ma dernière fille dont j’étais très protectrice. Elle me ressemblait beaucoup. Je me demande ce qu’elle est devenue ?

— Je comprends totalement. Je fais la même chose avec Lianna.

— C’est le nom de ta fille ? C’est joli.

— Ce n’est pas moi qui l’ai choisie. J’ai adopté Lianna.

— Intéressant.


Son regard se perdit dans le vide quelques instants avant de revenir vers moi.


— Je dois y aller, ma mère m’appelle. Souviens-toi, si tu as besoin de quoi que ce soit, si tu as besoin de parler, je suis là. Appelle-moi et je viendrais.

— Comment ?

— Il te suffira de penser à moi, je t’entendrais.

— Merci.


Elle me sourit et partit comme elle était arrivée. Sans un bruit. J’étais de nouveau seule et la musique s’était arrêtée. Avais-je vraiment discuté avec cette femme ou avais-je rêvé ? Et si je m’étais endormi pendant ma méditation ? Je me levais et vis sur mon téléphone qu’il était déjà seize heures moins dix. J’avais dix minutes pour me préparer avant de rejoindre la voiture qui me permettrait de récupérer ma fille chez une amie à elle. Je n’avais pas de temps à perdre. Nous devions passer le reste de l’après-midi toutes les deux, je ne devais pas être en retard. En ville, après lui avoir acheté une glace, on s’installa au parc. Je posais une serviette sur l’herbe et elle se glissa entre mes jambes.


— Lia ? m’interpella-t-elle.

— Oui, p’tit chat ?

— Fait ça moi, pour toi.


Dans sa main, il y avait un bracelet de petites perles. Depuis que Lianna était entrée à l’école, elle parlait de mieux en mieux. Ou plutôt, elle parlait avec moi et tirait la langue à Véra. Son bracelet était bien fait, les couleurs étaient associées avec soin.


— Fait attention moi.

— C’est très joli, chérie.

— Mama Tara aider moi.

— Elle est gentille la maman de Tara. La prochaine fois, est-ce que tu voudrais que ce soit Tara qui vienne à la maison ?

— Ouais !


Tara était la première amie de Lianna. La première à être venue vers elle malgré ses difficultés de communication. Je savais que son adaptation dans la classe était en partie due à cette petite fille.


— Lia ? Pas papa, moi ?

— Non ma chérie. Parce que tu as deux mamans. Pourquoi ?

— Tara papa, elle.

— Tu voudrais avoir un papa ?

— Sais pas, haussa-t-elle les épaules. T’aime Lia et mama aussi.

— Est-ce qu’on t’embête à cause de ça ? Est-ce que les autres enfants sont méchants avec toi parce que tu n’as pas de papa ?

— Heu… réfléchit-elle. Non.

— Tu sais ma puce. Ton premier papa, il est avec ta première maman. Ils sont partis tous les deux, mais ils t’aimaient. Et maintenant, c’est Véra et moi qui nous occupons de toi. Ce n’est pas grave de ne pas avoir de papa.

— Papa toi ?

— Non. Mon papa est aussi parti quand j’avais ton âge.


C’était la première fois que je parlais ainsi de mon père à Lianna. Je lui avais déjà vaguement expliqué le jour de notre rencontre, pour qu’elle m’accorde sa confiance, mais jamais de façon aussi sérieuse. Si ses camarades embêtaient Lianna, car elle n’avait pas de papa, je savais que c’était à cause des parents. Ils me pensaient trop jeune pour être parents et ma relation avec la famille Stinley devait les faire d’autant plus parler. Pour le moment, ils ne savaient pas que Véra était aussi sa mère. Mais un jour, Lianna parlerait, fière d’être la fille de l’Impératrice, d’être une Princesse. Ce jour-là, les adultes comprendraient quel lien j’entrerais avec elle. Ce jour-là, nous ne pourrions plus cacher notre relation.

Je ne voulais pas vivre dans l’ombre du pouvoir impérial ni dans la lumière des médias, à cause de mon mariage. Je n’aspirais qu’à une vie normale. Ou plutôt, je voulais devenir célèbre, par mes talents de danseuse, non par mon mariage. Mais je savais pourtant au fond de moi que ce secret n’en resterait pas un bien longtemps. Lianna avait déjà semé quelques indices au bal de fin d’année et Véra était de plus en plus entreprenante avec moi en public. Sa réaction avec ma danse lors du bal avait attiré l’attention, tout le monde avait sifflé. Tout le monde avait compris que nous avions plus qu’une simple relation de dame de chambre et Impératrice. Un jour, le monde au-delà du palais saurait pour Véra et moi. Je n’y serais jamais prête, même en le savant.

Lianna me questionna ensuite sur d’autres membres de la famille. Cette journée chez son amie l’avait intriguée. Parce que Tara avait un père ainsi que des frères et sœurs, Lianna se questionnait désormais à ce propos. Mais je compris vite qu’elle voulait être la seule enfant. Qu’elle me voulait pour elle toute seule. Un souhait que je ne pourrais malheureusement pas réaliser. Parce que Véra avait besoin d’héritiers et que Lianna ne pourrait jamais le devenir. Véra avait raison, en un sens. J’élevais une petite fille compliquée, jalouse et possessive. Bien plus possessive que ma fiancée. Mais j’allais devoir faire avec. Peut-être qu’en grandissant, elle accepterait qu’il y ait d’autres personnes qu’elle dans ma vie. Ce n’était encore qu’une enfant, qui avait perdu ses parents dans un effroyable incendie dont elle avait miraculeusement survécu. Elle s’était accrochée à moi et ne comptait pas se détacher de sitôt. Elle était désormais sous ma responsabilité. Je devais la protéger, quoi qu’il m’en coûte.

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