Chapitre 38

10 minutes de lecture

C’était une douce mélodie qui me réveilla. En fait, non, c’était Lianna qui hurlait. J’envoyais valser la couverture, sautais hors du lit et attrapa ma fille dans mes bras. Mon premier réflexe fut de vérifier si elle n’avait pas été piquée par une abeille. Dès que je fus rassuré, je la serrais contre moi et commençais à chanter la berceuse de ma sœur jusqu’à ce qu’elle se calme.


— Qu’est-ce qu’il s’est passé, p’tit chat ?

— Est où, Lia ? me répondit-elle en reniflant.

— On est chez des amis de maman. Tout va bien, on est en sécurité.

— Partie ?

— Oui, on est parti. Tu te souviens, tu as dit au revoir à tata et mamie avant de t’endormir.


Elle réfléchit un moment avant d’acquiescer et de se lover dans mes bras. Je séchais ses larmes, lui fais prendre un rapide bain avant de l’habiller. J’en fis de même et on sortit de la chambre. Sacha était déjà devant la porte.


— Bonjour, Mademoiselle Élia. J’ai pour mission de vous conduire au petit déjeuner. Si vous le voulez bien.

— Je vous suis.


Lianna toujours dans les bras, je pus mieux découvrir le palais. De nombreuses photos ornaient les murs et chaque couloir était éclairé par la lumière naturelle du soleil. Intimidée, ma fille cacha son visage dans mon cou quand on entra dans une pièce avec beaucoup de monde.


— Heu… bonjour, commençais-je moi aussi intimidée.

— Bonjour, Mademoiselle Aubelin, me répondit le Roi Stanislas. Venez vous asseoir.


Une fois installée en face de la Reine Lola, je voulus faire asseoir Lianna à côté de moi, mais elle refusa de détacher ses bras, relier derrière mon cou.


— Veuillez l’excuser. Elle a du mal avec les inconnus.

— Il n’y a pas de soucis. Stella, servez donc nos invités.


Une jeune fille nous servit un bol de chocolat chaud, du jus d’orange, des tartines beurrées et des céréales. Sur la droite, une femme d’un certain âge m’observait. Ayant une bonne mémoire des visages, je reconnus Emma. Elle était venue à l’anniversaire d’Elena. Elle me salua d’un signe de tête puis se reconcentra sur ses propres tartines.


— Lianna, retourne-toi s’il te plait. Il faut que tu manges.

— Non ! bouda-t-elle.

— Est-ce que vous auriez des gâteaux ? demandais-je.

— Âteau ? réagis aussitôt ma fille.

— Stella, va voir ce qu’il y a en cuisine.

— Mange d’abord tes céréales, p’tit chat.


Celle-ci me tira la langue et croisa les bras. En deux jours, je venais de bouleverser toutes ses habitudes, je comprenais qu’elle soit en colère contre moi. Mais devant cette famille que je ne connaissais pas, je devais faire bonne figure.


— Si tu manges correctement, on ira danser toutes les deux.

— Ouais ! s’exclama-t-elle en levant les bras. Danser moi !


Je réussis enfin à l’asseoir sur la chaise d’à côté. Elle mangea silencieusement tandis que la famille qui nous accueillit discutait entre eux. Quand la domestique revient avec des gâteaux au chocolat, celle-ci fit de ma fille la plus heureuse.


— Emma m’a expliqué que vous étiez en danger de mort, commenta le Roi Stanislas. Que t’accueillir était une demande de la Princesse Lizéa. Mais elle ne m’a rien dit de plus. Est-ce en lien avec l’attaque que subit actuellement l’Empire ?

— Oui. Nous…


M’empêchant de répondre, mon téléphone sonna. Lianna se dépêcha de le récupérer, avant moi, et j’aperçus la photo de Véra sur l’écran. C’était elle qui m’appelait.


—Mama !

— Donne-moi ça, chipie.

— Chipie, moi.

— Excusez-moi.

— Fait comme chez toi, Élia, reprit Emma.


Je récupérais mon téléphone et répondis à ma fiancée.


— Salut, commença-t-elle. Je ne te dérange pas ? Tu dois être à table.

— Je viens de finir mon petit déjeuner.

— Il est censé être dix-neuf heures chez toi.

— Heu… je suis partie. J’ai trouvé qu’Edel n’était pas assez sûre pour Lianna, vu que tu l’as nommé comme héritière.

— Je comprends, tu as bien fait. Quelle heure est-il, où tu es ?

— Heu, hésitais-je avant de regarder mon téléphone. Neuf heures.

— Donc cinq heures de moins. Tu es avec des gens de confiance ?

— Oui, c’est ta tante qui a tout organisé. Comment ça se passe au palais ?

— Ça s’annonce mal.


Tous les regards convergèrent dans ma direction. Le Royaume de Thérénia avait envoyé des troupes soutenir celles de l’Empire. Ils avaient le droit de savoir. Je mis alors le haut-parleur et posais mon téléphone sur la table. Aussitôt, je vis une jeune fille, un peu plus âgée que moi se mettre à traduire en langue des signes. Elle devait être la princesse Janna.


— Le palais est cerné, avoua Véra. Le Roi et la Reine de Thiera sont à nos portes. J’ai essayé de discuter avec eux, de trouver une solution pacifiste, mais il n’y a rien à faire. Ils sont déterminés à venger la mort de leurs parents.

— Comment ?

— C’est là que ça se complique.

— Que veulent-ils ? tentais-je.

— Je ne sais pas si…

— Dis-moi. Je ne suis pas en sucre.

— L’exécution publique d’une longue liste de personnes. De toutes celles qui ont participé, de près ou de loin, à la mort de leurs parents.

— Rassure-moi, tu n’en fais pas partie ?

— Non. Je n’étais pas encore née. Et toi non plus. Mais… cette liste… c’est toute ma famille, Élia.


À travers le téléphone, je l’entendis pleurer. Mon cœur se serra dans ma poitrine. J’étais incapable de l’aider.


— De ma grand-mère, reprit-elle, à ma mère.

— Calme-toi. Pourquoi ta mère, qu’est-ce qu’elle a à voir là-dedans ?

— Ma tante est hors de danger, détourna-t-elle. Elle non plus n’était pas née au moment des faits initiaux.

— Pourquoi ta mère, enchaînais-je.

— Je n’en sais rien ! Elle refuse de me dire quoi que ce soit. Elle n’avait que dix ans à ce moment-là, elle ne pouvait pas…

— Je sais pourquoi, nous coupa Emma.

— Tu es où, Élia ? Qui est la personne qui a la réponse à toutes mes putains de questions ?

— Je ne te le dirais pas, rétorquais-je en baissant la tête.

— Élia, bon sang ! Je ne peux pas régler la situation si on ne me dit rien.

— Elise et Ben sont les enfants biologiques du Roi Marc de Thiera. Le père de l’actuel Roi et Reine. Techniquement, ils sont tout aussi légitimes à réclamer le trône de Thiera, l’un comme l’autre.

— Tout n’est qu’une question de pouvoir ? questionna Véra.

— Tout n’a toujours été qu’une question de pouvoir entre ces deux territoires. Elena a épousé Marc pour aider l’Empire à se reconstruire. Avant son mariage avec Océane. Mais c’était un homme violent. Je ne vous dirais rien de plus. Ce n’est pas à moi de vous en parler.

— Alors je dois plonger dans les archives familiales ? Comme si je n’avais que ça à faire.

— Demande à Elena. Je suis sûr qu’elle répondra à tes questions.

— La grand-mère est la première de la liste, Élia. Il est hors de question que je la contacte et que je leur dévoile où elle est.

— Tu m’as bien contacté moi. Tu crois qu’ils surveillent tes communications ?

— Je n’en sais rien. J’aimerais tellement t’avoir auprès de moi, mon ange. Mais…

— La sécurité de Lianna est primordiale, mon amour, tentais-je de la calmer. Je suis en bonne compagnie. Fais ce que tu as à faire et je ferais la même chose de mon côté.

— Si on s’en sort, je te promets que plus jamais, ma mère n’osera s’en prendre à toi.


La conversation devenant privée, je coupais le haut-parleur et m’éloignais légèrement de la table.


— Essaie de t’entendre avec elle, s’il te plaît.

— Pourquoi tu la défends ? Elle refuse qu’on se marie, bon sang.

— Parce qu’elle reste ta mère, que tu l’aimes ou que tu la détestes. Ne laisse pas ta colère détruire ta famille. Tu finiras par le regretter.

— Je ne le regretterais jamais.

— Je t’assure que si. Tu ne sais pas tout ce que je regrette à propos de mon père. Si je n’avais pas été si maladroite enfant, il n’avait pas eu à s’endetter pour payer mes soins. Il n’en serait pas mort.

— Et si, malgré tout ce que j’essaie, elle refuse ?

— On trouvera une solution en temps voulu. Mais je suis certaine qu’on se mariera, quoi qu’il arrive.

— C’est pour ça que j’ai besoin de toi auprès de moi. Tu me manques déjà.

— Tu me manques aussi. Tu veux parler avec Lianna ? Le réveil était compliqué.

— Mets-la-moi en haut-parleurs.


Je retournais auprès de ma fille qui discuta un peu avec Véra. Elle retrouva son sourire en entendant la voix de sa mère. Dès que je raccrochais, Lianna grimpa à nouveau sur mes genoux.


— Lia, mama triste ?

— Une peu, oui

— Danser pour mama, moi.

— On va y aller oui.


Le Roi Stanislas me questionna alors sur mes activités, sur qui j’étais. J’expliquais que j’étais danseuse professionnelle à l’Opéra-théâtre de Glenharm. Mais aussi que j’habitais au palais, en tant que Dame de chambre de Véra au début, puis en tant que fiancée depuis peu, où j’élevais Lianna, ma fille adoptive et désormais Princesse Héritière de l’Empire d’Eryenne. La seule princesse qui n’était pas élevée comme tel.

À la fin du petit déjeuné, la Reine Lola s’approcha et Lianna se réfugia derrière moi. Nous étions désormais plus que toutes les trois, le reste de la famille étant partie. Elle avait de nouveau son sourire rassurant. Elle était aussi grande que Véra, pourtant des talons qui la grandissaient encore plus. Elle s’accroupit afin d’être à la hauteur de ma fille et lui tendis la main. Je remarquais alors tous les bijoux qui ornaient ses cheveux. Sa robe était dans des tons clair, fin et le dos nu. Elle glissa une mèche de cheveux derrière son oreille et je pus apercevoir un appareil auditif. Celui-ci était très discret.

Sans prononcer le moindre mot, rien qu’avec un regard tendre, un sourire apaisant et des gestes maitrisés, elle parvint à attirer l’attention de Lianna. Celle-ci glissa devant moi, intimidée. Elle s’appuya sur mes jambes, jouait avec ses cheveux en se dandelinant d’une jambe à l’autre. Entre les deux, il n’y avait qu’un simple échange de regard. S’il y avait plus, c’était hors de ma portée. Une femme née sourde ayant grandi dans un monde d’entendant et une petite fille potentiellement hypersensible, tous deux ayant été adoptés.

Toujours dans ce silence que je ne parvenais pas à comprendre, Lianna glissa entre les bras de la Reine Lola, déposa timidement un bisou sur sa joue rose avant de revenir vers moi. Souriante, elle attrapa ma main et Lola se releva avec beaucoup de grâce et de délicatesse. Comme si le moindre de ses mouvements était calculé à l’avance avec une précision infinie. Son doux regard remonta jusqu’à rencontrer le mien et son sourire s’agrandit. Elle me tendit la main, m’invitant à la prendre. J’hésitais quelques instants, mais les expressions de son visage me convainquirent d’accepter. Une femme aussi douce et bienveillante qu’elle pouvait-elle vraiment être à la tête d’un royaume ?

Elle serra légèrement ma main, faisant attention à mon attelle. Sa peau était aussi douce que celle d’une jeune femme, voire d’un bébé. Légèrement fraiche, plutôt rafraichissante. Elle commença à marcher et ses hauts talons claquèrent contre le sol sans être dérangeants. Comme si elle entendait le son de chacun de ses pas et prenais soin d’avancer en silence. Je voudrais la questionner, en apprendre plus sur cette femme attendrissante et intrigante, mais la situation m’en empêchait. Je ne voulais pas briser le silence qu’elle avait réussi à imposer à la seule force de ses yeux marron et de son sourire vermeil.

Elle nous emmena dans une salle un peu plus loin. Je reconnus rapidement la salle de bal même si elle était bien moins impressionnante que celle du palais. Elle lâcha doucement ma main, me laissant explorer la pièce. En prenant mon temps, j’aperçus les haut-parleurs positionnés à même le sol, dans l’ensemble de la pièce. Une musique délicate résonna. Même avec mes chaussures, je sentais les vibrations de la musique. Je tournais la tête vers la Reine Lola et la vis enlever les siennes. Elle augmenta légèrement le son, surtout les basses et s’avança au milieu de la salle. Ses appareils auditifs devaient sûrement l’aider à entendre, mais elle semblait se baser uniquement sur son environnement. Sur les vibrations des haut-parleurs sur le parquet. Je venais de comprendre comment elle percevait le monde. De léger son, bien trop faible pour être totalement entendu, les mouvements des lèvres, l’air et le vent sur sa peau à nu, les vibrations. Tous ces éléments sur lesquels je prenais appui quand je dansais. L’essence même de ma danse. En une fraction de seconde, j’avais tant appris sur cette femme. En une fraction de seconde, je savais à quel point nous nous rassemblions. Elle était l’incarnation même de l’adulte que je voulais devenir.

Pendant plusieurs longues minutes, je l’observais, comme envoutée. Même Lianna ne bougeait plus. Elle semblait aussi libre que le vent, aussi libre que moi quand je dansais. Au bout d’un moment, elle nous invita, Lianna et moi à la rejoindre. Ma fille accepta ayant envie de danser. Mais contrairement à elle, je ne parvins pas à la rejoindre. Pour une fois, je voulais rester passive, je voulais regarder. Compréhensive, elle reporta son attention sur Lianna, dansant uniquement avec elle. Je m’assise à dos contre le mur. La Reine Lola dansait avec légèreté, du moins, si on pouvait qualifier ses mouvements de danse. C’étaient plus des gestes aléatoires, mais en lien avec les pulsations de la musique. En compagnie de la Reine Lola, Lianna restait calme, concentrée. La première fois depuis que nous l’avions adoptée.

Annotations

Vous aimez lire Le studio d'Anaïs ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0