Chapitre 39

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Cela faisait déjà une semaine que nous logions au palais royal de Thérénia. Nous avions désormais une routine bien ficelée. La Reine Lola y était pour beaucoup. Aujourd’hui, nous avions l’autorisation de sortir visiter la capitale, à la seule condition qu’on soit accompagnée d’une dizaine de garde. En ville, les soldats en uniformes et armées attirèrent l’attention. J’allais devoir m’y habituer maintenant que Véra avait officialisé nos fiançailles.


— Tu veux une gaufre au chocolat, p’tit chat ?

— Oui, faim moi !


Tout en gardant sa main dans la mienne, je rejoignis une crêperie. On s’installa à l’intérieur de l’établissement avec, en prime, un chocolat chaud. Pourtant, alors qu’on discutait calmement, des coups de feu retentirent à l’extérieur. Je plaquais Lianna contre ma poitrine puis glissais sous la table au moment où les vitres autour de nous explosèrent. Ils nous avaient retrouvées. Tous les clients se réfugièrent à leur tour sous les tables, tandis que j’essayais de rassurer ma fille pour qu’elle reste silencieuse et ne dévoile pas notre position. Au-dessus de nous, les balles fusaient. Quand tout se calma, une main attrapa mes cheveux et me tira en arrière. Je repoussais Lianna pour qu’elle reste cachée. Relevée, je me débattais dans les bras du soldat ennemie, jusqu’à ce que celui-ci m’assomme avec la crosse de son arme.


***


Un horrible mal de tête me réveilla. Au premier mouvement, je remarquais que j’étais attachée et tentais de me libérer. J’étais totalement prise au piège. Je ne pouvais ni bouger, ni parler, ni voir.


— Elle se réveille enfin, entendis-je autour de moi. De quoi rassurer son Impératrice.

— Vous êtes sûr qu’elle voit en direct ce qu’il se passe ici, Lieutenant ?

— Étant donné que le Capitaine a piraté le réseau de la télévision impérial, tout l’Empire voit en direct cette fillette.


Je devais rester calme, je ne devais pas montrer ma peur. Mon corps agissait à contrario de ma raison. Mon cœur battait à tout rompre dans ma poitrine et je tremblais. Dans mon dos, derrière le dossier de la chaise, mes mains étaient attachées entre elles. Mon poignet me faisait souffrir, tout comme ma tête.


— Lieutenant, on ne pourrait pas lui donner un peu d’eau ?

— De quel côté es-tu soldat ?

— L’impératrice voit en direct comment vous traitez sa fiancée. Comment croyez-vous que…

— Très bien, servez-lui un verre d’eau.


Dès que mon bâillon fut retiré, on m’aida délicatement à boire avant de le remettre en place. Véra pouvait me voir, ma famille pouvait me voir. Je devais faire bonne figure. Étaient-elles seulement en sécurité ? J’écoutais attentivement ceux qui discutaient autour de moi. Ils étaient quatre et ne semblaient plus se préoccuper de moi. J’en profitais pour essayer de me libérer, en vain. À cause de mon attelle, je ne pouvais rien faire. Subitement, ma joue prit feu. Je me mordis la langue et basculais sur le côté. Ma tête cogna contre le sol et j’avais désormais du sang dans la bouche que je ne pouvais recracher.


— C’est que le microbe tente de s’échapper. Tes liens sont bien trop serrés, fillette, alors inutile d’essayer quoi que ce soit. Et puis, chuchota-t-il, ne nous oblige pas à te tuer en direct, devant ta chère et tendre.


Il me redressa brusquement et je déglutis tant bien que mal. Ma respiration s’emballa, mais celle-ci était bloquée par le bâillon. Dans mon dos, je ne parvenais plus à contrôler les tremblements de mes mains. De mon corps entier en fait. Je devais reconnaitre que j’étais terrifiée, impuissante. Sous mon bandeau, mes yeux s’humidifiaient. La dernière fois que je m’étais retrouvée dans cette situation, Margot m’avait presque exécutée. Pour le moment, tout ce que je pouvais faire c’était attendre et avoir confiance en Véra. Cette fois encore, elle viendrait me chercher, elle me sauverait. Elle était l’Impératrice, elle avait tous les moyens à sa disposition pour me retrouver. Pour me sortir de là vivante.

Le temps défilait anormalement lentement. J’avais totalement perdu toute conscience temporelle. Un hurlement me glaça le sang. Lianna était là. Elle hurlait, se débattait et je ne pouvais rien faire pour l’aider. Non, je ne devais pas abandonner, il était hors de question qu’ils s’en prennent à ma fille. Ignorant mon poignet douloureux, je tentais le tout pour le tout afin de me libérer.


— Faites taire cette gamine, bon sang !


Subitement, les cris se turent, amplifiant mon sentiment d’urgence. Je devais sauver ma fille. Je devais nous sortir de là.


— Attention les gras, vous venez de mettre une mère en colère. Vous ! Enlevez-lui son bandeau.

Je me calmais, déglutis et pris soin de me concentrer sur les bruits de pas qui approchait.

— Rassurez-vous, chuchota celui qui me rendait la vie. Votre fille est simplement endormie au chloroforme.


Ma vue s’adapta rapidement à la luminosité de la pièce. Nous étions dans une sorte de vase et il y avait bien quatre soldats ennemis masqués. Une caméra allumée était braquée sur moi et je pouvais voir le retour. J’étais bien en direct sur la chaîne impériale. Je balayais la pièce du regard et vis ma fille, allongée sur un matelas, une couverture sur les épaules. Au moins, il lui assurait un minimum de confort, contrairement à moi. J’étais assise au milieu de la pièce, attachée à une chaise.


— Elle est rassurée la maman ?


Ma rage ne cessait d’augmenter. Elle passait outre la terreur qui régnait dans mon cœur. Une pièce sombre, bâillonnée et attaquée, cela me rappelait trop les tortures de margot. Mais en ce moment, ce qui m’animait, ce qui prenait le dessus, c’était la sécurité de ma fille, quoi qu’il m’en coute. Fini la petite fille qui se laisse marcher dessus. Fini la fille qui laisse sa vie aux mains des autres. Bienvenue à la femme et la mère que j’étais désormais. Je ne savais pas encore comment m’y prendre, mais j’étais déterminée. Même si Véra venait à notre secours, je devais au moins tout tenter pour nous libérer seule. Ou du moins, l’aider.


— Faites-moi un rapport sur notre demande, soldat.

— L’Impératrice tente de négocier, Lieutenant.

— C’était prévisible.

— Et si on demandait son avis à notre otage ? Voir de quoi son Impératrice serait capable pour elle.

— On peut tenter.


Je savais que Véra était prête à tout, même à abandonner la couronne. Mais ils ne devaient pas le savoir. Celui qui devait être le Lieutenant s’approcha et retira mon baillons. Je pus enfin cracher le sang qui était encore dans ma bouche.


— As-tu quelque chose à dire, fillette ?

— Comment va ma fille ?


Lianna n’était pas dans le champ de la caméra. Pour rassurer Véra, son état devait être dit à voix haute. En espérant qu’en plus de la vidéo, il y ait le son.


— Cette petite teigne dort profondément, mais elle va bien.

— Qu’avez-vous demandé à l’Impératrice ?


Il m’annonça une grosse somme d’argent. À elle seule, elle devait valoir la totalité du palais.


— C’est tout ? bluffais-je. Moi qui pensais avoir plus de valeur. Mais bon, is vous augmentez la somme, elle ne viendra jamais me chercher et vous n’aurez ni votre argent, ni quoi que ce soit d’autre. Si j’étais vous, je trouverais une solution et vite. Si ma fille se réveille et qu’elle voit…


L’homme me gifla pour me faire taire. J’avais réussi. Véra allait devoir me faire confiance sur ce coup-là. Pour qu’ils veuillent se débarrasser de moi au plus vite, sans désobéir aux ordres ni devenir des criminels de guerre, ils n’avaient pas le droit de me tuer. J’étais bien trop précieuse et je le savais.


— Tu ne t’arrêtes donc jamais de parler, toi ?

— Laissez-moi réfléchir ? Non.

— Remettez-lui son bâillon, ordonna-t-il.

— Passons un marché, le coupais-je. Si vous m’avez enlevé et demandé une rançon, c’est que vous devez aimer les marchés.

— Elle est intelligente la fillette.

— Ça faisait longtemps qu’on ne me l’avait pas dit.

— Soit, je t’écoute.

— Je veux ma fille auprès de moi. Si vous me détachez et que vous la laissez venir à moi, je vous promets de ne pas tenter de m’enfuir, de rester dans le champ de la caméra et de rester discrète.


Je le vis faire semblant de réfléchir. Il ne voulait pas se retrouver à nouveau face à la fureur de Lianna dès qu’elle serait réveillée.


— J’accepte. Libérez là et je remplaçais la chaise par le matelas de la gamine.


Dès que je fus libre, je ramenais mon poignet douloureux contre ma poitrine. Silencieuse, je laissais les soldats ennemis tout remettre en place. Je m’assis ensuite sur le matelas, plaçant la tête de Lianna sur mes cuisses. L’un des soldats ajusta la couverture sur ses épaules, en douceur.


— Si vous avez besoin de quoi que ce soit, n’hésitez pas à me demander.

— Ma fille aura faim à son réveil. Est-ce que…

— Je vais voir ce que je peux vous trouver.

— Merci.


Les minutes s’écoulèrent, des heures peut-être sans qu’il ne se passe rien. Lianna finit par se réveiller et se lova dans mes bras en m’apercevant et se mit à pleurer. Je la rassurais comme je peux. Nous allions bien toutes les deux, c’était tout ce qui importait pour le moment. Le soldat bienveillant s’approcha avec deux sandwichs et des bouteilles d’eau.


— Est-ce qu’en plus de la vidéo, il y a le son ? murmurais-je.

— Oui. Vous voulez lui faire passer un message.

— Je ne saurais ni quoi dire, ni comment. Je ne veux pas que vos collègues…

— Dans l’armée, reprit-il, on utilise un langage codé. Je ne sais pas si ça peut vous aider.

— Je vais y réfléchir, merci.


Il me sourira avant de s’éloigna pour discuter avec les autres.


— Hé fillette ! Je suis appelé en urgence ailleurs. Ce soldat veillera sur toi. Si à mon retour…

— Je ne bougerais pas, le coupais-je. Et je ne causerais aucun tors à votre soldat.

— Je t’ai à l’œil.


Dès que le soldat en question fut seul avec nous, je vis ses épaules s’affaisser. Lui aussi était en permanence sur ses gardes.


— Puis-je m’asseoir avec vous ?

— La caméra…

— Tant que je garde mon masque, mes supérieurs ne pourront rien me dire.

— Je vous en prie, dans ce cas.


Je me décalais pour lui laisser un peu de place. Il s’assit en soupirant et étendue ses jambes devant lui.


— Je ne devrais pas être là, avoua-t-il. Je devrais être à la maison, avec ma femme et mon fils nouveau-né. Seuls les gradés se sont volontairement engagés dans cette guerre inutile. Je ne suis qu’un pauvre fermier qui a été enrôlé de force pour… je ne sais même pas pourquoi on envahit l’Empire.

— Je voudrais demander leurs noms, mais ce serait révéler votre identité, n’est-ce pas ?

— Oui. Je ne connais pas la vôtre non plus. Hormis que vous êtes la fiancée de l’Impératrice… Véra Stinley, je crois, je ne sais rien de vous.

— Je vais me présenter en bonne et due forme. Élia Aubelin, dix-sept ans, bientôt dix-huit. Je suis la maman de cette petite que j’ai adoptée il y a peu. Fiancée de Véra, mais j’ai commencé en tant que sa demoiselle de chambre. Je suis danseuse professionnelle à l’Opéra-théâtre, mon rêve depuis toujours. Il est vrai qu’être l’amante de l’Impératrice, ça peut faire peur. Je sais que nombre des Eryenniens ne l’aiment pas à cause des erreurs qu’elle a commises à ses débuts. Mais tout le monde commence au plus bas. Et j’en suis la preuve.

— C’est-à-dire ?

— Il n’y avait pas pire élève que moi. Je n’ai jamais rien compris à l’école, déscolarisée à treize ans. Je sais, je ne me mets pas à mon avantage, mais c’est qui je suis. Une fille pauvre, quelquefois idiote, mon père a été assassiné quand j’avais trois ans à cause de toutes les dettes qu’il avait accumulées. Ma seule famille est constituée de ma mère et de ma sœur. Grâce à Véra, j’ai retrouvé la volonté de vivre comme je l’entendais, de croire en mes rêves. Je ne suis pas la compagne idéale, j’en ai conscience. Et ce n’est pas l’Impératrice dont je suis amoureuse, mais de Véra Stinley, la femme que personne ou presque ne connait. La femme qui, un matin, m’a envoyé son oreiller sur la tête parce que je refusais de l’appeler par son prénom, la femme qui est aussi bien à l’écoute de mes problèmes que de mes revendications. Et je peux dire que quand ça concerne ma fille, notre fille, je ne suis pas tendre avec elle. Je ne sais pas ce qu’il s’est passé entre l’Empire et le Royaume de Thiera et je ne veux pas le savoir. Je ne veux pas être mêlé à la politique. Je veux juste avoir ma famille et danser.

— C’est une belle déclaration.

— Ce n’est que la vérité, Monsieur. La mère de Véra me croit incapable d’être à ses côtés. Certains Eryenniens aussi. Ça m’a blessée, c’est vrai, mais ça ne va pas m’arrêter. Le pouvoir, ce n’est pas avoir un titre ou de l’argent. Le pouvoir, c’est savoir utiliser ses forces comme ses faiblesses au bon moment.

— Quand utiliserez-vous vos forces ?

— Maintenant, lui souris-je. Ma fille est ma force, Véra est ma force. Elle… je vais être honnête, quitte à réduire ses plans pour me sauver à néant. Elle est prête à mettre sa vie en péril pour moi. Je suis prête à en faire de même pour ma fille. Et il est hors de question que je reste là sans rien faire, à l’attendre bêtement. C’est déjà arrivé, je l’ai attendu jusqu’au dernier moment, jusqu’à avoir la corde autour du cou simplement pour l’avoir embrassée et elle m’a sauvé. Mais aujourd’hui, je n’attendrais plus. Parce qu’il n’y a pas que ma vie qui est en jeu, mais celle d’une petite fille de trois ans qui n’a rien demandé. Une petite fille qui a déjà perdu ses parents dans un incendie.


L’une des chansons en Carandien de ma sœur me revint au même moment. Lianna ayant fini de manger, je l’installais entre mes genoux, mes bras autour de sa poitrine et je commençais à chanter. Au rythme de ma voix, de la mélodie que j’instaurais, Lianna dandinée des épaules. Cette chanson qui raconte qu’on voudrait tous devenir un super-héros tels ceux des mythes et des légendes, mais qu’en fin de compte, nous l’étions déjà tous, à notre manière.


— C’est magnifique. Même si je n’ai rien compris. Qui est l’artiste ?

— Ma sœur, Iléna Aubelin. Elle commence à peine dans le monde de la musique, mais c’est une compositrice et parolière remarquable. Elle chante bien mieux que moi d’ailleurs.

— Vous connaissez d’autres de ses chansons ?

— Si je les connais ? Je suis sa fan numéro un. Je connais par cœur toutes les paroles et tout les chorégraphie. Mais les musiques sont sur mon téléphone.


Il se plaça dos à la caméra, devant moi tout en prenant soin de garder ses mains en évidence.


— Donnez-moi votre code, chuchota-t-il. Je vais transférer les musiques sur une clé et activer la géolocalisation.

— Vous pouvez vraiment faire ça ?

— Vous être une star en devenir, mademoiselle. Je ne voudrais priver le monde d’une femme telle que vous.

— Merci beaucoup.


Après lui avoir donné les informations nécessaires, il s’éloigna hors de mon champ de vision, même si je savais qu’il était toujours là. Je m’allongeai, ramenant Lianna et la couverture contre moi.


— Lia ? Veux mama.

— Je suis sûre que maman garde son téléphone près d’elle, enchaînais-je en Carandien. Un simple appel pourrait lui permettre de nous géolocaliser.


Grâce à ce soldat, j’avais trouvé une solution pour la contacter. Trop peu de monde connaissait le Carandien. Véra comprendrait qu’elle était l’unique destinataire de mon message, en quelque sorte codé.


— Avec l’aide de ce gentil père de famille, j’ai fait tout le travail pour que maman nous retrouve. Maintenant, on a plus qu’à l’attendre sagement.


Je tournais la tête pour regarder la caméra.


— Le reste est entre tes mains, mon amour. Nous t’attendons. Je veille sur Lianna comme tu as toujours veillé sur moi. Je t’aime.

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