Chapitre 9

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Dès leur arrivée au port, Léopold se dirigea vers le grenier portuaire. Devant le bâtiment, il laissa Isadora partir de son côté avant de s'y engouffrer, courbé sous le poids des bottes paille, de foin ainsi que les sacs de grains. Les impôts étaient lourds, cette année, car le froid avait été bien violent durant l’hiver.

La petite déambula sur le quai, humant les odeurs du port. Il y avait les senteurs âcres du sel et de la sueur, celles lourdes de la nourriture et de l'alcool, et celle agréable des épices étrangères.... Il y en avait aussi une autre, métallique, qui lui rappelait le cerf sur le bord de la route... Elle baissa les yeux et recula avec horreur : des têtes de poisson s'entassaient à ses pieds sur les pavés.

Réprimant un haut le cœur, elle continua d'avancer jusqu'à trouver un navire qui lui semblait être le plus beau des bateaux. Fascinée par sa magnifique silhouette, elle monta sur le pont, caressant la coque du navire du plat de la main.

一 Que fais-tu là, toi ? tonna une voix froide et sèche dans son dos.

La petite se retourna et regarda effrontément l'homme face à elle, vraisemblablement le capitaine :

一 Je cherche une place de mousse. Un jour, je serais un grand marin ! dit-elle en prenant le ton le plus assuré possible.

Un étrange sourire étira les lèvres du capitaine, un homme aussi grand que large, rougeaud, qui possédait au moins trois mentons.

一 T'es pas à la hauteur, gamin.

一 Vous vous trompez. fit une voix douce.

Un jeune homme, blond comme les blés avec des yeux bleu océan, venait de couper court au débat. Visiblement, la capitaine avait tendance à s'emporter facilement car le nouveau venu avait adopté une attitude défensive.

一 Vous devriez l'emmener avec nous, continua le blond, notre voyage durera plusieurs années, un peu de sang frais ne ferait pas de mal à l'équipage, n'est-ce pas ?

Le gros homme sembla hésiter, puis il acquiesça, avant d'ajouter, de mauvaise humeur :

一 Mais il sera à ta charge, le moindre pas de travers et je l'envoie à la cale avec les esclaves. Nous n'avons pas besoin d'une bouche de plus à nourrir.

Isadora le remercia et retourna sur le terre ferme, non sans s'être informée de la date et l'heure du départ - hors de question qu'ils partent sans elle ! - et et du chemin à prendre jusqu'à l'espace de repos des mousses, un endroit petit et nauséabond.

Dès qu'elle retrouva le plancher des vaches, elle trouva un coin tranquille et sortit de son sac la bourse que la femme-médecin lui avait donné : vingt-cinq Dung d'émeraude... juste de quoi s'acheter à manger et pouvoir s'offrir une place pour dormir dans une étable ou une écurie. Elle se leva et se dirigea vers l'auberge "Au Sans-Arêtes". A l'intérieur, la pièce empestait le poisson avarié et l'alcool fort. Dans un coin, deux colosses se battaient, dans un autre, des femmes dénudées entouraient des hommes à l'allure douteuse. L'endroit pullulait sans aucun doute de pirates et de bandits clandestins.

La petite commanda un filet de bar et accepta de dormir avec les chevaux. La nourriture se trouva être immangeable, et le patron déclara n'avoir que du vin et du rhum... Aussi, malgré les protestations de son estomac, elle décida de se diriger sans manger vers les écuries. Et il se trouva qu'elles étaient déjà occupées par une dizaine de personnes. Et aucun n'avait l'air sympathique.

La plupart étaient armés de coutelas et de pistolets, les autres ronflaient, une bouteille à leur côté.

Nerveuse et répugnée par le spectacle qui s'offrait à elle, la petite s'installa dans un coin et, incapable de s'endormir, observa les gens autour d'elle.

Les cicatrices étaient omniprésentes, certains étaient amputés d'un ou plusieurs membres, d'autres n'avaient qu'un seul œil. Tous puaient la sueur et l'alcool. Certains grognaient étrangement, mais ceux-ci étant de dos, elle ne pouvait savoir s'ils souffraient, cauchemardaient si simplement ils souhaitaient déclencher une bagarre.

Elle remarqua bien vite que la paille était infestée de rats, que les hommes dormaient sur les excréments des animaux et que les vêtements étaient couverts de puces.

Elle était seule, vêtue en garçon, entourée d'hommes probablement ivres et violents. Elle comprenait maintenant pourquoi Brutus prenait le monde de haut... Mais elle se jura que lorsqu'elle serait impératrice de l'Empire du Nord, elle tenterait de faire changer les choses. De tels endroits ne devraient pas exister !

一 Hé, les gars ! Y a un p'tiot d'la capitale ! hurla soudain un grand gaillard échevelé et éméché.

一 Hein... ? répondit de manière intelligente Isadora en voyant toutes les têtes se tourner vers elle.

一 Approche, gamin, on va pas te manger, ria un autre.

Surprise, elle les regarda, les yeux écarquillés.

一 On est p'têtre affreux, mais on est pas méchants, renchérit un blondinet endormi.

一 Je... ben...

Tout sourires devant ses balbutiements, les hommes se rapprochèrent d'elle.

一 Dis moi, gamin, t'es ici pour la même raison que nous, n'est-ce pas ?

Perdue, elle cligna des yeux.

一 Pourquoi vous êtes ici, vous ?

一 Parce qu'on préfère les hommes aux femmes, gamin, et que ça, c'est très mal vu.

一 Ben, pourquoi ?

Son innocence et sa naïveté les rendirent heureux. Pour une fois qu'on les écoutait ! Pour une fois, on les acceptait !

一 Y en a qui disent que c'est contre nature, d'autres disent même que les Dieux n'auraient pas voulu de ça en créant le monde... C'est idiot ! Animal et Pierre Solide s'aiment, et personne ne les rabaisse pour cela !

Stupéfaite, l'enfant les écouta. Ils s'aiment, pourquoi en vouloir à des gens d'être amoureux ? se demanda-t-elle intérieurement. Un nouvelle promesse se forma dans son cœur : arrêter les discriminations dans tout l'Empire.

En elle bouillonnait la colère face à l'injustice. Alors elle les consola, leur parla de ses rêves de mousse, et leur proposa, que si l'Empire était si fermé, pourquoi ne pas fuir à l'étranger ? Ils parlèrent de tout et de rien, rirent aussi... Pour la première fois depuis des jours, elle vivait une journée calme et douce. Le lendemain, elle quitterait le pays, et pourrait commencer à réellement chercher les autres Élus.

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