Chapitre 8

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Le soleil était revenu.

La bonne humeur aussi.

Bien sûr, il fallait réparer les voiles, reconstruire le mât et soigner les blessures, mais le moral était de retour.

Aucun d'entre eux n'avait jamais vu ou tenté une telle opération de réparation.

Sur le navire, tous louaient Isadora qui leur avait évité la noyade.

La brunette, elle, était coincée dans la cabine du capitaine :

一 Tu es complètement irresponsable ! tonna Herbert.

一 J'ai sauvé le navire ! répliqua effrontément la jeune fille.

一 Et risqué inutilement ta vie ! fit une voix mécontente derrière elle.

La brunette et le capitaine se tournèrent vers l'intervenant.

一 Brutus.

一 Majesté, salua le capitaine.

Les bras croisés, le regard noir et froid, l'adolescent fixait méchamment sa "fiancée".

一 Inutilement ? répéta celle-ci.

一 Parfaitement. On a besoin de toi pour autre chose, je me trompe ? Ou alors, ta mission consiste à mourir le plus vite et le plus stupidement possible, ce dont je doute fortement ? Tu as agi comme une gamine écervelée. Tu veux jouer les héroïnes, mais tu frôle la Mort et entraîne les autres avec toi !

Mort... Ce mot était interdit. Mort était un mot maudit. Interdit. Tabou. L'évoquer était la dernière chose que l'on faisait dans sa vie...

一 Ne dites pas cela, Sire, la petite s'est plutôt bien déb- tenta Herbert.

一 Eh bien sans la gamine écervelée, tu serais au fond de l'Océan, riposta au même instant la brunette. Tu n'as pas à me dicter ce que je dois faire ou ne pas faire ! J'ai fait ce qu'il me semblait juste. J'ai agi en conséquence ! J'ai suivi mon instinct !

J'ai protégé mes futurs sujets...

一 Tu ne comprends pas ! essaya le Capitaine.

Mais il était devenu invisible aux yeux des deux adolescents en colère.

一 Une Impératrice n'agit pas ainsi... N'est-ce pas ? persifla Brutus.

Le capitaine eut un instant de blocage puis...

一 Une QUOI ?

一 Impératrice, Herbert, Impératrice. Car elle le sera un jour, à mes côtés.

La jeune Élue étudia un instant les différentes émotions qui traversaient le visage du capitaine : surprise, incompréhension, douleur, colère...

一 Pardon ?

一 Vous avez très bien compris.

Isadora soupira intérieurement : Et voilà, il a repris son ton suffisant et hypocrite... Nuage de Cendre, qu'est-ce qu'il m'agace !

一 Ce n'est qu'une enfant ! protesta le capitaine, toujours sous le choc.

一 Peut-on dire d'une personne ayant été ma meilleure amie, ayant survécu à la lapidation, ayant été rejetée par un pays entier, ayant traversé seule ce même pays que se trouve être un empire immense, ayant vécu sur un navire douteux, ayant survécu à une attaque pirate, ayant tenté dégager une baleine d'un bateau puis aidé à réparer ce dernier qu'elle est une enfant ? répliqua calmement Brutus.

一 Mais, vous-même n'avez seulement quatorze ans !

一 Il marque un point, ricana Isadora.

Si elle avait apprécié le petit discours de son ancien ami, bien qu'il soit un peu trop... forcé. Elle savait bien que Brutus l'avait insultée de gamine seulement quelques secondes plus tôt. Alors les arguments du capitaine étaient les bienvenus.

Pendant que les deux hommes défendaient chacun leur idée, Isadora s'assit au bureau du capitaine et prit quelques cartes au hasard.

L'une d'entre elles n'était pas maritime, bien au contraire... Il s'agissait d'une carte des souterrains de la Capitale du Pays de l'Ouest, Junkin.

Très vite, elle s'enferma dans une bulle où, ni les disputes entre deux idiots et un mousse adorable mais en sang ne pouvait déloger, tant elle était occupée à l'étudier.

Un mousse adorable mais en sa-

一 Mais qu'est-ce qu'il t'est arrivé ? hurla presque la seule femme du bateau.

一 Je suis tombé de la vigie, renifla l'enfant, qui ne devait pas avoir plus de huit ans.

Immédiatement, Isadora le prit dans ses bras et l'emmena à l'infirmerie... Laquelle était pleine des blessés de la nuit précédente.

Alors elle le transporta dans sa cabine où elles sortit toutes ses affaires de soin.

L'enfant pleurait beaucoup, la main agrippée à son poignet en se balançant d'avant en arrière. Il se l'était certainement cassé en tombant...

Maternellement, pleine de douceur et de compassion, la jeune fille appliqua compresses et baumes contre la peau rouge du petit mousse.

一 Comment t'appelles-tu ?

一 Lao.

一 Tu est Ouestae ?

一 Ma mère l'est...

Tout en massant doucement le poignet de son patient, elle l'écoutait raconter son histoire.

一 Ma maman a quitté mon papa. Elle a dit un gros gros mot sur mon papa. Moi, je crois que c'est elle qui devrait recevoir des gros mots comme ça. Mon papa, il est un peu bizarre, parce qu'il a pas de copine, il a que des copains... Mais moi je m'en moque parce qu'il est gentil, pas comme maman. Parce que maman, elle boit beaucoup d'un truc bizarre et après elle est très méchante avec moi...

Isadora était fascinée par le langage enfantin du petit mousse. Elle n'avait aucun souvenir de cette période bien trop vite abrégée... Elle n'avait, d'ailleurs, pas la sensation d'avoir un jour parlé ainsi.

一 Ton papa est ici ?

Le petit blessé acquiesça timidement.

一 Qui est-ce ?

一 C'est le cuisinier.

La jeune fille lui fit alors signe de ne pas bouger et se dirigea vers la "cuisine".

Elle n'y descendait que rarement à cause de l'odeur de la nourriture qui la répugnait. C'était une petite pièce aménagée de manière à servir à la fois de cuisine et de réserve.

一 Maître Koq ?

一 C'est pas l'heure ! fit la voix bourrue du chef cuistot.

Maître Koq était connu pour ses manières un peu rudes qui cachaient un cœur d'or.

- Vous êtes bien le père de Lao ?

Un bruit de pas précipité suivit du visage rouge et inquiet du cuisinier confirma les dire de l'enfant.

一 Que lui est-il arrivé ? Il est si maladroit !

一 Il est tombé de la vigie.

L'homme se précipita à l'extérieur.

Rapidement, il récupéra le pauvre gamin et remercia la jeune fille.

一Dis-moi, tu voudrais quelque chose ?

一 Pour ?

一 Te remercier ! Tout le monde se moque du fait que mon fils n'a que huit ans...

Ravalant une remarque sur sa propre enfance, Isadora sourit légèrement.

一 Vous qui connaissez les propriétés des aliments... Si vous pouviez en faire baver à Brutus... Rien de bien méchant, mais ça me ferait extrêmement plaisir !

|| Chapitre 9

Le lendemain matin, on pouvait voir l'Empereur penché au-dessus de l'océan, le teint verdâtre, les mains posées au niveau de l'estomac, pliée en deux...

一 Sire ?

Brutus ne répondit pas au capitaine, trop occupé à vider ses entrailles. Pour la troisième fois. Assise sur le sol, le nez dans ses cartes, Isadora faisait mine de les apprendre même si, avec un bonheur jubilatoire, elle observait avec un plaisir non dissimulé l'œuvre de maître Koq.

La jeune fille n'avait pas choisi cette vengeance par hasard... Elle voulait simplement éloigner Brutus d'elle. Depuis leur première discussion nocturne, ce dernier venait la voir tous les soirs pour essayer de lui tirer les vers du nez et savoir en quoi consistait sa mission.

Brutus malade, Isadora pouvait apprendre ses cartes tranquillement, sans ses habituelles interventions ayant pour but de "lui donner une attitude noble et de faire d'elle une bonne future impératrice.

Elle passait son temps à recopier cartes, rapports de voyage, plans et autres documents. Elle voulait en savoir le plus possible sur le pays de L'Ouest.

Elle savait que ce n'était pas en restant sur un bateau qu'elle allait trouver les autres Élus... Et le Pays de l'Ouest serait le premier à subir son inspection... Plus elle en saurait sur les Ouestae, plus elle trouvera facilement ceux ou celui qui y serait...

La tempête avait considérablement fait ralentir leur rythme et les autres navires de la flotte les avaient rejoints. Parfois, les capitaines discutaient entre eux à l'aide de porte-voix, dans ces moments là, tous les matelots de la flotte se mettaient à chanter ensemble, rejoins par Isadora qui adorait leurs chansons et ce moment amusant et convivial, bien que les paroles ne soient pas toujours très sages, elles abordaient des sujets réels et contaient la vraie vie... Et étaient bien souvent improvisées. Cela la fascinait.

En écoutant un échange entre deux officiers, elle apprit que le voyage toucherait sa fin d'ici le dernier jour de la semaine.

Rien de tel pour la pousser à voir plus loin dans ses recherches.

Dès qu'elle eut entendu la nouvelle, elle mena une campagne de recherche auprès de tous ceux ayant déjà mis le pied au Pays de l'Ouest : rumeurs, mœurs, habitudes, réputations, habitudes... tout y était passé.

Isadora notait chaque information dans un long rouleau de parchemin reliés qui comprenait ses remarques, son histoire, les cartes et plans recopiés et tout ce qu'elle savait depuis toujours. Elle possédait également un petit contrat de fiançailles signé en secret avec Brutus une nuit. Elle se préparait déjà à partir en douce à leur débarquement afin d'éviter le plus possible la moindre invitation de la part de Brutus de l'accompagner au mariage...

Encore quelque chose d'incompréhensible pour elle... Pourquoi une présidente irait-elle épouser un roi ? Pourquoi deux pays ennemis depuis la nuit des temps feraient-ils brusquement la paix ? Il y avait forcément quelque chose d'anormal dans cette histoire !

Isadora avait comprit en écoutant parler les hommes à table que les deux pays avaient besoin de cet accord car les futurs mariés s'aimaient et qu'ils voulaient simplement éviter un incident diplomatique s'il n'y avait aucune alliance.

La brunette doutait fortement que ce soit là la véritable raison...

Du pont, elle avait vu le visage de la présidente. La "cousine" de Brutus : une grande perche blonde et trop maquillée.

Une asperge.

Elle n'avait strictement rien en commun avec Brutus... En revanche, Will était blond... Le lien s'était rapidement fait : Butus et Lillyah complotaient contre Shu. Et Wyll, le fils de Lillyah et de Ballaman, le père de Brutus, devait les rejoindre...

Tout concordait... Et Brutus qui la surveillait étroitement. Il devait être aussi assoiffé de pouvoir qu'elle pour vouloir l'épouser.

La jeune fille leva les yeux vers le jeune homme qui vidait son estomac par-dessus bord. Dès qu'elle serait à terre elle préviendrait le roi. La suite viendrait plus tard. Son devoir était de garder en vie des dirigeants des pays qu'elle dirigerait... et de les garder sous sa coupe.

Désormais, plus aucune seconde chance pour son "fiancé" elle était en guerre... Il était hors de question que ce petit prétentieux lui vole le pouvoir qu'elle n'avait pas encore ! Épuisée par ses vomissements, elle s'approcha de lui et lui tendit sa gourde :

一 Bois, ça va passer.

Alors que l'adolescent amorçait un mouvement de négation, la petite l'attrapa par la nuque et le força à boire tout le contenu.

Le nouvel empereur déglutit difficilement avant de hocher la tête en guise de remerciement.

一 Bon, maintenant que tu as fini de recracher tes tripes, tu vas venir avec moi, il faut qu'on parle.

Elle n'attendit pas la réponse et le tira derrière elle par le poignet avant de le faire descendre jusqu'à la petite pièce qui contenant tous les parchemins.

一 Qu'est-ce que tu veux ?

Son ton dur et froid lui rappela que la douceur était parfois une bonne idée...

一 Brutus, commença-t-elle avec un léger sourire doux, j'ai réfléchi toute à l'heure et il m'est venu une pensée étrange...

一 Je t'écoute, grogna son interlocuteur.

一 Tu ne ressemble pas du tout à Lillyah... Et puis, elle est une présidente, comment pourrait-elle être ta cousine ?

一 Tu me fatigue !

一 Tu dis toujours ça lorsque je vois juste !

一 Isadora !

一 Brutus !

Face à face, l'œil noir noir, ils se regardaient dans le blanc des yeux, chacun déterminé.

一 Je ne te dirais rien.

一 Tu as donc des choses à cacher.

一 Mêle toi de tes affaires !

一 Si c'est là le rôle d'Impératrice, je préfère me pendre !

一 Est-ce que tu ne peux pas, cinq minutes, arrêter de réfléchir comme si tu étais mon premier ministre ? siffla l'Empereur entre ses dents.

La brune ricana.

一 Non.

一 Pourquoi ? râla ouvertement son "fiancé".

一 Si j'avais ne serait-ce qu'une fois arrêté de réfléchir, je serais morte.

一 Et ça n'aurait pas été plus mal ! clama Brutus avant de remonter sur le pont en grognant comme un ours. Laissant là une Isadora estomaquée mais assurée que son intuition était la bonne.

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