Chapitre 7

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Sous l'eau, elle n'entendait plus rien. Elle se sentait toute cotonneuse, comme ce jour où elle avait bu le rhum de Will... déconnectée de la réalité.

Doucement, elle ouvrit les yeux. Isadora n'aimait pas ouvrir les yeux ainsi, sous l'eau, car le sel lui piquait, ou plutôt, lui brûlait les yeux. Mais les mouvements étranges autour d'elle l'y obligeaient.

Devant elle se trouvait un œil immense, violet, pailleté d'or. A l'intérieur se reflétaient toutes les Sagesses du Monde... Ainsi qu'une forme de tristesse nostalgique qui résonna dans le cœur de l'enfant : elle possédait ce même regard, parfois.

La Reine des Cétacés leva doucement le regard vers le bateau accroché à son dos. Isadora se laissa remonter jusqu'à être au niveau des planches, sous la coque : le bois était encastré dans la chair de la pauvre bête.

Poussant de toutes ses forces, elle tenta de retirer les planches... sans succès. La poussée aquatique alliée au poids considérable du navire et à celui de la baleine rendaient les choses horriblement impossibles à l’enfant. Sans force et n'ayant plus une once d'air dans ses poumons, elle remonta à la surface.

 A l'air libre, l'eau était des plus agitées et le froid mordant. Un instant, la petite se demanda s'il allait neiger ici, en pleine mer.

一 Venez m'aider ! hurla-t-elle, attirant ainsi l'attention des occupants du bateau vers elle.

Un silence glacial lui répondit. Le vent couvrait sa voix.

Claquant des dents, elle hurla :

一 Aidez-moi !

Cette fois, presque tous répondirent à son appel, lui tendant une échelle de cordes. Un fois à bord, avec force de gestes et de cris, elle convainquit nombreux d'entre eux de la suivre dans les profondeurs aquatiques.

Un à un, ils plongèrent dans l'océan. La coque était béante, les réparations seraient lourdes et longues à mettre en œuvre, une fois l'animal et le bateau dégagés l'un de l'autre.

Remontant régulièrement à la surface, montant et descendant des outils, la petite équipe rapidement constituée des meilleurs nageurs et bricoleurs, tenta d'abord de dégager les planches de la bête...

Mais la tâche n'était pas aisée, car l'eau entravait leurs mouvements.

Parfois, ils enfonçaient, par inadvertance, un peu plus les planches dans la chair de l'animal. La pauvre bête bougeait alors, déplaçant de nouveau le navire et aggravant ses blessures.

Les heures s'égrenaient, entre outils tombant dans les abysses, manque d'air, vagues monumentales, baleine effrayée et blessures involontaires...

Si, au bout d'un très long moment, la baleine finit par être dégagée, le trou dans la coque restait béant et le bateau s'enfonçait doucement mais sûrement dans les profondeurs océaniques.

L'équipage se relaya alors pour prolonger et réparer l'énorme trou dans la coque. Isadora, elle, avait reçu ordre d'Herbert de rester à bord et de ne pas replonger sauf en cas d'extrême urgence.

Or, pour la petite, c'était un cas d'extrême urgence. Obligée d'observer du pont les allées et venues des "bricoleurs volontaires", elle restait penchée en avant, prête à plonger à la moindre alerte.

La surprotection du capitaine l'exaspérait, même si cela la touchait au plus profond d'elle, la seule chose qui lui faisait envie à cet instant, c'était de retirer la couverture qui lui couvrait les épaules et de rejoindre l'équipe de réparation.

Isadora voyait le ciel noir de geai et l'eau, si bleue quelques heures plutôt, agitée et noire comme l'encre. Plus personne ne savait s'il faisait jour ou nuit, le ciel ne livrant aucun indice quant au temps qui s'était écoulé. Les lanternes étaient allumées et les marins tentaient de percer les profondeurs marines insondables devant eux.

A la surface flottaient planches et clous, une main ou plusieurs mains apparaissant parfois, dans le but de récupérer un élément, les rassurant : il étaient en vie.

Enveloppée de sa couverture, Isadora, penchée en avant, comme sur le point de passer par-dessus bord, guettait chacun de ces signes de vie, s'attendant à chaque instant à voir un corps remonter à la surface et flotter, inerte... Livide, elle attendait la fin des réparations, terrorisée à l'idée d'avoir peut-être mené des hommes à la mort.

Souvent, ils remontaient respirer, parfois, certains revenaient à bord, épuisés et se reposaient tandis qu'un autre prenait sa place. Et cela durait, étrange ballet d'eau et d'homme... Dans le noir.

Isadora n'avait qu'une seule et unique envie : les rejoindre.

Alors, sous les protestations de tous, elle replongea dans l'eau glacée de l'Océan Bleu, devenu noir.

Cette fois, même à de nombreux mètres sous l'eau, les mouvements des vagues étaient bien perceptibles.

Devant elle se trouvaient les marins qui s'activaient. La brunette nagea comme elle pu à contre-courant pour les rejoindre.

Dès qu'ils l'aperçurent, tous lui firent signe de remonter à la surface. Ce qu'elle ne fit bien évidemment pas, obnubilée par l'ouverture.

Elle savait comment, à la surface, ils sentaient le navire couler.

Isadora prit donc marteau et clous de la main de son voisin et tenta maladroitement de replacer les planches et d'obstruer la cavité. Elle voyait, du coin de l'œil, les regards effarés des autres alors qu'elle mettait tout son cœur à l'ouvrage.

Isadora se refusait de se faire à l'idée qu'elle allait vivre un second naufrage seulement à cause d'un cétacé... Si seulement il s'était agi que d'une simple tempête !

Ses gestes étaient lents et sa force diminuée par les mouvements de l'eau et, malgré le poids divisé des outils, les abysses l'entraînaient vers le fond, l'empêchant d'enfoncer son clou là où elle le voulait.

Isadora dénigrait complètement la possibilité qu'elle puisse échouer ou se fourvoyer. Ils n'étaient qu'une dizaine, certains étaient remontés à la surface afin de se reposer un peu... Il fallait attendre la relève et ne pas perdre espoir, tout en gardant un rythme soutenu afin de finir ce cauchemar aquatique le plus vite possible.

Elle cherchait à finir vite et bien alors que ses coéquipiers tentaient, eux, de faire une réparation parfaite, solide et nette. Plus le temps passait, plus la tempête se calmait... Bientôt, ils purent finir les réparations dans un océan d'huile, de nouveau turquoise. Épuisés mais soulagés de la fin de ce qui aurait pu être la fin de tout.

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