LI

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On a fait le poireau au bord de la rivière, comme ça arrive souvent aux biffins. On entendait les rires des enfants, assis sagement autour du Viking.

- Quelle histoire peut-il bien leur raconter ?

- Le Chat Botté, Blanche Neige ou autres. Il connaît les contes presque par cœur et adore les moderniser. Je crois que Blanche Neige utilise un aspirateur et un lave-linge, et que la marraine de Cendrillon se déplace en Ferrari ou Porsche. A moins que ce soit en Harley, ce serait bien son style, tiens.

J’ai rigolé. Sacré Erk !

- Quel type de Harley ? a demandé Quenotte.

- Aucune idée, mais un vieux modèle badass, je pense.

- Une Knucklehead ?

- Possible. Tu lui demanderas.

« En effet, une Knucklehead » a répondu le baryton du géant dans nos oreillettes au moment où un homme s’est approché de nous, un peu hésitant, nous demandant de le suivre. On a obéi, toute la patrouille sauf Erk, à qui Lin a fait un rapide compte-rendu via les comms.

Raya a demandé à Lin de la rejoindre et la foule s’est écartée pour elle. Nous sommes restés autour, en sentinelles.

- Bien. Nous avons pris plusieurs décisions et voudrions votre aval.

- Pourquoi ? a demandé Lin.

- Parce qu’elles nous concernent tous, vous compris.

- Très bien. J’écoute.

- La première décision est d’ouvrir cette tombe commune et de donner à ses résidents une sépulture décente, dans le cimetière de ce village. Il est sur une hauteur en aval, pour éviter de contaminer la rivière. Ici, sur la place, c’est trop près de l’eau.

- Bonne décision, ça fera plaisir à Erik.

- Erik ?

- Le baby-sitter, a dit Lin en pointant le Viking du pouce par-dessus son épaule.

Ça a fait rire les gens autour d’elle et nous aussi. Une sacrée nounou !

- Aurez-vous besoin d’aide ?

- Non, Lin. Votre homme a déjà fait beaucoup pour eux, comme me l’a dit Aryana et… c’est à nous, leurs compatriotes, de leur rendre les derniers hommages. Une façon de nous racheter, si vous voulez.

- Je comprends.

- Ensuite, nous avons décidé d’avoir un conseil par village et un conseil des villages. Ce ne seront pas forcément les maliks qui seront au conseil des villages, ça pourra être qui veut. Mais pour ça, nous aurons besoin de vous.

- J’écoute, a dit Lin, un peu tendue.

- Nous n’avons pas besoin que vous participiez aux conseils, même si ça pourrait être une bonne idée.

- Si je devais rester longtemps ici, oui, mais ce n’est pas le cas. Ceci dit…

Elle a paru songeuse un moment.

- Je vais y réfléchir.

- D’accord. Si nous avons besoin de vous, c’est pour du matériel.

- C’est-à-dire ?

- Il nous paraît idiot, à tous, de nous déplacer pour nous voir, car nous n’en avons pas forcément le temps. Mais si nous pouvions nous voir et nous parler sans nous déplacer…

- Donc des smartphones équipés de caméra et… Ça va demander plus que des téléphones, il va falloir de l’électricité, une tour en 7G minimum… Je vais voir ce qu’on peut faire.

- Je n’en demande pas plus. Pour finir avec notre mode de gouvernement, ils ont absolument voulu que je prenne leur tête, alors je me suis dit que je pourrais avoir un vote uniquement pour départager en cas d’équilibre.

- Bonne idée, mais il vaut mieux que votre vote compte double, si nécessaire. Vous votez simplement si tout va bien, et doublement s’il faut départager.

Des têtes se sont hochées devant les deux femmes. Ils avaient l’air d’aimer l’idée.

- Nous aimerions mettre en place un hôpital, une école, un… je ne sais pas trop, quelque chose qui nous paraîtrait le sommet de la civilisation…

- Un cinéma ? Une bibliothèque ? a demandé Lin.

- Par exemple. Mais avec quel argent ? Et comment faire venir des médecins, des enseignants ?

- Pour ça, j’ai une idée. Et ça permettra de vous équiper en télécommunications.

- Ah ? Vous savez faire pousser l’argent ?

- Raya, réfléchissez un petit peu.

- Pas l’argent du pavot.

- Un peu, pas uniquement. Durrani était très, très riche. Il y a des choses à vendre, chez lui. Et j’ai une idée à vous soumettre.

- Je vous écoute, Lin.

- Je récupère les armes.

- Bien entendu.

- Merci. Bien. Commençons par les véhicules. Je vais vous prendre un pick-up, celui qui est en meilleur état. Les autres véhicules de travail sont pour vous. Les voitures de luxe ne peuvent pas rouler ici, on peut donc les vendre.

- Mais comment ? Nous ne connaissons personne.

- Mais moi oui. Ou plutôt un de mes hommes, elle a ajouté en regardant Kris qui a levé un sourcil surpris.

Lin a articulé un mot avec un sourire entendu. Kris a rougi. J’ai mis un peu de temps à comprendre de qui il s’agissait mais j’ai trouvé, vue sa rougeur : Mauricio Rizzi. Ça ne pouvait être que lui qui avait assez d’entregent et de contacts pour nous aider.

- Ensuite, les chevaux. La majorité sera incapable de travailler dans les champs sans dressage et certains sont trop fragiles pour les conditions ici. Je peux vous dire que ses étalons valent chacun une petite fortune, tout comme certaines de ses juments.

- Mais vous pensez que d’autres sont utilisables pour nous ?

- On demandera à notre expert, a dit Lin en regardant Baby Jane cette fois-ci, elle pourra vous dire quel animal sera utile et ne coûtera pas trop cher à la communauté. Ça pourrait valoir le coup d’avoir des vétérinaires.

- Hmm, oui, ne serait-ce que pour nous former.

- Par exemple. Les champs de pavot… Alors là, je suis embêtée. Durrani le cultivait pour l’héroïne. Mais le pavot a d’autres usages plus propres, m’a rappelé mon baby sitter.

- On va arrêter la culture de toute façon.

- Je ne crois pas que ce soit une bonne idée.

- Avec tout ce que nous allons retirer de la vente des biens de Durrani…

- Ce pactole fondra. Non, conservez des champs de pavot, peut-être juste 10% des surfaces cultivées, et je vous trouverai un débouché médical pour le suc de pavot. Les soldats, les malades, ont besoin de morphine, tirée du pavot.

- Je vois. Ça me paraît une bonne idée.

- Bien. Utilisez l’alcazar de Durrani pour faire un hôpital, école, siège du gouvernement… base pour une future ville centrale, que sais-je. On laissera le mobilier, sauf s’il est suffisamment luxueux pour vous rapporter.

- Oui, bonne idée aussi. La jumenterie ?

- Faites-en une clinique vétérinaire, elle est mieux conçue que le haras. Le haras est beaucoup trop luxueux pour ça. Mais il pourrait devenir un hôtel de pseudo-luxe pour les quelques touristes ayant plus d’argent que de cervelle et en mal de sensations fortes.

Elles ont ricané. Elles se comprenaient.

- J’ai une proposition à vous faire, pour la revente, a repris Lin. J’ai besoin de nourrir et d’équiper mes hommes. Je vous propose de prendre 50% du prix de chaque objet.

- 50%, ça fait beaucoup, je trouve, Lin.

- Oui et non. Toutes les commissions des intermédiaires seront comprises dans ces 50%. C’est plutôt généreux, car je ne toucherai pas 50%, mais moins. Les frais de transports aussi, dans certains cas, même si je vais me débrouiller pour que les acheteurs les prennent en charge chaque fois que possible.

- Vu comme ça…

- L’argent issu de la vente vous permettra d’embaucher du personnel qualifié : médecin, sage-femme, instituteur, vétérinaire, mécano, électricien, informaticien et tout le nécessaire. Il permettra aussi d’acheter des smartphones, de faire construire une borne 7G et d’équiper les villages en électricité. On va utiliser les deux rivières qui alimentent les fontaines de l’alcazar pour faire une micro centrale hydroélectrique. Ça plus vos éoliennes, vous devriez être à l’aise.

- Oui, plus et on va vouloir ressembler à l’Europe.

- Ce n’est pas forcément une mauvaise chose.

- Le changement doit venir lentement, Lin.

- Très juste, Raya.

- Lin ? a dit un baryton de velours.

- Oui Erik ?

- Il faut que j’aille voir Doc à l’infirmerie. La discussion est finie ?

- Je pense que oui, tu peux rendre les enfants à leurs parents.

- Merci d’avoir jouer la baby-sitter, Erik, a dit Raya avec un beau sourire au géant.

- Ce fut un plaisir, il a dit en lui souriant à son tour et elle a buggé.

Héhé, encore une autre victime du sourire du Viking. Quand il s’est éloigné, elle l’a suivi des yeux. Lin avait un petit sourire sarcastique, moi je me marrais discrètement et les villageois étaient soit comme nous, soit comme Raya. Légèrement moqueurs ou carrément sous le charme.

Raya a dit quelque chose en dari et Kitty a gloussé. Raya a sursauté et rougi. Lin a levé un sourcil. Kitty a regardé l’Afghane qui a détourné le regard. Par égard pour le nouveau chef du gouvernement de ce petit bout d’Afghanistan, Kitty a traduit en français et non en anglais, qu’on avait utilisé jusque là.

- Elle trouve qu’Erk a un beau cul.

- Elle a raison, a dit Kris un peu rêveur.

Lin a ricané, secouant la tête.

- Allez, sors tes idées de ton caleçon, Kris, et remets-toi la tête à l’endroit.

- Tu sais bien que j’y vais commando, moi, il a rétorqué.

Ah. Donc sa blague quand il avait tendu son mouchoir de dentelle à Erk n’en était pas une. Ou alors, comme les rougeurs du géant, c’est une réponse automatique. Mais bon, après tout, les treillis le permettent. En ce qui me concerne, je préfère que mes petites affaires soient bien maintenues et au chaud, même si en été j’ai parfois envie d’imiter Kris - si ce qu’il dit est vrai. Après tout, le papier qui colle aux bonbons, c’est jamais agréable.

Bref.

- Commando, hein ? a dit Lin. Pourtant, tu portais un calbar lors de tes strip-teases, non ? Et on en reste là, elle a ajouté quand Kris a ouvert la bouche.

Il a refermé la bouche et obéi, un petit sourire aux lèvres. Il semblait content d’avoir gagné un jeu idiot entre Lin et lui.

On commençait à avoir un peu chaud, en plein cagnard sous nos casques, donc quand Lin nous a rapatriés vers l’infirmerie, j’étais plutôt soulagé de pouvoir me mettre à l’abri du soleil, même temporairement.

Le Viking était assis en tailleur dans la maison qu’Alex et Doc avaient transformé en infirmerie, un ou deux enfants sur les genoux, les mains brillantes et un grand sourire sur son visage. Ses mains allaient chercher les petites blessures et les guérissaient pendant qu’il racontait une histoire aux gamins.

Il s’est levé à la demande de Doc pour aller voir son patient, une femme enceinte et, apparemment, sur le point d’accoucher.

- C’est un peu tôt, a dit Doc.

- Le voyage, tu penses ? a dit le géant.

- Oui. Peux-tu faire ta « magie » et me dire ce qui se passe là-dedans ? a dit Doc en pointant le ventre distendu de la jeune femme.

- Bien sûr. Quelle langue parle-t-elle ?

- Dari.

- Skítt. Je vais avoir besoin d’un traducteur.

- Je parle dari, j’ai dit. Je vais traduire.

- Très bien, demande-lui son nom.

J’ai obéi.

- Elle s’appelle Nafiseh.

- Très joli prénom. Nafiseh, je vais poser mes mains sur ton ventre, pour savoir si ton bébé va bien et s’il est vraiment prêt à sortir, d’accord ?

Elle a hoché la tête après ma traduction. Le Viking a aussi demandé la permission de soulever sa robe pour toucher sa peau et elle a refusé.

- Ah, ça va compliquer les choses. Nafiseh, je…

Il a souri d’un air un peu gêné, légèrement rougissant. La jeune femme a souri un peu aussi, un peu tendre, peut-être, de voir ce géant rougir comme une pucelle ?

- J’aime les femmes, Nafiseh, mais je respecte le mariage. Dans ton cas, je vois une patiente, pas une femme à séduire. Pour écouter ton bébé, j’ai besoin de toucher ta peau et le plus proche de l’enfant, le mieux ce sera.

Elle a détourné le regard.

- Est-ce parce que ton mari le prendra mal ?

- Peut-être, a-t-elle dit.

- Tu veux lui demander ?

Elle a hoché la tête. Je suis allé chercher le mari après qu’elle m’ait donné son nom.

Il n’avait pas l’air jouasse en voyant Erk près de sa femme.

- Eloigne-toi, roumi ! il a dit en fonçant sur le géant qui, très calmement, a obéi quand j’ai traduit. Toi, toubib, occupe-toi d’elle.

- Erk, dis-moi, tu as déjà assisté ou participé à un accouchement ? a demandé Doc – le toubib – très calmement et en dari, ignorant le mari.

- Oui, a-t-il répondu après ma traduction, sur Vestman, j’ai aidé lors d’accouchements difficiles à la maternité.

Doc a attendu que je traduise et s’est ensuite tournée vers le mari.

- Je n’ai aucune expérience des accouchements. Lui, oui. Alors ou tu le laisses s’occuper de ta femme, ou tu te prépares à la perdre.

J’ai trouvé qu’elle y allait un peu fort, mais c’était peut-être le choc qu’il lui fallait. Ah ben non. Il a refusé qu’Erk s’approche d’elle.

- L’Archer, a dit le Viking en français, tu devrais aller chercher Raya.

- Bonne idée, elle va lui remettre les idées en place.

- C’est ce que je souhaite. On ne peut pas laisser cette future mère sans assistance médicale.

- A ce point-là ? a demandé Doc.

- Oui, autant s’assurer que tout se passe bien, a répondu le géant au moment où je franchissais la porte.

Puis je me suis dit qu’on avait d’autres gars un peu partout.

- Les gars, j’ai dit en l’air, dans nos oreillettes. Quelqu’un est-il proche de Raya ?

« Je ne suis pas loin, a dit Kitty, que dois-je lui dire ? »

- Amène-la sur la place du village, c’est urgent.

« Je dis quoi si elle demande ? »

- Accouchement difficile.

Kitty a fait un petit bruit inquiet avant de se taire et j’ai entendu sa respiration pressée. Elle devait courir.

- Ne cours pas, Kitty. Reste calme, sinon tu vas les effrayer.

« OK »

Et trois minutes plus tard, Raya arrivait sur la place d’un bon pas, presque un pas de course, suivie par Kitty qui a haussé les épaules en me voyant.

- Raya, par ici.

- Quelle est l’urgence ? elle a demandé en entrant.

J’ai eu l’impression qu’elle a tout de suite saisi une partie du problème, parce qu’elle s’est approchée du tableau formé par le Viking et le jeune couple.

- Que se passe-t-il, ici ? Pourquoi a-t-on besoin de moi ? Maintenant que je suis le chef du gouvernement, je vais devoir aussi régler des querelles de ménage ?

- Non mais…

- Mais quoi, Sami, que dois-je résoudre ?

- Il… Je… Je ne veux pas qu’il touche ma femme, il a dit en pointant du doigt le géant.

- Parce que c’est un homme ?

- Oui. C’est elle, le toubib, qui doit s’occuper d’elle, pas lui.

Raya s’est tournée vers Doc qui lui a redit ce qu’elle avait dit avant. Raya a fermé les yeux, se pinçant le haut du nez, un poing sur la hanche. Elle en avait visiblement ras la casquette. Elle a ensuite soupiré violemment.

- Sami, tu me fais perdre du temps pour ça ? Tu le veux, cet enfant ? Tu veux qu’il ait une mère ? Alors laisse faire Erik, c’est lui, le spécialiste. Elle ne sait pas faire et lui… je ne sais pas.

Elle montrait Alex, qui a répondu qu’il était kiné.

- Donc, Sami, c’est lui qui va s’en occuper.

- Mais c’est un homme.

- Toi aussi, non ?

- Oui mais…

- Je te rappelle que c’est toi qui l’a mise dans cet état.

- Oui mais…

- Dis-moi encore une fois “oui mais” et je vais vraiment me fâcher, Sami. C’est compris ?

- Ou….

Il s’est tu. Raya a hoché la tête sèchement.

- Sami, je sais que ton éducation a été très traditionaliste. Mais il faut que ça change. Ne serait-ce que pour son bien à elle. Mais aussi pour nous tous et pour tes enfants. Si tu as une fille, hein ? Tu vas aussi la laisser mourir parce que tu ne voudras pas qu’un homme qui peut l’aider s’approche ?

- Ce sera un garçon ! a dit Sami, vaguement paniqué malgré tout.

Erk a ricané discrètement.

- Tu connais le sexe de l’enfant, Erik ? lui a demandé Raya.

- Sans avoir touché sa mère, non. Mais ce n’est pas ça qui me fait rire. Pour moi, la valeur d’un homme n’est pas entre ses jambes, ni entre celles de ses enfants. Elle est dans ses actes. Un homme peut avoir plein de garçons et être lâche, veule et méprisable. Un homme peut avoir plein de filles et être courageux, droit et honnête. Et l’inverse est vrai aussi.

- Quelle sagesse, géant ! Inspire-t’en Sami. Ta valeur n’est pas dans tes couilles, mais dans ce que tu vas décider pour Nafiseh.

La sus-nommée a mis fin à la discussion en poussant un gémissement et en tendant la main vers Erk. Sami a tiqué puis a pris la main libre de sa femme, lui chuchotant en dari.

Erk n’a pas attendu son accord pour doucement soulever la robe de la jeune femme et toucher son ventre. J’ai détourné le regard, par correction.

- Bon. Ce bout de chou a très envie de voir ses parents, alors on va l’aider à sortir. Doc, il me faut de l’eau chaude, une couverture propre et douce et s’il y a des couches quelque part, ça serait bien. Tu connais au moins la partie purement chirurgicale d’un accouchement ?

- Oui, ça oui. Jamais fait, mais appris.

- Parfait. Nafiseh, il faut que vous vous détendiez. Relaxez-vous, allongez-vous. Sami, tenez sa main et ne montrez pas que vous avez mal. Ou peur.

- Je n’ai pas peur, roumi !

- Je sais. Je vous taquinais pour vous remettre gentiment la tête à l’endroit.

Nafiseh a gloussé puis a gémi. La main d’Erk s’est mise à briller et elle s’est détendue.

- Ça va aller, pas de souci, a dit Sami, déterminé à se montrer un homme de bien devant le roumi qui se moquait de lui.

En tout cas, c’est ce que montrait son expression. Erk a souri et a aidé Doc à préparer la jeune femme pour l’accouchement.

- Le travail a commencé, il a dit à un moment. Son col est bien dilaté.

- Rapide pour un premier, a remarqué Doc. Pas de traduction, l’Archer.

J’ai obéi. Il valait mieux, en effet, ne pas affoler les futurs parents.

- Qu’est-ce qu’elle a dit ? a demandé Sami.

Raté.

J’ai regardé Doc et j’ai réfléchi deux minutes avant de répondre.

- Que ça se passait bien.

- Pourquoi tu as mis du temps à répondre, roumi ?

- Parce que je ne voulais pas utiliser les mots qui te feraient peur.

- Je n’ai pas peur.

- Je sais mais je ne connais pas tous les mots de ta langue.

Et Sami s’est tu. J’étais fier de moi d’avoir réussi à passer un message sans avoir provoqué un incident diplomatique.

Je ne regardais toujours pas la jeune femme mais quand j’ai entendu “poussez” en dari, j’ai regardé du coin de l’œil. Erk était entre les jambes de la maman, les deux mains brillantes sur son ventre, massant doucement. Doc à ses côtés se tenait prête avec des gants et un haricot en métal contenant de quoi s’occuper du cordon.

- C’est bien, Nafiseh. Détendez-vous, respirez, reprenez votre souf… Poussez… Parfait. Prenez le rythme. Respirez dès que la douleur s’estompe… Poussez… Impeccable.

Encore quelques minutes puis :

- L’Archer, pas de traduction. Doc, l’enfant se présente par le siège.

- Oh… pas de quoi faire une césarienne, ici.

- Non, mais tu peux le manipuler. Il est petit.

- Je le… tu veux que je… Euh…

- Oui, tu mets la main dedans, tu le repousses et tu le retournes tout doucement.

- C’est dangereux.

- Moins qu’une césarienne ici.

- Tu as raison. Et avec ton Don, on devrait arriver à limiter les dégâts.

- En effet. Tu es prête ?

- Oui. Sami, Nafiseh, elle a dit en passant au dari, je dois retourner l’enfant dans le ventre de sa mère, c’est sans danger, mais il faut que Nafiseh soit calme et détendue, d’accord ?

Les deux ont hoché la tête. Je les ai trouvés un peu choqués mais bon, la manœuvre est surprenante. Je n’ai pas regardé mais j’ai entendu les mots du géant qui rassurait les parents, qui guidait Doc. J’ai jeté un coup d’œil aux grandes paluches pâles sur un ventre distendu couleur abricot. Elles brillaient et elles massaient doucement.

Puis : “poussez”, “encore”, “parfait” et un bruit sec, une petite tape sur une minuscule paire de fesses et un petit cri.

- Doc, le cordon et le placenta, a dit Erk.

Je me suis tourné vers lui, il emportait le bébé vers l’eau chaude pour le laver. Il râlait beaucoup, maintenant, bien réveillé et il devait avoir froid, puisqu’il s’est calmé quand le Viking l’a mis dans la bassine pleine d’eau chaude. Et vite pleine d’eau sale. Puis il l’a enveloppé dans une couverture et est retourné vers les parents, le posant sur la poitrine de Nafiseh.

- Un joli petit garçon, avec de sacrés poumons, il a dit en souriant. Et rappelle-toi Sami, ce n’est pas là que se trouve ta valeur.

J’ai traduit à Sami, qui a hoché la tête, répondant qu’il ferait l’effort de s’en souvenir. Erk a hoché la tête à son tour, semblant accepter sa réponse.

Raya s’est approchée du couple.

- Permets-moi d’être la première à te féliciter, Nafiseh. C’est un bon présage pour le futur. Aujourd’hui, nous avons eu une mort, mais aussi une vie. Faisons en sorte qu’elle soit joyeuse et positive.

Joli message.

- Erk, à toi, a dit Doc.

Il a utilisé son Don pour… je ne sais pas trop quoi faire, dans ce cas, mais j’imagine qu’il a dû apaiser les muscles et réparé les quelques tissus déchirés… Après, il a laissé Doc et Raya laver Nafiseh et la rhabiller.

- Nafiseh, il faut le faire téter, c’est important, a dit le Viking. Je ne regarderai pas, et lui non plus, il a ajouté en me montrant, mais il faut vraiment qu’il tète. On va sortir et vous laisser tranquille. Viens, l’Archer.

Je l’ai suivi dehors, il est allé droit sur Kris et a posé son front sur son épaule.

- Eh bien, qu’est-ce qui se passe, mon grand ?

Erk a poussé un très gros soupir.

- Tant que ça ?

- J’ai mis un bébé au monde.

- Mais c’est bien, ça !

- Oui. Mais le père…

Erk a haussé une épaule massive.

- Ah, un tradi ?

- Hm hm.

- Aïe. Tu lui as sorti ta jolie phrase sur sa valeur, j’imagine ?

Erk a hoché la tête sans la décoller de l’épaule de son frangin, ce qui l’a secoué. Kris a souri et posé une main sur la nuque du géant.

- J’espère que Raya lui fera entrer dans le crâne, cette phrase. A grands coups de latte si nécessaire. Sinon, j’ai une bonne nouvelle pour toi.

- Ah ? a dit le Viking en tournant la tête vers Kris sans pour autant la lever.

- Ils vont déplacer les morts au cimetière là-haut, et réinvestir le village au fur et à mesure.

- C’est bien.

- Je trouve aussi. Viens t’asseoir par ici, repose-toi un peu.

- Je vais bien, hálfviti.

- Tu as utilisé ton Don, je parie. Donc tu as besoin de te reposer un peu et de boire.

- Pas le mélange infâme, s’il te plaît.

- Ça va dépendre de toi.

Erk a grommelé indistinctement. J’ai souri. J’apprécie le Viking guerrier, j’admire le Viking guérisseur et philosophe et j’adore le Viking tout doux qui se réfugie dans les bras de son amour.

Kris et Erk sont allés s’asseoir à l’ombre, leur patrouille autour d’eux, pour les protéger et le petit a fait boire le grand. Le géant a bâillé un grand coup, s’est calé contre le lieutenant et a fermé les yeux.

- Tu dors ? a dit Kris.

- Quand tu arrêteras de me casser les oreilles, peut-être.

Kris l’a regardé, choqué.

- P’tit con, il a murmuré après un moment, mais sans animosité.

Erk a souri.

Moi aussi.

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