Chapitre 7

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Deuxième jour de Floréal, 5 heures du matin.

Il fait encore nuit. Le chant des Malus n'a pas encore résonné, personne n'est éveillé dans toute la zone. Personne, sauf moi.

L'air est froid et me pique la gorge. Je ne suis pas assez couvert et il est sans doutes trop tard pour aller chercher une veste.

Puisque, étrange, je n'ai pas d'horloge sur moi, je n'ai aucune idée de l'heure qu'il est. Quand j'ai quitté ma chambre, celle du couloir indiquait quatre heures cinquante cinq.

Soudain, un cliquetis brise le silence. Il semblait venir de la porte. Serait-ce un animal de l'Extérieur ? A quoi ressemble-t-il ? Est-il dangereux ?

Je crois faire un arrêt cardiaque lorsque je vois la porte pivoter sur ses gonds, laissant apparaître la tête du Sage. Il était à l'Extérieur ? Je l'observe attentivement. Il n'a pas d'arme, autrement dit, rien pour se défendre. Serait-il suicidaire ?

Il m'adresse un sourire fatigué.

- Écarte-toi, me dit-il, un camion va entrer pour te prendre toi et tes affaires.

J'obéis, me décalant sur le coté, et, effectivement, un grand camion pénètre dans la zone. Il est entièrement noir, les vitres devant le conducteur sont teintées de sorte à ce que je ne voie pas qui dirige l'engin et une bâche est disposée sur tout l'arrière. Dessus est inscrit, en blanc, le numéro 3 916.

Encore un numéro. Mais, je ne comprends pas, je vais voyager seul dans un si grand camion ?

- Tu peux monter, m'indique le doyen avec un signe de la main.

J'obéis et monte à l'arrière, bâché. Je ferme la porte. L'obscurité est totale. Je ne distingue rien, si bien que j'avance à tâtons et m'installe sur le premier siège que je trouve, posant mon sac à mes pieds.

Le camion démarre, le sol vibre et la bâche tremble. J'entends un grincement suivi d'un "bong !" sonore. Sans doute la porte aux cent serrures qui se referme. Ce qui signifie que, ça y est, nous sommes à l'Extérieur.

Mais, à ma plus grande surprise, mon stress et mon excitation disparaissent, mes yeux se fermant tout seuls. La fatigue s'empare de moi et je m'endors, bercé par le ronronnement régulier du moteur.

                  .oOo.

Lorsque je rouvre les yeux, je suis entouré de cinq inconnus, portant le même uniforme que moi. Chose très anxiogène, si vous voulez mon avis. Ils sont tous endormis, tous sauf un, qui fixe le sol, les yeux écarquillés, marmonnant des paroles incompréhensibles.

Tous semblent avoir à peu près mon âge, et pourtant je n'en connais aucun, pas même de vue. Ils n'étaient pas présents lors de la course. Dans l'incompréhension la plus totale, j'ai une soudaine envie de les secouer pour les réveiller et réclamer leur identité.

Mais, avec stupeur, je remarque un détail qui change tout : eux aussi ont des numéros de zone, mais cependant pas le même que le mien.

Celui assis à ma gauche vient de la zone 23 496. Il a le nez en trompette, les cheveux bruns foncés et un front haut. Quant à mon voisin de droite, il est issu de la zone 23 498. Ses cheveux sont blonds, ses dents légèrement avancées (il dort la bouche ouverte) et une légère acné décore son visage bronzé. Je lui trouve une certaine ressemblance avec Liago, bien que mon ami ait plus de charme.

Le garçon assis en face de moi est zone 23 497. Je le trouve aussitôt sympathique, avec ses cheveux bouclés et ses taches de rousseur, recouvrant l'intégralité de son visage. Il semble athlétique, pas très surprenant qu'il ait gagné la course. Il est coincé entre le fou, qui continue de marmonner, son visage d'une pâleur affolante et ses cheveux châtains dressés sur sa tête, apparemment zone 23 500 et le dernier garçon, roux avec une peau claire et lisse, des épaules larges, zone 23 499.

D'autres zones ? D'autres communautés ? Mais combien y a-t-il de zones après la 23 501 ? Des milliers ? Des millions ? Des milliards ?

Et combien y a-t-il d'autres camions, derrière le nôtre, menant encore d'autres jeunes dans cet endroit éloigné, inconnu et que je considère désormais comme dangereux ? Je dois sortir d'ici. Et vite.

Je me lève, saisis mon sac et le jette sur mon épaule, décidé. Je commence à me diriger vers la porte, mais une main me saisit fermement par la capuche et m'empêche d'aller plus loin, manquant de m'étrangler.

Je me retourne d'un bond, me retrouvant face au garçon qui parle tout seul depuis mon réveil. Ses yeux exorbités me regardent fixement, bien que le regard soit vide.

- Ça sert à rien, me dit-il d'une voix faible et éraillée. La porte est fermée. Tu partiras pas.

Remettant ma capuche droite, légèrement énervé, je demande :

- Je peux essayer, quand même ?

Il hausse les épaules, mais l'expression ahurie de son visage ne change pas.

- Si tu veux, souffle t-il finalement en retournant s'asseoir d'un pas lent, les yeux dans le vague.

Je déglutis : il n'a pas l'air méchant, plutôt instable, et je pense tout de même qu'il faut me méfier.

Je me dirige donc vers la porte, saisis la poignée et l'abaisse mais, effectivement, j'ai beau appuyer de tout mon poids, rien ne bouge. Nous sommes enfermés. Je serre les dents, en colère. Je déteste être impuissant, comme ça !

Je tente d'écarter la bâche, mais elle est trop lourde, comme faite en plomb. Je repense au garçon qui a failli m'étrangler. Peut-être qu'il est dans cet état-là à cause de ça, lui aussi, à cause de l'impuissance ?

Je fais demi-tour et me rassois, mon sac à nouveau à mes pieds. On ne va pas rester comme ça tout le trajet, si ? J'engage alors la conversation, parlant doucement pour ne pas réveiller les autres passagers :

- Tu t'appelles comment ?

- Rellov, me répond-il d'un air absent.

Silence.

- Moi, je m'appelle Hérion, dis-je, légèrement vexé qu'il ne m'ait pas retourné la question et déduisant qu'il se fiche de savoir comment je m'appelle.

- Et tu sais où on va, Hérion ? questionne Rellov.

- Je n'en ai pas la moindre idée.

Je baisse les yeux sur les mains du jeune homme. Elles tremblent et sont couvertes de traces blanchâtres. Des cicatrices. Je détourne le regard. Je ne veux pas savoir d'où elles viennent.

- Toi aussi, tu as peur ? j'interroge à nouveau.

Il hoche la tête lentement, les yeux rivés au sol.

- Oui, souffle t-il, si bas que c'en est presque inaudible. J'ai 15 ans, je devrais pas, normalement, mais j'ai peur, très peur, Hérion. Vous avez tous dormi, sauf moi. Je crois que c'est à cause de la peur, justement. Là, j'ai un peu moins peur, je pense que je vais pouvoir dormir. Dis, Hérion, tu me réveilles s'il se passe quoi que ce soit ?

- Bien sûr, accepté-je, prenant le jeune homme en pitié.

Il cale sa tête contre un pull roulé en boule, et tente de retrouver le sommeil. Pendant que j'observe son visage se décrisper lentement, je ressens beaucoup de peine pour lui. Qui était-il avant ? A-t-il toujours été comme ça ? Si non, quand est-ce que cela a changé ? À cause de quoi ? À cause de qui ?

Rellov a mon âge.

Il a mon âge et il parle comme s'il avait 10 ans de moins.

Il a mon âge et il est déjà à moitié fou.

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