Chapitre 10

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En effet, l'homme dépose au milieu de la pièce une lourde caisse métallique à la peinture écaillée, puis s'en va en laissant la porte entrouverte.

Je sors de ma poche arrière le dessin de Tieden et le dépose dans mon sac avant de retirer mon débardeur et mon short, vite imité par les autres garçons.

Je récupère mes vêtements, pliés soigneusement dans l'armoire, et, voyant l'immobilité de mon voisin, en fais de même pour les siens. Je les mets au fond du bac, poussiéreux, puis me saisis de mon sac et le dépose à son tour. Je n'ai pas de bijoux, mais un bracelet brésilien accroché là depuis cinq ans maintenant, offert par Sloane pour mes dix ans.

- Je le coupe, à votre avis ? demandé-je.

- Je pense, oui, me répond Hent, résigné, en me tendant ses poignets, découvrant une demi-douzaine de bracelets du même type que le mien sur chaque bras.

Il sort un couteau de son sac (mais oui enfin, tout le monde se ballade avec une lame sur soi n'est-ce pas ?), puis, d'un geste net et précis, tranche les fils de couleur tressés. Hochwell, visiblement sceptique, regarde son voisin agir avant d'intervenir :

- Il paraît que ça porte malheur.

- Depuis quand tu crois à ça ? questionne Tieden, moqueur, à l'autre bout de la chambre.

- Je n'y crois pas ! se défend le jeune homme nerveusement. C'est ce qu'on dit, c'est tout.

Hent ne porte pas attention à la remarque du garçon avec qui il va partager le lit superposé, et dépose ses bracelets dans le bac. Il me tend le couteau, dont je m'empare puis coupe le mien avant de le nouer autour de la poignée de mon sac.

Ainsi, je le reconnaitrai parmi tous ceux qui pourraient être rassemblés. Je ne sais pas où vont aller nos affaires personnelles, je préfère assurer le coup.

- Enlève-le ! s'exclame Hochwell, en direction de Rellov.

- Non... proteste faiblement ce dernier en portant ses mains à sa gorge.

- Qu'est-ce que qu'il se passe ? interviens-je.

- Il ne veut pas mettre son médaillon dans le bac ! me sermonne le Râleur d'une voix forte. Il va nous attirer des ennuis ! Comme moi, vous avez entendu ce que l'homme a dit ! Si on ne le fait pas, on va être sanctionnés !

- Ce médaillon, il, il... commence Rellov en butant sur les mots, ses mains tremblant plus encore que lors de notre arrivée.

- Calme-toi, calme-toi, dis-je d'une voix qui se veut apaisante. Calme-toi.

Je m'approche de lui et prends ses mains couvertes de cicatrices dans les miennes. Les siennes sont glaciales et ce n'est que progressivement qu'elles cessent de trembler.

- Tu peux garder ton médaillon, si tu veux, j'ajoute en me tournant vers les autres garçons, leur adressant un regard du type "contredisez-moi et vous allez voir".

Bien que je ne sois pas quelqu'un d'imposant par sa carrure, aucun ne bronche. Je vois que Hent a toujours le sourire, mais la mâchoire crispée. Il doit avoir peur, lui aussi.

- Écoute, on peut lui laisser, non ? proposé-je en allant vers Hochwell d'un pas décidé. Il le cachera bien et ne le portera pas.

A chaque mot que je prononce, Rellov hoche la tête, comme pour confirmer mes dires.

- D'accord, cède finalement le garçon. Mais s'il se fait choper, vous assumez.

- J'assumerai.

- Jure-le.

- Je le jure.

Je prends le silence qui suit pour un "oui" et avance vers Rellov, lui retire son médaillon pour lui rendre, le mettant dans sa main. Il ferme le poing.

Le bijou n'a rien de spécial : un morceau de métal ovale, poli par le temps, sans motif ni symbole, attaché au bout d'un cordon de cuir. Rien de spécial, mais visiblement une très forte valeur sentimentale.

- C'est bon ? intervient l'homme en faisant irruption dans la pièce.

- Oui, répond aussitôt Hent, tout sourire. Vous avez besoin d'aide pour déplacer la caisse ?

Je le vois jeter un coup d'œil nerveux dans notre direction et comprends qu'il fait cela pour attirer toute l'attention sur lui. Aussitôt, je fais signe à Rellov de ranger son médaillon pour n'éveiller aucun soupçon, ce qu'il fait en le glissant sous son oreiller, puis je remercie Hent par télépathie.

"Merci, mec".

- Non, fait l'homme sèchement, répondant au garçon aux taches de rousseur d'un air suspicieux.

Il saisit la caisse et la traîne derrière lui jusqu'au couloir, où il disparaît. Immédiatement après, il refait son apparition, une boîte en carton dans les mains. Il sort puis entre à nouveau avec une autre boîte. Il refait cela quatre fois encore, et les cartons empilés à côté de lui le dépassent de facilement cinquante ou soixante centimètres, le rendant ridiculement petit.

Je souris, imaginant sa tête si l'un des cartons venait à s'écraser sur celle-ci.

- Qui vient de la zone 23 496 ? interroge l'homme.

A cette question, Hochwell lève la main lentement, puis s'avance vers l'adulte. Ce dernier sort un marqueur noir de sa poche et inscrit "23 496" sur le carton, avant de le lui remettre.

- Zone 23 497 ! appelle l'homme à nouveau, en marquant le numéro correspondant.

C'est Hent qui s'avance, ses lèvres toujours étirées, saisit sa caisse puis l'amène avec lui.

Ensuite, c'est au tour de Faïen, qui parle peu mais observe et comprend beaucoup, comme j'ai pu le remarquer. Il a l'air gentil, mais, à vrai dire, je ne peux pas vraiment savoir. C'est le genre de personne incernable, qui se fond dans la masse et parle le moins possible. Incernable, mais qui cerne tous les autres. Relativement insupportable pour quelqu'un comme moi, qui ne comprends par grand-chose au Body Language.

- Zone 23 499 !

C'est Tieden qui s'avance, sa capuche à moitié mise et ses yeux regardant celui qui a parlé avec mépris. N'ayant pas retiré les vêtements de sa zone, il tend le bras pour saisir le carton, mais l'adulte la repousse d'un coup de pied.

- Quel est le problème ? demande t-il.

- Le problème ? répète Tieden, un sourcil haussé, la main toujours tendue en direction du carton.

Il se comporte avec l'homme comme avec tous ceux qu'il qualifie de "sans intérêt", c'est-à-dire qu'il ne se cache pas de les haïr du plus profond de son être. Ce comportement, que j'admire, a dû lui attirer de nombreux ennuis au cours de sa vie.

- Ouais, le problème. T'as vu la tête que tu fais ? Et puis, pourquoi t'as gardé ces vêtements ?

- Faites pas genre de vous intéresser à nous, ça m'énerve.

- Évidemment que je m'intéresse à vous ! se hâte de dire l'homme. Vous êtes sous ma surveillance et...

- Stop. Vous avez bien appris votre texte, bravo, mais vous savez quoi ? Vous nous bernez pas.

- Pardon ?

- Je vais vous le dire, le problème. Il se tient debout, juste en face de moi.

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