Chapitre 14

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- ... Disons que si la qualité de la nourriture est déplorable, c'est aussi le cas de l'entretien des bâtiments. On voit que le ménage n'a pas été fait depuis un bon moment et que...

- Nous manquons de personnel, me coupe l'homme, plongeant son regard menaçant dans le mien. Ensuite, pour la nourriture, sache que si tu souhaites aller aux cuisines, il n'y a aucun problème.

Ses lèvres s'étirent en un sourire cruel.

- Mais sache que, comme les personne qui y travaillent actuellement, tu y passeras le restant de tes jours. Ensuite, le ménage ? Encore une fois, fais-le toi si tu n'es pas satisfait. Personne ne te reprochera de le faire.

Sa main vient se placer dans mon dos. Si cela peut sembler amical d'un point de vue extérieur, je comprends vite qu'au moindre faux pas je me fais projeter vers l'avant et touche le sol la tête en bas. Je sens mon courage m'abandonner, laissant place à la panique.

Je respire profondément, tentant de me calmer.

Sérieux, Liago, c'est quoi cette devise ? Tu n'aurais pas pu en choisir une qui fait l'éloge de la prudence ?

C'est bien toi, ça... Inconscient !

- Alors, reprend l'adulte, que penses-tu du programme d'entraînement ?

Je baisse la tête.

- Je ne l'ai pas encore testé, monsieur.

- Pardon ? questionne l'homme en se rapprochant encore un peu de moi, un sourire découvrant ses dents blanches. Je n'ai pas très bien entendu, il me semble.

- J'ai dit que je n'ai pas encore eu la chance de tester votre programme d'entraînement.

Il me regarde avec un air bien trop surpris pour être sincère avant d'éclater d'un grand rire :

- Ah, je vois... Un vrai bleuet !

Je tente de me contenir : je suis fatigué. Si je ne réfléchis pas avant de parler, je risque de le regretter : mon cerveau a, disons, un léger retard.

- Alors tu te permets de critiquer la nourriture et l'entretien alors que tu n'as pas encore essayé l'entraînement ? interroge l'homme à voix basse. Tu sais pourquoi tu es là, n'est-ce pas ? Pour recevoir un entraînement spécial. Parce que toi et tes camarades êtes l'élite. Bien que, dans ton cas, il serait légitime de penser que la triche t'a aidé à vaincre tes concurrents.

Il hausse un sourcil avec mépris, semblant éprouver un certain plaisir à m'humilier, puis poursuit :

- Alors, ce qui est exceptionnel ici, ce n'est ni la qualité de la nourriture, ni l'entretien. La nourriture vous apporte uniquement l'énergie nécessaire à votre développement est tout est étudié pour votre bien-être.

Le Sage et cet homme on un point commun : ils adorent démolir des jeunes en public pour la seule raison qu'ils savent manier les mots et tourner n'importe quelle situation à leur avantage.

- Si quelques grammes de poussière traînent dans un coin, est-ce important ? interroge t-il. Ce qui est important, c'est l'entraînement et uniquement cela. La seule chose que tu n'as pas expérimenté. Alors... Comment peux-tu te permettre de critiquer ?

- Vous me l'avez demandé, protesté-je, la gorge nouée.

- T'ai-je demandé de faire des reproches ?

- Non, monsieur.

- Que t'ai-je demandé ?

- Ce que je pensais de la base.

- Alors pourquoi me réponds-tu cela ?

- Parce que je le pense.

Ces mots ont à peine quitté ma bouche que, déjà, la main placée dans mon dos vient me pousser vers l'avant avec brutalité. Propulsé violemment, je vais m'écraser au sol, dans un bruit sourd. La douleur m'envahit aussitôt et j'ai le souffle coupé.

Je me relève, tant bien que mal, mon uniforme noir taché de blanc. La poussière macule mes vêtements.

- Voyez, fait l'homme sur l'estrade en me désignant d'un vague geste de la main. Voyez le ridicule auquel vous conduira votre impudence. Ici, je suis le chef, je dirige. Vous n'avez qu'un seul et unique rôle, obéir. Vous devez vous y tenir.  Vous n'avez pas à donner votre avis. Nous ne vous demandons même pas d'en avoir un. Le seul chemin à suivre et celui que je vous indique.

Volontairement, il laisse un bref silence s'installer, me laissant le temps de retourner à ma place, avant de reprendre :

- Bien. Vous pouvez aller manger. Quant au garçon de la zone 23 501 et des habitués, vous restez.

Tous les autres se dispersent, me laissant seul avec trois garçons qui me sont inconnus.

L'homme descend de l'estrade et se met à marcher. Nous le suivons de près. Il contourne le bâtiment pour arriver devant un étroit couloir dans lequel semblent se succéder des obstacles.

L'adulte nous fait signe de ne pas bouger puis s'éloigne, sans doute pour revenir après.

- Tu te demandes ce qu'on fait là, Bleuet ? demande un des garçons.

Il a les yeux gris, le même que les nuages un jour d'orage, ses cheveux, coupés ras, sont bruns, une énorme cicatrice barre sa joue droite et il est grand, sûrement âgé de deux ou trois ans de plus que moi.

- Ouais, un peu, réponds-je. Enfin, je me demande surtout pourquoi on est si peu nombreux à devoir rester.

Son visage se déforme pour exprimer quelque chose qui doit être un sourire. Je baisse les yeux, et découvre des plaies à peine cicatrisées au niveau de ses chevilles. Gêné, je reporte aussitôt mon regard sur le visage du garçon.

- Devine quoi ? fait-il sans cesser de sourire. On est des parias. En fait, nous sommes ceux qui ne rentrent pas dans leur moule, ceux qu'ils ont mis sur la Black List et qu'ils doivent "éduquer"... Bien à leur manière.

Je n'écoute pas ce qu'il me dit, pris de frayeur : sous ses vêtements, cache t-il d'autres cicatrices ? Vont-ils nous torturer ? Cependant, une autre question me vient à l'esprit : pourquoi Tieden n'est-il pas présent ?

- Alors, Bleuet, pas trop paniqué ? questionne le garçon à nouveau. T'inquiète, ici c'est juste une course d'obstacles.

Un peu soulagé, je sens mes épaules se décrisper.

- Et... Qu'est-ce que ça va changer de nous faire faire une course d'obstacles ?

- Faire naître des rivalités entre nous, alors que pourtant nous partageons un avis commun.

- Lequel ?

- Nous désapprouvons leur vision militaire et violente des choses.

- ... Vous êtes pour la paix ? questionné-je avec espoir.

- Non, répond-il en souriant, pas tout-à-fait. Mais disons que toute action violente est réprimée par une autre, plus violente encore. Alors nous sommes contraints d'être pacifiques. Marrant, non ?

- ...

- Dis-moi, Bleuet, pourquoi tu parles avec moi ?

- Parce qu'on partage un avis commun quant à leur vision militaire et violente des choses, qu'on désapprouve.

Il m'ébouriffe les cheveux.

- Bravo, Bleuet, tu apprends vite.

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