Chapitre 15

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- Comment t'appelles-tu ? interrogé-je.

Il fronce les sourcils, mais la lueur amusée qui brille dans ses yeux ne disparaît pas.

- Non, fait-il. Je t'appelle Bleuet, n'est-ce pas ? Alors, la vraie question est : comment veux-tu que je m'appelle ?

Sur cette réponse qui n'en est pas une, il se détourne. L'adulte est revenu et nous fait à présent signe de nous avancer.

- Malgré ce que vous pouvez penser, vous n'êtes pas ici pour êtes punis, profère-t-il en joignant les mains, son regard tourné vers moi. Ici, pour ceux qui ne le savent pas encore, nous vous aidons. Vous êtes, selon nous, les jeunes les plus fragiles de la Base. Ainsi, à l'aide de petits entraînements supplémentaires, vous allez réussir à vous mettre au niveau des autres.

Il nous regarde, un à un, nous souriant parfois. Je jette un rapide coup d'œil au jeune homme qui a la cicatrice et remarque que son visage forme ce que l'on pourrait considérer comme... Un sourire, certes, mais un sourire plus méprisant encore que celui de l'adulte. Un sourire qui ne trompe pas : l'aversion qui s'en dégage est invétérée.

Je me demande combien de fois il a assisté à ce discours. Il doit être là depuis longtemps, pour être aussi bien informé de tout et oser sourire de manière si effrontée.

La voix désagréable de notre encadrant me tire de mes réflexions :

- Pour rendre cela plus ludique et vous pousser dans vos retranchements, vous êtes en compétition les uns avec les autres. Mais, comme vous le savez, vous allez bientôt partir combattre. Alors vous devez être plus forts encore que ce que vous êtes aujourd'hui. Nous avons donc ajouté une sanction qui concerne le perdant, et lui seul. Tandis que tous vous battrez vaillamment, défendant les vôtres avec ferveur, celui qui arrivera dernier aujourd'hui regardera les combats avoir lieu, à la merci de l'oppresseur en cas de défaite. Il sera chargé de faire les corvées, de vulgaires tâches ménagères telles la lessive ou encore la vaisselle.

Un sourire étire ses lèvres fines.

- Êtes-vous prêts ?

Les garçons se mettent en position de départ derrière une ligne imaginaire, mains et genou au sol. Je les imite.

- Partez !

Aussitôt, ils détalent à une vitesse aussi surprenante qu'affolante : je refuse de passer le balai pendant que les autres combattront !

Je suis malgré moi à l'arrière du groupe, qui s'engouffre à présent dans un étroit passage entre deux murs de pierre. Je tente une accélération, mais me fais stopper net par des ronces, tombant en avant (pour la deuxième fois de la journée. Ça commence à faire beaucoup.)

Ah... Enfin, je comprends les plaies aux chevilles. J'aurais dû me méfier d'avantage.

Les jambes écorchées par la chute et les plantes, le souffle coupé par l'effroi que me cause l'éloignement des autres, je repars rapidement. Il ne faut pas que je traîne.

Au bout du chemin, après un virage serré qui me rend encore plus lent que je ne le suis déjà, j'aperçois un mur qui me bloque le passage. L'unique moyen de passer semble être une corde rugueuse, à laquelle je m'accroche désespérément - ma force au niveau du haut du corps étant si restreinte qu'on pourrait même la qualifier d'inexistante.

Lamentablement, je parviens à me hisser de l'autre côté, puis me remets à courir dès que mes pieds touchent le sol.

Je poursuis ma course, mais m'arrête soudain : un bassin d'environ deux mètres cinquante s'étend à mes pieds.

J'hésite à sauter mais crains de me blesser, songe ensuite à passer par le mur mais réalise qu'il n'y a aucune prise, et décide finalement de plonger. En quelques secondes, je suis à nouveau sur la terre ferme, sprintant, à bout de souffle.

Alors que je pense être bientôt arrivé, une nouveau virage m'oriente vers un autre chemin, plus long, cette fois-ci - mais toujours sans aucune trace des garçons.

J'aperçois des haies : dans ma zone, j'ai appris à poursuivre ma course en faisant fi de ce type d'obstacles. Sans grande difficulté, je m'efforce de maintenir l'allure, sautant par-dessus les objets de métal, alors que le sol devient de plus en plus boueux et me colle aux vêtements et aux baskets, comme m'attirant vers le sol.

Il devient presque impossible de courir et je comprends que ce que je prenais de loin pour un virage n'est autre qu'un petit mur d'escalade. Refusant de cesser ma course, je me jette contre la paroi, m'agrippant aux prises.

Mauvais calcul : mon genou droit heurte une prise particulièrement pointue. Je réprime un gémissement de douleur et poursuis mon ascension. Heureusement que les autres prises se tiennent facilement...

Arrivé de l'autre côté du mur, j'aperçois la fin du parcours. Tous mes adversaires sont déjà arrivés.

Et depuis longtemps, on dirait.

Pour l'honneur, j'accélère au maximum avant de franchir la ligne d'arrivée.

Trempé, de la boue jusqu'aux chevilles, le genou droit ensanglanté et les chevilles couvertes de griffures de ronces, on peut dire sans exagérer que je suis dans un état pitoyable.

Malgré cela, les autres garçons m'applaudissent poliment, et celui qui s'obstine à m'appeler "Bleuet" vient se placer derrière moi et entoure mes épaules de son bras.

Seulement là je prends conscience de la différence de taille énorme entre lui et moi : il me dépasse d'au moins vingt centimètres.

- Excusez-moi, intervient-il en s'adressant à l'adulte, légèrement en retrait. Je pense que la sanction ne devrait pas être appliquée, ou si vous y tenez absolument, vous pouvez, mais pas sur lui. Il est nouveau, il s'agit de son premier entraînement tandis que nous connaissons le parcours et ses obstacles par cœur.

Ma bouche s'ouvre toute seule, choqué par son assurance et surtout par sa demande. L'interrogé penche la tête, amusé par la requête du jeune homme.

- Vois-tu, répond-il, notre objectif premier est de vous endurcir. Hors, si nous lui accordons une faveur, il ne s'endurcira jamais.

Il sourit, puis clôt la discussion :

- Vous pouvez regagner vos dortoirs.

Nous faisons demi-tour, le bras du garçon toujours autour de mes épaules.

- Désolé, Bleuet, me souffle t-il. J'ai essayé mais monsieur ne veut rien entendre.

- Merci, le remercié-je, accompagnant mes paroles d'un sourire.

Devant les portes des dortoirs, nous nous séparons. Il plonge son regard gris, intimidant, dans le mien, me donne une grande tape amicale dans le dos, à l'endroit même où l'adulte avait posé sa main, puis s'éloigne.

Épuisé, j'entre dans la pièce.

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