Chapitre 16

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Mes camarades sont assis sur leurs lits, en silence. Ils regardent pour la plupart leurs pieds, à l'exception du garçon roux, dessinant au crayon de papier, sur la peinture décollée de son mur, une espèce de château fort. C'est le seul à lever les yeux vers moi lorsque j'entre.

Je ne porte pas particulièrement attention à leur passivité et avance dans la pièce.

- Tu as déjeuné ? me demande Tieden, détaché, poursuivant son dessin.

- Non, réponds-je.

- Tu étais où ?

- À un entraînement complémentaire, avec trois autres garçons. Selon eux, on est les plus faibles et on a besoin d'être "endurcis", comme ils disent.

- Ils n'ont peut-être pas totalement tort, fait Hochwell, fidèle à lui-même, sans pour autant me jeter le moindre regard.

- Tu es en sale état, le coupe Tieden, son regard me scrutant de haut en bas, oscillant entre moquerie et colère.

- Merci, je suis au courant, répliqué-je en levant les yeux au ciel et allant m'asseoir sur mon lit, en hauteur.

Je ne pense pas qu'il est nécessaire de leur indiquer que je serai de corvée pendant les combats. Je ne veux pas me décrédibiliser, mais surtout, je suis déjà assez déprimé comme ça.

Je regarde autour de moi. Ce silence. Il y a quelque chose qui cloche.

Habituellement, le dortoir est en ébullition. Même la nuit, des bruits sont audibles : il y a toujours un bruissement de draps qui se fait entendre. Je reporte mon regard autour de moi, plus attentif.

Il manque quelqu'un.

Je sens mon sang se glacer dans mes veines.

- Où est Rellov ? demandé-je d'une voix blanche.

J'observe les autres, silencieux, fixant leurs pieds. Non, non, non... Ils n'ont pas pu...?

- Où est Rellov ? répété-je, l'effroi clairement audible dans ma voix.

- Ils l'ont emmené, répond finalement Tieden, ancrant son regard dans le mien. Quelqu'un ici l'a dénoncé.

J'aurais pu m'énerver, tout casser, mais c'est à la place l'horreur et l'incrédulité qui s'installent en moi.

- Dénoncé de quoi ?

- Son médaillon.

- Il... Il va revenir ? questionné-je désespérément.

Tieden se lève, on entend les lattes de son lit grincer, preuve supplémentaire de l'insalubrité du lieu. Il s'approche de moi et me souffle :

- Je suis désolé, Hérion. Je sais que tu l'aimais bien...

Je me lève à mon tour, brusquement, et quitte mon lit pour tous les voir. Je cherche une explication, j'attends que quelqu'un nie ce que Tieden a affirmé...

Mais personne ne le fait.

Alors, c'est la colère qui prend le relai.

- Qui l'a dénoncé ? interrogé-je froidement. QUI ?

Un silence plus pesant que celui de mon arrivée s'installe. Je me tourne vers Tieden, toujours derrière moi.

- Tieden...? lui demandé-je, espérant que lui au moins a la réponse.

Il hausse les épaule, désolé.

Hagard, je les regarde un à un, ne comprenant pas comment l'un d'entre aux a pu faire ça. Mon regard s'arrête sur Hochwell.

Il est insupportable depuis le début, grognon, et c'était le premier à vouloir que Rellov retire son médaillon, sous prétexte qu'on allait tous être punis. Est-ce que...?

- C'est toi ? fais-je, le suppliant presque de mettre fin à cette attente interminable.

Il lève les yeux dans ma direction et proteste, outré :

- Non ! Je ne t'aime pas et je ne portais pas Rellov dans mon cœur, mais jamais je n'aurais commis un acte aussi ignoble ! Et puis... Tu as juré de te dénoncer, si on trouvait le médaillon.

La sincérité qui se dégage de lui me convainc entièrement... Mais alors, qui ?

- C'est Hent, assène quelqu'un.

Je me retourne et aprçois Faïen, debout, qui regarde ses pieds, les poings serrés. D'ordinaire discret, il a pris les devants. Je pivote à nouveau, pour faire face au désigné. Le garçon lève la tête vers moi.

- Écoute, commence t-il...

Il ne nie pas. Il l'a vraiment fait.

Mon sang ne fais qu'un tour et mon poing vient heurter son nez avec violence.

Tieden vient se placer derrière moi aussitôt et attrape mon bras pour m'empêcher de tuer Hent, à coup de poings s'il le faut.

Je me débats de toute ma force, mais la poigne de celui qui me retient et trop puissante, rendant tout effort vain.

- Il nous mettait en danger ! s'exclame vivement le garçon aux taches de rousseur, les yeux écarquillés comme s'il faisait appel à notre bon sens. Tous ! C'était trop dangereux !

- Pourquoi tu te considères comme la victime, dans l'histoire ? demande Hochwell avec tout son mépris.

- Excuses-toi, si tu as un minimum de dignité ! renchérit Tieden, crachant ses mots.

- Je n'ai rien fait de mal ! se défend l'accusé. J'ai agi aussi pour votre bien !

- Parce tu penses qu'on devrait... Te remercier ?

- Exactement !

Je sens le garçon resserrer son étreinte. Ce n'est pas pour moi, puisque malgré ma colère j'ai abandonné l'idée de m'échapper, mais plus pour lui. Je sens qu'il tremble de rage. Il doit faire un gros effort pour se contenir et ne pas étrangler Hent sur-le-champ.

Nous sommes tous debout, attendant que quelqu'un dise ou fasse quelque chose. Je me lance, d'une voix rendue tremblante par la colère et le choc :

- J'espère... J'espère vraiment que les regrets seront trop lourds pour que tu puisses les supporter.

Je me dégage de l'emprise de Tieden, fais mine d'aller sur mon lit mais me retourne au dernier moment pour donner un coup de pied dans le ventre de Hent, qui tombe à genoux, le souffle coupé.

Personne ne dit rien. Je lui jette un dernier regard puis me détourne, regagnant mon matelas pour m'asseoir dessus et pour y rester, cette fois-ci. Le garçon roux s'avance à nouveau vers le traître, toujours à genoux, du sang coulant de son nez.

- Moi, fait-il en le toisant de la tête aux pieds, j'espère de tout mon cœur que tu mourras le premier jour de combat, et ce dans d'atroces souffrances.

Il lui crache dessus puis se détourne, laissant Hent sur les carreaux sales, son uniforme tâché de sang, sanglotant.

Pitoyable.

Une larme coule sur ma joue. Je l'essuie rageusement.

Putain.

Sans cet entraînement, j'aurais peut-être pu faire quelque chose, interférer...

.oOo.

L'heure de manger est venue. Je n'ai aucun appétit mais descends quand même et me force à avaler la nourriture insipide : je ne veux pas d'ennuis.

J'ai passé le reste de la journée dans un état second.

Je ne pensais plus et agissais par automatisme.

La nuit est venue, enfin, et mon corps, épuisé, sombre dans un profond sommeil.

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